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Je gardais ces fortes pensées pour moi… nous passons par les bibel, entre leurs isbas… ils en ont fini !… vastes, hautes… énormes, je dirais… des monuments de troncs… les constructeurs demeurent dedans… ils sont mieux qu'au Tanzhalle… les médecins finlandais de Berlin, ceux qui se baignaient dans l'eau glacée, ne viendront jamais ! pardi ! qu'est-ce qu'il doit rester de tout ça !… pas plus que du « Zenith Hotel »… et du Pretorius et de son étage aux fleurs rares… ah, et le Rittmeister comte von Leiden !… vers par là qu'il était parti, Ouest Berlin, sabre au clair !… on l'avait vu !… il était bath… maintenant il devait y être ! qu'on n'en parlerait pas à la ferme ! ni de rien d'ailleurs… sauf d'Harras ! l'idée de La Vigue !… nous approchons de la roulotte, elle est toute petite à côté de l'isba… des isbas… les romanis nous font des signes, qu'on s'approche… nous passons… rien à leur dire !… ils voudraient nous refaire les cartes ?… nous en savons de trop !… de l'avenir et de ses attraits !… ah, nous voici à la ferme… dans la cour pavée… quelques oies, c'est tout… je me méfie des deux Français de la porcherie… surtout de Léonard… eux aussi nous font des signes…

« Oui !… oui !… tout à l'heure !… »

Il a plu… je remarque que la mare à purin a débordé jusqu'au milieu, la moitié de la cour, une vraie piscine… pas que le purin et la pluie, ça doit être aussi le jus de betteraves, je crois… des hauts silos… parce qu'une de ces odeurs, alors !… certes, on s'y fait… nous voici au petit escalier… je frappe… pas long, les autres là-haut nous ont vus venir, le cul-de-jatte, sa femme… une servante russe descend, ouvre… « Madame ! Monsieur ! krank ! » et vlang !… referme la lourde !… malades ?… je crois pas… mais au moins nous voici fixés !

« Tu comprends, La Vigue ?

— Oui !… oui !… ça va ! »

Y a plus qu'à retourner chez nous… oh, mais Léonard et Joseph ont bien tout regardé du fond de leur étable… et ils se foutent de nous !… ils nous font signe qu'ils ont quelque chose… eux !… quoi ?… nous longeons l'étang… le purin… nous voici chez eux… ils nous ont demandé… alors ?… j'attaque…

« Qu'est-ce que c'est ?… »

Il faut qu'on rentre !

« Vous raconterez à personne ?

— Y a des bourres, pas nous !

— Non !… non !… mais enfin…

— De quoi il s'agit ? »

Très simplement de deux Mauser qu'ils peuvent pas garder !… une vétille !… ils partent farfouiller dans leur paille du fond de l'étable… voici les objets !… ils nous les montrent… deux très gros pistol !

« Pour les mettre où ? »

Je demande…

« On a pensé à votre armoire… elle sera pas fouillée…

— Notre armoire ?

— Celle à Harras, quoi ! »

Je vois qu'il y a pas de secrets…

Si je leur refuse, je sais pas ce qu'il y a de très très moche, mais y a, la façon que je les vois petzouilles comploteurs, je me demande ce qu'ils vont encore trouver ?… il faut avoir l'air d'être d'avis…

« Oui… oui… vous avez raison ! »

Puisqu'il s'agit de planquer le joujou… je pense… sûrement pas dans l'armoire d'Harras !… n'importe où ailleurs !… déjà que tout le monde sait que je tape dans le tabac, ça suffit… les largesses que je fais, que si il reste encore longtemps loin, je ne sais où, il ne retrouvera plus rien Harras !… certainement que je les fouterai dans n'importe quel fossé mais pas dans l'armoire !

Pendant le mahlzeit je pensais qu'à ces chieries de pistol… je pensais qu'à ça… heil !… heil !… je me force à écouter ce qui se dit, on ne sait jamais !… babillages… narquois propos… de quoi ?… sur qui ?… juste, ça vaut la peine… Kracht moufte pas… la Kretzer qui mène… plaisanteries… à propos de nous ?… elle y met du rire… rire de ménagerie, genre crise de hyène… non ! pas de nous qu'il s'agit !… elle commente, ils commentent un ordre du Landrat, d'hier… « Toutes les armes, revolvers, fusils, grenades, doivent être remises au Tanzhalle »… un camion de la Kommandantur viendra les chercher… à l'aube… même les fusils de chasse !… aucune exception… tout contrevenant sera placé en « surveillance »… je vois pas la drôlerie… ah si ! mais si !… le cul-de-jatte a déjà remis son arme… lui !… et à Kracht !… fini de terroriser sa femme et les invités !… il tient à sa peau, cul-de-jatte !… il sait ce que c'est que la « surveillance »… et si il se méfie du Landrat, l'ami intime !… que tout le bled sache bien que lui est en règle !… l'avis aussi d'Isis sa femme, que, jalousie ou pas, qu'en lui laissant son fusil, il finirait bien par la tuer… et Cillie avec !… tout ça les faisait tordre, toute la table !… et même notre petite bossue… leur raison de rire ?… peut-être aussi de nous ?… nos soufflants ?… sûr, ils savaient… pas compliqué, qu'à nous regarder aller venir… assis encore !… mais debout, nos poches énormes !… La Vigue se tourne vers moi, si je comprends ?… bien sûr ! bien sûr !… tout !… la Kretzer devait pisser sous elle la façon qu'elle secouait sa chaise, la table… le tintamarre des assiettes !… elle en aboyait !… les sous-entendus les faisaient tous glapir !… irrésistibles !… dactylos, secrétaires, et même Kracht !… elle parlait pas allemand d'argot, mais en demi-mots et chutes de verbes… tout ça certainement contre nous… la preuve j'avais entendu le mot Mauser… à deux, trois reprises… entre aboyements… que même les filles là à glousser le mot leur était venu… Mauser… ça suffisait !… on avait assez compris !… hoquets pas hoquets !… pas aller les remonter chez nous ces Mauser-bibelots ! ça qu'ils nous avaient recommandé : dans nos paillasses ou dans l'armoire ! salut ! tout fiel, ces puants !… si ça devait être conclu, entendu, une « descente » chez nous ! d'abord !… et puis après, en bas, chez le vieux !… saisie ! mais je roupille pas moi, je fais semblant, j'avise, j'agis !… je me lève de table…

