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— Ensuite, lorsque vous aurez donné vos soins… revenez me voir !… vous ne parlerez à personne de ce que vous aurez observé… jamais !… jamais !…

— La tombe, strict ! La tombe, Monsieur le ministre !

— Alors, bien merci Docteur !… nous nous reverrons après… après… »

Ce sont des chambres que je connais… 117… 113 surtout… pas très sorcier !… ça s'étalait depuis des mois, y avait qu'à les regarder un peu… tous ces gens, les gros du « Brenner », les plus grands appartements, surtout le 117, avait trempé dans le complot, pardi !… les magnats à brouettes de marks… peut-être qu'ils s'étaient suicidés ?… ça, que le Schulze m'envoyait voir… je raffolais pas… y étaient morts ou étaient saouls… du moment que l'on célèbre quelque chose, bon ou mauvais, l'humain se rondit, bâfre, maximum… je prends ma seringue, ma trousse, mes ampoules… voyons si ça s'est pendu ? je me dis, tout près là, le 113 !… d'abord !… voyons !… toc ! toc ! on ne répond pas… le loufiat au « passe » ouvre… une femme sort du noir une belle brune… dépoitraillée, échevelée…

« Ah, c'est vous ! ah, c'est vous, cher docteur !… entrez donc, voyons, entrez ! »

Je crois qu'en fait de complot, ce qui se passe c'est plutôt un genre de partouze… combien ils sont ?… cinq six formes bougent… là-bas, au fond… pas mon affaire !… cette femme était assez distante, d'habitude… à peine un espèce de sourire… là, le peignoir ouvert je la vois plus aimable… brusque, elle m'embrasse !… elle veut peut-être que je me joigne ? zut ! je ne viens pas pour ça du tout !… je viens pour m'en aller ! ils sont combien ?… je distingue mal… un mélimélo… je reconnais un garçon d'étage et un commandant… et une manucure… à poil celle-là… et cinq… six couples… tout ça dans l'obscurité… ils ont tout fermé, ils n'ont qu'une bougie, une seule… qu'est-ce qu'ils foutent en plus qu'ils se massent ?… des incantations ?… ça sent l'encens… j'y vois mieux, je m'accommode, comme à la radio… la belle échevelée ne m'embrasse plus, elle me laisse, s'affale, tout de suite elle ronfle… ah je vois au mur une grande photo, celle d'Hitler, pendue à l'envers… avec, en large, un crêpe… à travers le cadre… ils devaient célébrer sa mort… ce que m'avait recommandé Schulze de jamais en parler à personne pardi !… que leur bombe avait fait fiasco !… ils étaient fins là, à se peloter comme si c'était réussi ! pas crevé l'Adolf !… pas du tout !… le colonel chauve et le môme liftier à même le tapis… saouls aussi les deux !… hoquetants… ils vomiraient… les autres aussi… pas drôles du tout… l'Hitler à l'envers qu'était drôle, orné du grand crêpe… je dis au porte-clés : « Ça va !… maintenant le 117 !… » je vois encore qu'ils ont mis des tables… trois… quatre… avec tout ce qu'il faut ! des poulets entiers découpés… des énormes compotiers de tout… fruits glacés… meringues… ils n'ont même pas pu y toucher tellement ils dégueulaient déjà… les caisses de champagne… ils en avaient pour bien huit jours… ma brune si accueillante ronfle… elle s'aperçoit pas que je m'en vais… les autres chambres doivent être aussi libertines… 214… 182… peut-être pas tous en messe noire… alors à jouer du piano… enfiler des perles… en attitudes édifiantes… dans les circonstances tragiques y a toujours deux clans, ceux qui vont voir couper les têtes, ceux qui vont pêcher à la ligne… on jouait du piano au salon, en bas, j'entendais… le tout de descendre trois étages… je dis au porte-clés : allons-y ! je m'étais pas trompé… pas qu'en un salon !… dans deux… dans trois salons… grand rassemblement des familles… oh, mais très convenables ! industriels, et généraux convalescents… et Français collaborateurs… pères, mères, les enfants et petits chiens… sûrement ils savent pour l'attentat… mais pas l'air du tout soucieux… tout à la musique !… j'entends… lieder… romances… juste notre Constantini chante… il a de la voix, c'est un fait… Mme von Seckt l'accompagne, très bien, sans partition… tout le répertoire… comme elle veut… tous les opéras…

