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Maintenant Bébert ?… je pensais à lui… il aimait pas tant le jambon, ni les sardines… ce qu'il voulait c'était de la marée, du poisson vif… heureusement y avait la bossue… celle-là vraiment très très aimable… son père demeurait à Berlin, dans un grand bunker… il était pêcheur de la Spree… ça tombait bien… chaque lundi sa fille nous ramènerait une bouteille pleine de petits poissons… c'était entendu… Bébert se régalerait toute la semaine… ça durerait ce que ça durerait… ! y a du bon cœur où que ce soit, on peut pas dire que tout est crime…

Harras était pas le méchant Fritz, mais… mais à voir !…

« Harras, quand partez-vous, Confrère ?

— Demain matin ! mais si vous voulez Céline, je vous demanderai un petit conseil… et un petit travail… si vous voulez bien !… je vous demanderai que nous en parlions, si vous voulez bien… un projet ! ce soir ! nous serons tranquilles après le dîner ?… vous voulez bien ?…

— Certainement Harras ! certainement !… mais pas trop tard…

— Neuf heures !… neuf heures ça va ?

— Oui… oui, je serai là… Lili aussi… et La Vigue… et Bébert.

— Certainement ! »

* * *

Je connaissais Harras, j'avoue, depuis des années, jamais je n'avais eu l'impression qu'il nous prenait très au sérieux, ni non plus qu'il se moquait de nous… on était français et voilà… plus tard avec tant et tant d'autres j'ai eu bien nette la certitude que nous étions guignols… et encore tous les jours en France… et je crois pour la vie… à propos la pire espèce de saloperie, la plus redoutable : les bienfaiteurs, les pires sadiques… à bien se marrer de vos contorsions… quelle secte !… le public des corridas, et de tous les cirques… du moment où vous ne pouvez plus « porter plainte » vous devenez le « joujou », c'est plus que question de vous faire hurler plus ou moins… vous avez tout à redouter, d'abord et d'un, du commissaire, vos empreintes au « Bulletin des recherches »… et vos portraits… tête de pipe… le vrai amusement des familles !… « Ah celui-là, regardez-le, qui n'a plus le droit de “porter plainte”, qu'est-ce qu'on va lui mettre ! » d'abord lui faire brûler son lit, sa table, et les chaises… et le refaire passer devant la Cour sous un de ces réquisitoires que ses tripes lui jailliront toutes seules du bide, qu'il en fera le tour de la terre au pas de gymnastique par les sentiers des éclats de verre et la piste des planches à clous… je craignais pas Harras pour ce genre de distractions mais lui c'était ses « absences » !… vous pouviez le voir, un moment, toc !… il cessait d'être là avec vous, bien là, raisonnable, et brusque !… un autre bonhomme !… une certaine exaltation… le regard… les paroles… plus tard… bien plus tard… repensant à lui… repensant aussi à d'autres Allemands, médecins et malades, ce qui me chiffonnait de les voir se perdre dans ces sortes « d'états seconds », plus tard, bien plus tard j'ai compris que c'était leur manière inspirée, leur transe mystique… pauvre Harras, fatal qu'il ait tourné si mal !… encore bien plus mal que moi…

Oh, pardonnez !… que je vous retrouve ! nous avions un point commun Harras, moi… exacts ! militaires !… neuf heures !… je descends au salon… je le trouve à la porte… on entre… il referme… je regarde sa figure, il a bien mangé, bien bu… je l'écoute…

« Mon cher Céline, le moment est venu, je crois, pour nous, pour l'Europe nouvelle, de bien faire connaître, pas seulement au monde savant, au grand public, l'ancienneté de la collaboration de nos deux nations dans tous les domaines, philosophique, littéraire, scientifique, et médical ! médical ! le nôtre, cher Céline !… depuis huit siècles, combien de professeurs allemands ont enseigné dans vos écoles ?… croyez-vous ?… Montpellier ?… Paris ?… Sorbonne ?… »

Le moment d'avoir l'air convaincu… de bien être d'accord…

« Vous trouverez tout ceci ici !… dans ces dossiers ! »

Un coffre que je n'avais pas ouvert… quelques pièces de velours… et puis des dossiers ! ah, dossiers !

