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La Vigue est remonté avec nous… y avait pas à en mener large d'après ce que nous avions appris, sur ce Zornhof, sur le manoir et sur la ferme et sur les von Leiden… et sur ce Kracht, l'S.S. pharmacien, bourrique de service… et sur le personnel Dienstelle… Harras s'était débarrassé… bel et bien… nous étions mieux à Grünwald… mais après tout, peut-être pas ?… peut-être mieux placés à Zornhof ?… du moment où vous avez plus rien à dire, plus qu'à obéir, vous avez plus qu'à espérer, vous êtes animal…

Oh, bien le cas du monde actuel ! tout le monde sous le Spoutnik qui va venir ! n'importe quel filon à fond de mine, dans les grisous, tout ! ils veulent bien tout mais pas le « Spoutnik » !… « volontaires » aux petits wagonnets ! zut ! et que c'est donc chacun son tour !… tout ça a un petit peu crâné depuis 44… la fête est finie !… ganguesters au vestiaire !… nous là déjà à Zornhof nous avions bien à être fixés… à la merci c'est tout… tous ces gens autour, prisonniers, Fritz du hameau, ou Russes ou polaks, pensaient qu'à mal… notre compte était bon !… Kif en France, où tous nos frères nous attendaient, Bretagne et Montmartre, pour nous débiter en lamelles… donc, bien à rire ! la petite Esther avait le monde entier pour elle, nous le monde entier contre… la petite Esther Loyola préparait son film dans les greniers d'Autredam… nous on ne nous a rien tourné… taule et silence !… propagande tout pour ? imposture, l'autre côté : ruine, honte…

Autour du « Mirrus » nous mettions un peu au point, ce qu'il faudrait faire… ce qu'il ne faudrait absolument pas… à peu près tout… ce que les uns les autres avions vu… impressions… pas fameuses !… on verrait demain pour la suite… en attendant, un peu de rab… Lili avait mis de côté, moi aussi, d'à table, deux tranches de pain noir… La Vigue du céleri et de la mie… on partage… les araignées viennent regarder… elles se laissent filer du plafond, elles gafent… et zzz ! elles se renroulent… c'est des curieuses… on habite chez elles, exact… La Vigue veut aller voir en bas, chez lui, sa cellule, mais que je l'accompagne !… bien !… alors tous les trois ! on laisse Bébert… on prend une bougie… on va passer devant les chambres où demeurent toutes les secrétaires de la Dienstelle… on voit rien, sauf des petites lueurs sous chaque porte… ça se chuchote un peu… et aussi des voix de radios… pas de courant, y a plus de courant… des radios à piles… les demoiselles de la Dienstelle doivent s'offrir des petites soirées, tout à fait entre elles… des moments pour tout, des moments pour être discrets… nous descendons donc, les grandes marches… nous appelons d'en haut Iago, qu'il sache… ça va, il grogne mais pas fort… pour juste qu'il nous a entendus… il nous laisse passer… on va la voir cette cellule !…

Autant d'araignées que chez nous… et nous repassons devant Iago… et nous revoici sur notre paille… on voudrait s'en foutre complètement, dormir… le moment des soucis au contraire ! le monde des Grecs, le monde tragique, soucis tous les jours et toutes les nuits… pareil au même pour les personnes hors-la-loi… le monde nouveau, communo-bourgeois, sermonneux, tartufe infini, automobiliste, alcoolique, bâfreur, cancéreux, connaît que deux angoisses : « son cul ? son compte ? » le reste, s'il s'en fout ! Prolos Plutos réunis ! parfaitement d'accord !… nous là, cloches traqués, nous n'avions pas à dormir !… nous avions à penser aux gaffes… ce qu'on aurait dû, pas dû dire ?… examens de conscience… une toute petite gaffe peut très bien vous précipiter… La Vigue en bas dans sa cellule devait aussi drôlement réfléchir… que Bébert qui pensait à rien, c'était à nous d'être astucieux… animal pour animal il était plus heureux que nous… je dis plus rien, je remue pas… je voudrais bien que Lili dorme un peu… je peux passer des heures, moi, allongé, sans dormir… j'ai l'habitude, j'écoute mon tintamarre d'oreille… je sais attendre le jour… la meurtrière là-haut devient grise… puis pâle… pas à espérer beaucoup plus, nous sommes en septembre… il doit être six heures, à peu près… je vais pas réveiller Lili… je vais voir La Vigue… mais le jus, comment ? je vais lui demander… quel jus ?… à la ferme ?… il saura peut-être ?… je descends nu-pieds… je passe encore devant Iago… Iago dort à même la pierre…. il me grogne un peu… il me laisse passer…