Si vous croyez que je vais dire
qui j'ose aimer !

l'air favori de Mme von Seckt… désuet peut-être, mais agréable… surtout en ces salons d'époque, brocarts, velours, cordelières, pompons, hautes lampes, immenses abat-jour…

Si vous croyez

maintenant Amery !… le fils du ministre anglais… autant notre Constantini est plutôt hercule, autant Amery est le genre fluet… gentleman… dandy… oh mais pas affecté du tout !… ça va… puisqu'on chante, en avant… et qu'il s'accompagne lui-même !…

Mademoiselle d'Armentières, parlez-vous ?
Mademoiselle d'Armentières !

lui a plutôt la voix grave… il serait « basse »…

Mademoiselle d'Armentières…
hasn't been kissed for forty years !

Mme von Seckt n'est pas prise au dépourvu par la Mademoiselle d'Armentières !… qu'elle t'attaque, plaque de ces accords !… sur l'autre piano !… à secouer les familles !… qu'elles chantent aussi les familles !… au refrain !… en français !… et en anglais… vous dire jusqu'où peut aller la bonne entente…

Mais je vois là-bas tout au fond quelqu'un qui me fait signe… du vestibule… ce quelqu'un c'est Schulze… oh, je lui dirai rien du tout… on parle toujours trop… j'y vais… il m'emmène… un couloir… un autre… vers l'extrême autre aile de l'hôtel… les « salons de la correspondance »… où personne ne va jamais… encore un autre salon « Privat »… il s'assoit… moi aussi… à lui de parler…

« Docteur, tout ça va finir ! vous êtes certainement au courant…

— De rien du tout, Monsieur le ministre !… je n'ai rien vu ! rien entendu !

— Vous répondez très bien, Docteur ! mettons ! mettons !… mais moi alors je dois vous dire que toutes les chambres de cet hôtel doivent être évacuées cette nuit !… cette nuit même !… vides demain matin : mettons à midi !… Ordre du Ministère !… et pas une seule de ces personnes ne doit rester à Baden-Baden… avez-vous beaucoup de malades ?… je veux dire : malades alités ?…

— Deux… peut-être…

— Ils iront à l'hôpital… Mme von Seckt s'en va aussi…

— A l'hôpital ?

— Où elle voudra !… ou à l'asile… elle est folle… on viendra la chercher ce soir… ne lui dites rien !…

— Bien, Monsieur Schulze !…

— Vous Docteur vous, mes instructions… vous êtes affecté à Berlin à la Reichsarztkammer… le professeur Harras se chargera de vous là-bas… vous prenez le train demain à l'aube, un train de troupe… je vous conduirai à la gare… moi-même !… vous ne dites rien… à personne !…

— Oh, soyez sûr, Monsieur Schulze ! je peux tout de même emmener ma femme ?… et mon chat ?… et Le Vigan ?

— Certainement ! certainement !

« Mais ne voyez personne autre, voulez-vous ?… et ne dites au revoir à personne… je vous ferai porter dans votre chambre vos trois repas pour ce soir… et un panier pour le voyage… et demain à l'aube soyez prêts !… mettons cinq heures !…

— Certainement, Monsieur le ministre ! »

Ils se doutent pas les autres là-bas l'autre aile… ce qui les attend… ils chantaient toujours… on les entendait… un petit peu… ils écoutaient un autre artiste… cette fois, un Allemand… une très belle voix…