« Tout ceci nous vient des Archives… du Musée des Sciences… »

Une façon je crois saisir, qu'on ait l'occupation qu'il faut !… officielle !… une liasse !… une autre ! plusieurs manuscrits en gothique… gothique vert et rouge… et les portraits des professeurs !… gravures sur bois…

« Vous me ferez ce plaisir Céline ? vous me comprenez ? »

Je vois ce qu'il demande…

« Certainement ! certainement, Harras ! »

Une rédaction, que je vais faire traîner un mois… deux mois… les autres auraient rien à dire… on serait pas oisifs parasites !… nous ! mais historiques propagandistes !… prima ! prima ! excellent ! oach !… son rire le reprenait ! la bonne farce !… oh mais on trouve une autre gravure… les Quatre Cavaliers de Dürer…

« Celle-ci pour notre préface n'est-ce pas ?

— C'est une idée !…

— Mais attention ! attention Céline ! grande révolution ! vous savez ? la Peste est devenue toute petite… la Famine aussi… toute petite !… la Mort, la Guerre, tout à fait énormes !… plus les proportions de Dürer !… tout a changé !… vous êtes d'avis ?… »

Bien sûr que je suis d'avis ?

« Oh, l'Apocalypse, certainement ! mais perdues la Peste, la Famine !

— La Famine encore un petit peu… »

J'objecte…

« Vous avez l'armoire Céline ! ooach !…  »

Que c'est drôle !

« La calamité Céline, je vous l'ai dit, à Berlin, vous avez vu les télégrammes, les épidémies ne prennent plus… ni en Mongolie… ni aux Indes !… cette guerre sous Dürer serait terminée depuis deux ans !… celle-ci ne peut jamais finir… vous le direz dans votre préface !… deux cavaliers au lieu de quatre !… pauvreté !

— Harras, à vos ordres ! tout sera écrit !

— L'Apocalypse vaccinée ? impossible !

— Je vois !… je vois Harras ! »

Il était remonté… je pensais à Lili, elle devait être un peu inquiète… elle avait Bébert avec elle… La Vigue dans sa cave-cellule devait pas être rassuré non plus… je voudrais bien qu'Harras se taise, me laisse remonter… mais il a la grande habitude des rencontres internationales… je connais l'atmosphère, j'ai fait le tour du monde plusieurs fois avec plein de savants comme lui… là, vous pouvez dire que la raison existe plus… pour peu que vous prêtiez l'oreille !… pas que les politiques qui déconnent, les savants donc ! jaloux de la tribune comme pas ! soliloques !… colloques ! plus de sottises dans les mémoires de Hauts Instituts techniques que dans les comptes rendus de la Chambre… ou dans votre journal habituel… et pas qu'ici, ça serait trop beau, là-bas, partout : astronomie, histologie, sur tous les méridiens possibles… pas de couleurs de peaux, rideaux de fer, sectes, races qui tiennent ! qui déconne plus est gagnant !… fanatisés, fascinés !… doctes comme ignares ! à genoux ! de ces sottises qui dépassent la Lune, vous savez plus jusqu'elles iront d'une galaxie l'autre !… mille ans !… mille ans !… je voyais notre Harras bien parti… une chose j'étais sûr, peu à peu, il m'ensommeillait à me parler dossiers… et de cette préface !… de ses Quatre Cavaliers !… de la petite Famine et de la petite Peste… je me voyais passer des mois sur l'Apocalypse !…

A la S.D.N., où je fus, ce que j'ai pu entendre !… les plus puissants cerveaux de l'époque, génies à la Nième puissance ! lui Harras tout fort technicien qu'il était, faisait pas le poids… du tout ! du tout !… je veux dire à la toise des Bertram Russel, Curie, Luchaire… ceux-là alors des Titans en l'art de rien dire… Harras son Apocalypse, peutt !… peutt !… zébi !… j'en tirerais peut-être deux… trois mois… pas plus ! je l'avertis…