Et je vous raconte pas le Casino !… coupable oubli !… Casino « rendez-vous de l'Europe », toutes les élites… noblesse, ambassades, théâtres… bien avant que les « masses » voyagent et que l'Amérique vienne en trois heures… figurez-vous ces salles de jeu, baroque « à la Transylvanie » tapissées velours framboise et or… vous attendez des Grieux… Manon est en « répétition »… dix Manon !… pas repenties du tout !… pire en pire joueuses !… du rouge et de la noire… des cils, des nénés, des hanches… et ce soutien-gorge qui fout le camp !
Les colonels congestionnés, les conseillers hépatiques, et les rombières défaillantes, cardiaques pâles.. pâles… qui n'ont plus un jeton vaillant… et plus la force de se lever… partir… c'est la guerre, l'orchestre fait défaut… juste de bruit le même rrrrr !… de la roulette… et la voix de chantre sec… « jeux sont faits ! »… Les clients hobereaux du Brenner venaient faire un tour… assez méprisants, comme il faut… mais les collabos « réfugiés » les dames surtout se cramponnaient à trois… quatre… aux chaises… haletantes à la chance…
La pâtisserie du Casino absolument toujours bourrée de veuves de guerre boches… en pleine cure de convalescence pour chocs émotifs… et en avant « babas au rhum » !… « religieuses » et brioches comme ça !… tartines aux myrtilles et plateaux d'« éclairs »… plaisir de les voir !… je dois dire qu'on profitait un peu… plus tard qu'on a eu à souffrir !… je vous ai raconté ! les faux gâteaux de Sigmaringen, plus plâtre que farine… m'en veuillez pas si je vous raconte tout en désordre… la fin avant le commencement !… belle histoire ! la vérité seule importe !… vous vous y retrouverez ! je m'y retrouve bien !… un peu de bonne volonté, c'est tout !… vous regardez un tableau moderne vous vous donnez un peu plus de mal !… pas tellement exorbitant de vous représenter les veuves de guerre en pleine cure, suralimentation par tartes, petits fours, feuilletés aux fraises… cafetières de chocolat crémeux… pas difficile ! toutes les bouches pleines, dégoulinantes… pour sortir, les difficultés ! les portes à tambour !… il fallait que les garçons les poussent… toutes ces dames un peu endormies… qu'elles aillent échouer ci… là… dans le parc… un banc… l'autre… rotantes… songeuses… encore bien des heures, digérantes…
Les croupiers eux s'amusaient pas… et n'avaient pas le temps de toucher aux petits fours !… bagnards des jetons !… « par ici la monnaie !… le cinq ! »… en plus ils dressaient leurs élèves, chacun un… le tabouret à côté de lui, mutilé choisi, cul-de-jatte, et en uniforme… pas de temps à perdre ! rééducation du grand mutilé !… qu'il apprenne, prompt, le lancer de boule… et ratissage !… cinq ! trois ! quatre ! « les jeux sont faits ! » la dextérité de la fortune !… l'harmonieux élan, la continuité, la monnaie… l'annonce impeccable !… la tradition Baden Casino date pas d'hier !… Berlioz y a joué et Liszt… et tous les princes Romanoff… les Naritzkine et les Savoie… Bourbons et Bragance… nous forcément on faisait intrus, nous dont aucune grève d'Europe voulait… enfin c'était un opéra, genre comique… en spectateurs vous pouvez tout… l'Histoire passe, joue, vous êtes là… je vous raconte…
Les mêmes croupiers qu'à Monte-Carlo, exactement… tous soi-disant « déportés »… les mèches gominées, les mêmes… nez busqués, les mêmes… smokings, poches cousues… comme à Ostende, Zopott, Enghien… des voix de couperets doux… « faites vos jeux »… en somme une seule nouveauté, rééducation de culs-de-jatte par les spécialistes monégasques… le Grand Reich pensait à tout… on lui trouve maintenant des défauts ! voire !… ce qu'on raconte maintenant des Gaulois, de Louis XIV, même de Félix Faure !… tous les vaincus sont des ordures !… je le sais… très bien…
