Bosquets… massifs… roses… pastels ardents… pas à croire… nous en étions là, sur un banc de marbre, Mme von Seckt nous racontant, une fois de plus, ses séjours en Chine, avec son mari, général, génial réorganisateur de l'armée Mao… et que le funeste petit clown aurait pas tenu seulement deux mois !… ah, Monsieur Céline, croyez-moi !… son mari là !
« Vous savez Monsieur Céline le triomphe du Diable tient surtout à ce que les personnes qui le connaissaient bien ne sont plus là… vous pensez si cet Adolf peut s'en donner ! il ne craint personne !… un autre diable seul !… »
Je pensais en effet que ça allait de plus en plus mal… cette Mme von Seckt radotait mais je crois assez justement… plus aucune nouvelle de ma mère… ni de personne… un petit peu par les radios… les levées de barricades dans Paris… tout le personnel du « Brenner » communiquait par Lausanne… toute la ville d'ailleurs… croupiers, manucures, commerçants, et le Legationsrat lui-même, notre führer… bien d'avis tous que « Radio-Sottens » était autrement plus sérieux que « Télé-Göbbels »… Schulze, notre führer se déclarait pas nettement pro-alliés, mais à chaque vraiment grande défaite, il faisait dire une grande messe à l'église des Thermes, lui et sa famille communiaient… rien à dire !… nous étions là à réfléchir dans cet endroit d'enchantement, Mme von Seckt nous faisait voir, entre les roses, l'endroit où s'élevait, quelques briques tenaient encore, le « Pavillon des Philosophes »… où Grimm, Mme de Staël, Constant, se rencontraient chaque matin… Mme von Seckt venait ici toute petite, elle connaissait tous les buissons, tous les sentiers, tous les labyrinthes, désespoir des gouvernantes !…
« Je connais aussi un peu la Chine… l'Italie… et l'Espagne… et Monte-Carlo… je dois dire Monsieur Céline j'ai été gâtée… comme on ne l'est plus !… même une reine ! je le dis sans pudeur, c'est fini… même une reine de droit divin doit tenir compte de l'opinion de ses gens… la milliardaire la plus choyée a sa « fiche à jour »… dont sa femme de chambre prend grand soin… les plus petites folies de sa patronne, grands dîners, amants, fausses couches, au doigt et à l'œil… autres temps !… plus fragiles que Marie Stuart ! plus guettées que Marie-Antoinette… toujours est-il monsieur Céline ignorante je suis et mourrai… stupidité !… une addition à plus de quatre chiffres je laisse aux autres, je suis perdue !… »
Je dois dire, Lili, danseuse, trouvait aussi très naturel que je refasse les additions…
Comme c'était risible !… nous nous amusions !… et comme il faisait beau !… chaud, cependant aéré… un temps de Paradis…
Moi qui suis toujours inquiet, jamais à jouir de la minute, ne voyant personne là autour, ni sous les arceaux, ni sur les pelouses, je me demandais le pourquoi de ce silence… surtout à onze heures du matin, le moment des familles… par un temps pareil !… notre enclos de roses, parfumé, pas à tenir !… que Lili pourtant si discrète demande à Mme von Seckt si nous ne pourrions pas nous promener vers l'autre banc… vers les platanes, l'ombre… Mme von Seckt nous racontait comme au « Brenner » jeune mariée, son mari, alors capitaine, avait provoqué en duel l'ambassadeur du Brésil à propos d'une rose !… oui !… une rose pourpre-noire… tombée de haut… sur leur balcon… des fenêtres de l'ambassadeur !… exprès ! l'accusait son mari… non ! protestait Son Excellence… l'affaire s'était arrangée… bien grâce au prince !…
« Le prince Metternich… »
Mme von Seckt avait encore des souvenirs… bien d'autres… Achtung !… Achtung !… une sirène beugle… attention ! attention ! et tout de suite une de ces fanfares !… l'annonce encore d'une victoire ?… impossible ! depuis au moins deux ans y avait plus que des reculs… une paix séparée avec la Russie ?… ça se pouvait !… l'haut-parleur était assez loin… entre l'hôtel et la roseraie… j'écoute… nous écoutons… il ne s'agissait pas d'une victoire !… Achtung ! Achtung !… mais d'un attentat contre Hitler !… bouquet !
« Ils ne nous disent pas s'il est mort ?… »
Mme von Seckt remarque… et elle ajoute :
« S'il n'est pas mort ça va être beau… »
Vous n'avez pas à être surpris, lecteur… au moment de cet attentat les faits incidents quiproquos s'entremêlèrent, que maintenant encore vous vous retrouvez souvent en mésententes parallèles… conjurations contradictoires… le mieux je crois, imaginez une tapisserie, haut, bas, travers, tous les sujets à la fois et toutes les couleurs… tous les motifs !… tout sens dessus dessous !… prétendre vous les présenter à plat, debout, ou couchés, serait mentir… la vérité : plus aucun ordre en rien du tout à partir de cet attentat…
Ils l'auraient tué, réussi, c'était un ordre ! maintenant voyez où nous en sommes qu'il est échappé ! entrés dans le désordre pour toujours !… donc trouvez assez naturel que je vous raconte l'hôtel Brenner, Baden-Baden, après le « Löwen », Sigmaringen… où nous ne fûmes pourtant que bien après !… faites votre possible pour vous retrouver !… le temps ! l'espace ! Chronique, comme je peux !… je dis !… peintres, musiciens, font ce qu'ils veulent !… d'autant fêtés, couverts de milliards et d'honneurs… cinémas, jeux de boules !… moi là, historique, il me serait dénié de coudre tout de traviole ?… foudroyé suis lors ?… Zabus !… folle honte !… me sauve en loques et lambeaux !… la meute aux chausses !… pitié à pendre !… je vous salue, Messieurs Mesdames… les jeux sont faits ? tant pis !… larguez !… retrouvez-vous !… la roulette cahote ?… bonne mine !… la boule dingue ?… contrition !… sottise !… la faute de cet attentat mou !…
Ah, Messieurs, Mesdames, bien sûr je n'aper cevais personne dans cet « enclos du Paradis » !… ni sur les bancs, ni dans les charmilles !… qu'ils s'étaient joliment planqués ! dès les premiers achtung ! achtung ! dans le fond des caves du « Brenner »… qu'on ne les entende, ni ne les regarde !… mais là à la piscine, tout de suite, tout près, redoublement d'engueulades ! un boucan ! pas seulement des « haut-parleurs », mais du public !… tout le « Brenner », le personnel et les clients… tout ça se foutait pas mal d'Adolf et de l'attentat… qu'ils l'aient déchiqueté ou non… « tes fesses, morue ! va te faire daufer ! au jus, putain !… »
Quel cul qu'ils pouvaient en avoir ?… « gros cul » ?… à qui ?…
« Le führer est mort !
— T'en sais rien, salée ! à l'eau !… raie ! unverschämt !… éhontée !… raus ! raus ! dehors !… »
Ça tournait mal… et tout de suite d'autres cris…
« Elle a le droit ! boches ! enfiotés ! vous insultez une jeune fille !
— Une jeune fille ? aux gogs !… »
Là-dessus ça se boxe ! vlang !… pflaff !
« La suceuse ! »
De la roseraie nous entendions tout… que ça tournait en vraie bataille… les pour et les contre !… mais les fesses à qui ?…