La Vigue est réveillé aussi… je lui demande s'il a pensé au jus… tu parles qu'il y a pensé !… même on va y aller !… pas à la ferme, là dans le couloir, y a une cuisine, genre de secrète, il est certain, deux, troisième porte… on cogne, on frappe… il les a vues, elles sont quatre, trois Russes et une des mômes du vieux… personne répond… Iago grogne qu'on frappe… les autres doivent se le faire passer dans leurs piaules… si c'est cachottier ces morues, chacun pour soi !… et l'autre le vieux, sa cuisine à lui dans sa cave ! sûr ils ont tous des petits pains !… mais lui La Vigue comment il s'est éclairé ? aux allumettes !… il me montre et il m'offre une boîte… lui avec trois allumettes ça a suffi pour se coucher… nous aussi avec la bougie, mais dangereux !… c'est veine qu'on brûle pas… maintenant on va aux petits pains… une idée… si pas à côté, à la ferme !… La Vigue s'habille… enfin ses grolles… on se déshabille plus depuis longtemps… il est pas long, on est dehors, il fait frais dans le parc… au premier tournant de l'allée, nous tombons sur des hommes forçats… genre forçats… une douzaine, qui ajustent des troncs de sapins les uns sur les autres… qu'est-ce qu'ils foutent ? qui ils sont ?… je vais leur demander… mais j'ai pas le temps, un soldat me coupe la parole, un vrai, un assez vieux S.S., il sort du taillis… lui me demande ce que je veux ?… et ce que nous sommes ?… pas aimable… je lui explique que nous demeurons au manoir dans la tour, là… réfugiés français, et que nous allons à la ferme voir s'ils ont pas quelque chose de chaud ?… il se radoucit… il nous verserait bien un peu de jus, mais eux l'ont pris à quatre heures, lui et ses bagnards… il n'a plus rien !… il retourne son bidon, il me montre, plus une goutte !… leur réveil, quatre heures !… il sort de sa plus profonde poche une énorme tocante acier noir… six heures et demie !… même bien appliqués, raisonnables, on est toujours des sortes d'oisifs… y a que les bagnards qui bossent vraiment… les levés avant l'aube… ceux-ci en mettaient un coup… on voyait… ils bâtissaient une genre d'isba, bien trente mètres sur trente, tout en troncs de sapins… et sur lambourdes ! sûrement ils avaient une scierie… je demande à l'S.S… pas là, l'autre bout du hameau, au Dancing !… Tanzhalle !… puisque ce S.S. est dégelé je demande qui ils sont ? « travailleurs de l'Évangile » !… j'avais entendu parler d'eux… c'était ça ? menuisiers gros bides, et « objecteurs de conscience »… si ils avaient été français on leur aurait un peu montré à jouer de la Bible et de l'objection… je dis à l'S.S…

« Hitler est bon !… en France, Kapout !

— Ja ! ja ! hier auch ! Ici aussi ! »

Et il tape sur son gros Mauser… joyeusement !… on rigole !… on est amis !

« Heil ! Heil ! »

Je propose…

« On va chez les von Leiden en face, ils auront peut-être du café ?…

— Sicher ! bien sûr !… »

Ça va ! on va !… à travers le parc et puis la grande cour… à gauche les étables, la porcherie… et les hauts silos à betteraves, qui sentent si mauvais… le sentier en ciment tout le long de l'étang au purin qui sent encore bien plus fort… ils ont tout mis dans cette cour… plus les oies, les canards, les poules… sans doute pour tout surveiller, voir tout ce qui se passe, d'en haut, de la ferme… je vois pas nos travailleurs, les deux Français, Léonard, Joseph… j'entends des chants russes… je vois des femmes et des enfants… nu-pieds… et des hommes, en bottes… ils traversent la cour… ils nous font des gestes… ils crient des choses… peut-être aimables ?… non ! ils ont plutôt l'air en colère… mais y a de l'entrain !… ils doivent aller biner, sarcler… là-bas, dans la plaine… on voit que ça, des buttes de patates… des petites… des énormes… des longues, jusqu'à Moorsburg… tout l'horizon… ils doivent y aller… c'est quoi ces gens-là ?… Harras m'avait dit… tout Russes ramassés d'Ukraine… ils sont ici comme « volontaires »… soi-disant… des villages entiers… Ivan aussi, au Zenith, était « volontaire », lui de la Sibérie… et les bagnards « bibelforscher » ? La Vigue remarque comme moi, ils sont gras… du bide tous… et ils sont forts ! ce qu'ils remuent on serait écrasés net… pour qui les isbas ? encore une complication… pour des médecins finlandais, des « collaborateurs » comme nous… ils vont venir se reposer ici… peut-être ceux de Grünwald ?… Harras m'avait dit, j'avais écouté que d'une oreille… la vérité, notre guerre avait fait des petits, tous les bouts de l'Europe… preuve j'en ai trouvé moi-même plus tard à Copenhague, Danemark, plein les cellules, des étages entiers, tassés, tous les âges, tous les poils, traîtres belges, yougoslaves, lituanes, lettons, apatrides, juifs, relaps, mongols par la mère, asniérois du père, le tutti frutti la godille des cent drapeaux à la conquête et trains d'équipage sens dessus dessous… là maintenant je me demandais si ces confrères allaient se construire encore un bain à réactions… froid chaud ?… certainement ! La Vigue était sûr ! ce coup-ci j'avais plus de grenade à leur glisser dans la piscine… une chose que je voulais m'enquérir, ces gros bagnards, qui les nourrissait ?