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— Alors ?

— Ils vont faire ce qu'ils pourront pour que votre dossier se perde… et votre “permis d'exercer" !… un mois… deux mois… un an…

— Puisque personne ne nous écoute… vous me l'avez dit, Harras ?… bien dit ?… personne ?

— Non !… non !… allez-y !… vous avez besoin !… dites !… ici, aucun microphone !… pas installés !… pas encore !… mais bientôt !…

— Eh bien moi Harras puisque vous me le permettez, je serais bien heureux de savoir comment votre Reich tient encore ?

— Le cas de tous les États forts, Céline !… la guerre partout !… complots partout !… ce Reich ne tient que par les haines !… haines entre les maréchaux !… et l'aviation contre les tanks !… Hitler n'a rien inventé !… la marine contre les nazis !… l'Intérieur contre les Affaires étrangères… cent autres camarillas contre cent autres… Athènes, Rome, Napoléon, ont-ils tenu autrement ?… nous savons tout cela Céline !

— Certainement, Harras !… mais il faut tout de même un moment quelques fanatiques…

— Dans le Signal de M. Gœbbels, les fanatiques !… très peu dans la rue…

— Aux armées ?

— Les armées n'est-ce pas, c'est l'Arène… dans l'Arène il faut mourir… non ?

– Évidemment !

— Eh bien, écoutez-moi Céline, j'ai servi au front deux hivers… au front de Pologne… puis en Ukraine… médecin commandant, et puis colonel… j'ai vu bien des soldats mourir, de blessures, de froid, de maladies… vous dire qu'ils mouraient heureux ? peut-être ?… que c'était fini !… pas plus !… il nous faudrait d'autres soldats, d'autres hommes !… voilà !… vous aussi !… vos derniers soldats sont morts en 17, nous aussi !… les Russes tenez, en sont encore à 14… ces sortes de soldats somnambules… qui se font tuer sans le savoir… mais ça ne durera pas… vous les verrez dans une autre guerre… ils sauront !… nos soldats se ruaient en 14, français contre boches !… maintenant ils veulent regarder… au Cirque, oui, mais dans les gradins… voyeurs, tous !… vicieux !

— A ce propos mon cher Harras, Montluc déjà… »

Toc !… toc !… toc !… la porte…

La surintendante à cheveux gris… elle veut lui parler… il y va… ils se chuchotent… elle a l'air assez mécontente… lui, pas du tout !… tss ! tss ! tss ! qu'il lui fait… il la calme…

« J'irai voir ! j'irai voir ! »

Il me raconte…

« Cette femme est scandalisée !… l'Espèce n'est-ce pas, cher Confrère, l'Espèce !… c'est une vieille fille !… »

Je renonce à Montluc… en avant pour ce scandale !… l'Espèce ?… où ? qui ?… quoi ?… je me doute un peu… nous reprenons le très étroit couloir, et deux ascenseurs… tout de suite le bureau à La Vigue, sa garçonnière…

« Monsieur Le Vigan ! vous êtes là ?

— Je pense bien que je suis là ! et pas seul ! »

La réponse très ferme !…

« A la bonne heure ! »

Harras savait… il semble ravi…

« Je peux entrer ?

— Prenez la peine !… poussez fort !… »

Harras pousse… et je vois… nous voyons… notre Le Vigan pyjama rose, couché tout de son long, souriant… et nos deux fillettes polonaises, à genoux en prière, sous un crucifix, le mur en face… elles ont trouvé un crucifix !…

« Vous voyez, Messieurs, la foi est la foi !… certains barbares n'ont de cesse qu'ils aient outragé les autels ! pillé les lieux saints ! certains hommes sont d'autre race, Professeur Harras ! rassemblent les brebis !… sauvent ! regardez-moi professeur Harras ! je sauve ! je suis de ceux ! »

Nous le regardons… en pyjama rose… il s'est redressé, tout droit, debout sur son sofa… parler l'exalte…

« Professeur, en cette fosse humide que trouvez-vous ?… un sanctuaire !… ces fillettes orphelines prient ! que finissent défaites, victoires, déluges ! Ce triste endroit, crèche de toutes les innocences !… Jésus ! »

Tirade…

En fait, leur Thomas, bien enroulé dans plein de couvertures, dormait là, dans un fauteuil… tout ça ne dérange pas Harras !… une chose qu'il remarque…

« Vous voyez Céline, le drôle ! je vous parlais de la nature !… ce pyjama rose est à moi, je n'osais pas le mettre, la surveillante lui a donné !… il lui va bien ! »

Le Vigan nous regarde, lui qu'est surpris que nous trouvions tout ça naturel… alors ? le reste !… tout l'acte ! les bras écartés ! et l'expression, le visage du Christ !