Dans les très vieilles chroniques on appelle les guerres autrement : voyages des peuples… terme encore parfaitement exact, ainsi prenons juin 40 le peuple et les armées françaises ne firent qu'un voyage de Berg-op-Zoom aux Pyrénées… les derrières bien en cacas, peuple et armées… aux Pyrénées se rejoignirent, tous !… Fritz et François !… ne se battirent, burent, firent sisite, s'endormirent… voyage terminé !… et je vous remmène à Baden-Baden !… désordre, bric-à-brac des idées !… pourquoi avoir quitté Montmartre encore un coup ? la sacrée frousse d'être écharpé avenue Junot quatre ans plus tard… oh, quels aveux inglorieux ! tous les amis et les parents s'attendaient bien qu'on me dépiaute, tous d'accord, tous prêts à bondir, vider tous mes meubles, se répartir mes draps, fourguer le reste… ce qu'ils firent très bien, palsambleu ! rien à dire, j'avais tout fait pour… je m'étais mis en croix pour eux !… le bon Jésus meurt bien tous les jours dix mille ans après !… leçon pas perdue pour tout le monde ! la preuve : regardez les routes ce qui roule comme piperluches motorisées, pleines de caviar, diamants, vacances… pas sacrificielles pour un pet !
L'armée française, puisqu'on remarque c'est en 40 qu'elle fait sa diarrhée grand galop Berg-op-Zoom, Bayonne… nous, Lili, moi, Bébert, La Vigue, en 44… rue Girardon, Baden-Baden… chacun sa foireuse épopée ! le petit Tintin, condamné à mort, pour sauver l'honneur et sa peau a sauté dans l'avion pour Lourdes… je ne vais pas vous régaler de « Vies parallèles »… Tintin c'est une chose, moi une autre… sa chronique aussi des milliards !… la mienne vous pensez, quelques « cent francs » lourds… Tintin ses statues partout, moi sur la pierre de mon tombeau on osera pas graver mon blase… déjà ma mère au Père-Lachaise on lui a épuré sa tombe, on lui a effacé notre nom… voilà ce que c'est de pas se sauver le moment venu à l'endroit qu'il faut… figurez-vous qu'à La Rochelle j'ai dû résister à l'armée française qui voulait absolument m'acheter l'ambulance ! c'était pas la mienne !… moi l'honnêteté en personne, on ne peut m'acheter rien du tout ! l'ambulance de mon dispensaire, Sartrouville… vous pensez !… je l'ai ramenée d'où elle venait, la damnée bouzine ! et les deux grand-mères passagères, et leurs kils de rouge, et trois nouveau-nés… en parfait état tout ce bazar ! qui m'en a su le moindre gré ? oh, foutre, personne ! vous pensez toutes les infamies ? à moi ! à moi !… de quoi remplir un bagne ! vingt Landru, Petiot, et Fualdès !… j'aurais fourgué l'ambulance, le prix qu'ils m'offraient, les nouveau-nés, les infirmières et les vieillardes, je serais actuel : héros de Résistance, je vous aurais une statue comac ! une fois l'hallali sonné, ah mes aïeux !… pas de crime que vous n'ayez commis ! vous offrez pas assez votre gorge, qu'on vous tranche vos sales carotides !… lâche !… des millions aux gradins vous l'hurlent !… tout ça par orgueil prétentieux, ramener la bouzine d'où elle venait, qu'elle m'appartenait pas du tout !… qu'elle était un bien de Sartrouville ! vanité !… je la lâchais aux Fritz, aux francecailles, aux fifis, à n'importe qui, aux bains-douches, tous étaient acheteurs, avec grand-mères et infirmières et nouveau-nés ! je serais le très honoré, rentier heureux, pas le clochard vieillard dans la merde…
Une petite consolation, peut-être, chaque matin dans Le Figaro, en chronique nécrologique, les départs… « que dans son château d'Aulnoy-les-Topines, le grand Commandeur Poussetrouille a pris son billet… que toute sa famille éplorée, avant de passer chez le notaire, vous remercie… de vos condoléances affectueuses… etc… »