Harras conclut :

« Il a séduit la surveillante ! »

Je ne réponds rien… on peut s'attendre qu'il séduise tout, et bien plus, s'il s'en donne la peine… pourtant une très revêche personne cette surveillante… fana nazi ?… ou polonaise ?… je demande à Harras…

« Je ne sais qu'une chose elle vient de Brno, Moravie, Gross Deutschland… vous ne connaissez pas Brno ? tout, Brno ! nazi ! sudète ! autrichien ! russe !… et anti-tout ! et polonais !… maintenant elle est avec nous… elle fait très bien au lavoir, elle le dirige très sévèrement… et elle aime les peignoirs roses… fanatique ?… peut-être ?… nous verrons !… voyons Le Vigan !

— Monsieur Le Vigan vous devez fumer ?

— Certainement je dois !

— Un artiste comme vous ! moi je n'arrête pas de fumer ! je veux oublier mes soucis !… vous êtes un admirable Christ !… »

La Vigue saute de son divan, il lâche la pose… le voici à la cigarette, jambes croisées, mondain… les deux Polonaises en prière… ne prient plus… se relèvent aussi… viennent s'asseoir contre La Vigue… elles veulent fumer !… Harras leur offre un paquet… deux paquets de « Lucky »… les demoiselles bien contentes tout de suite !… fous rires !… leurs cheveux ont été lavés, vraiment ondulés naturel, longs, très longs… et elles ont arrangé leurs loques, très coquettement, plus du tout des souillons boueuses !… amusantes !… Esmeraldas !… sûrement les conseils de La Vigue… je les verrais très bien place du Tertre… Harras réfléchit…

« Confrère, nous allons parler… une petite modification… vous mes amis, ne fumez pas trop ! mais enfin un peu !… faites-vous plein de sandwichs ! »

Il serre la main à Le Vigan… il embrasse les deux fillettes… et aussi Thomas, dans le fond du fauteuil, qui est en train de se réveiller… il m'emmène l'étage au-dessus… un autre bureau vide… il ferme bien la porte…

« Céline nous partirons demain matin… enfin demain à midi… vous me comprenez n'est-ce pas ?

— Certainement Harras !

— Je ne suis pas sûr de cette vieille fille… elle débauche le pauvre Le Vigan, cela se saura à la Chancellerie… ce n'est pas grave, certes ! mais pas la peine !… assez de scandales !… les jeunes filles encore ça va, mais cette vieille folle ! mes pyjamas roses, surtout ! et que je ne les mets jamais ! tout ça à la Chancellerie, n'est-ce pas ? avec commentaires !… vous me voyez leur expliquer ?… et le crucifix !…

— Impossible, Harras ! impossible ! »

* * *

Le lendemain à midi, en effet… la grosse Mercédès… re-scène des adieux, tout le monde s'embrasse… les petites Polonaises et Le Vigan pleurent… on est en plein sentiments… la surintendante aussi, pleure… les Volksturm aussi… ils s'étaient habitués à nous, déjà… voici les demoiselles dactylos toutes chargées de bouquets, chrysanthèmes, lierres… marguerites, presque en couronnes… on remplit la Mercédès… on s'arrache aux embrassades… Harras met en route… voilà !… pas le même chemin que pour Felixruhe… direction nord-est… voici le poteau, Moorsburg cent kilomètres, pas à se tromper, à droite, nord-est… une route qui a dû être bonne, mais très crevassée… même dangereuse… Harras heureusement va pas vite, on passe un faubourg… deux faubourgs… les champs… betteraves… luzernes… c'est pas la campagne vallonnée… presque plate… à vingt à l'heure on cassera rien !… on entend un peu les sirènes… loin… alertes… fin d'alertes… des bombes aussi… le cœur de la guerre, bombes !… booom ! uuuuuu !