« Je suis malade La Vigue, faut que je sorte !… Lili toi, viens ! »

Avant qu'ils sachent nous sommes dehors… le péristyle, le parc… la première allée à gauche…

« Alors ?… alors ?…

— Alors ?… les soufflants ! »

Ceux-là on peut dire qu'on les a, et qu'ils pèsent ! Lili elle avait l'idée qu'on les redonne à Léonard… fameuse astuce !… ils refuseraient, sûr !… ils diraient que c'était pas eux, qu'on inventait, qu'on les provoquait… certainement ils avaient prévu, ils nous feraient cueillir et c'est tout ! pas pour d'autres raisons qu'ils nous avaient refilé leurs feux !… matois croquants faux derges, des mondes ! alors ?… la mare au purin ?… elle était énorme, profonde, bien noire… mais ils nous verraient opérer, certainement, toujours aux aguets, de leur porcherie… y avait d'autres trous de boue dans le village… mais lequel ?… à Grünwald c'était un cratère très profond tout rempli d'eau, où j'avais glissé mes grenades… ils les avaient retrouvées le lendemain !… du moment qu'ils cherchent ils trouvent… je veux dire les objets, pas les gens… là nous ayant vus aller venir ils retrouveraient sûrement nos Mauser, n'importe quel trou !… nous pouvions faire le tour des mares, en chercher une, nous rendre compte, pas compliqué, devant chaque chaumière ! une !… deux !… trois !… toutes presque à sec… les oies sont parties… là une enfin pleine de boue presque… les oies sortent, toutes !… et couac ! couac ! cent becs à l'assaut ! et ailes furieuses !… elles nous chargent !… du coup les ménagères viennent voir… cette émeute des oies !… ça recommence !… mais pas tant à nous qu'elles en veulent… ce qu'elles exigent c'est la grande bamboula d'orties, les brouettées de feuilles, comme l'autre jour ! elles nous reconnaissent de la ferme… mais nous n'avons rien à offrir… elles avaient pris goût… elles se souvenaient de nos têtes et qu'on les avait régalées !… pensez, des orties plein la cour ! des tas ! que c'était le moment qu'on recommence ! elles fonçaient, qu'on foute pas le camp sans les reconnaître !… qu'elles nous laisseraient jamais passer ! goulues avides salopes… comme les bourgeois aux repas de famille… elles étaient pas venues pour rien !… même que nous avions fait demi-tour ! elles nous chargeaient, et comment ! à dix !… à vingt !… et couac ! et couac ! pas qu'elles gardaient les chaumières, ni le Capitole, ni les marais, qu'elles se foutaient de tout, mais nous qu'elles voulaient ! nos orties !… goinfreuses ! qu'elles voulaient nous arracher tout !… le ventre… les manches… les côtes, couac ! couac !… le vice qu'on leur avait donné !… nos canadiennes !… nous ouvrir tout… nous sortir tout ce qu'on avait dedans ! nous arracher les yeux !… avec les orties !… je comprends le coup de Rome, que les barbares se soient sauvés ! pardi ! je voyais toutes les oies de Zornhof comme elles étaient ameutées, pour des paquets d'herbes à leur goût, que personne avait pu passer… comme le peuple parisien avait pris Versailles à l'assaut pour ramener ce qu'il lui fallait, le couple royal et les têtes… là, de la cour de la ferme, on avait pu s'échapper que par une petite porte, et la soute à tourbes et au bois… ici là nous qu'on se fasse pas déchiqueter ! c'est que d'avancer à petits pas, bien serrés, et bras dessus bras dessous, les mains ouvertes devant les yeux… très courageusement… que ces foutues oies ne nous arrachent pas tout !… jusqu'après l'église !… très heureusement, je connaissais un sentier de briques entre deux chaumières, très très étroit… impossible aux oies… je savais comment me faufiler entre huttes, cahutes, sans être trop vu… je faisais toujours attention aux contours, détours… je commençais un peu à le connaître ce satané hameau… maintenant là ouf ! nous y sommes ! la cuisine des bibelforscher ! le sergent cuistot nous connaît bien… heil ! heil ! deux paquets de Lucky par jour !… maintenant sa tambouille, soupe aux choux, raves, saucisses… ça sera pour Bébert… il mangera pas tout… nous un petit peu, le reste pour les rats… oh, mais je vois un invité ! pas un inconnu !… c'est le sergent manchot du terrain… je le voyais pas… avec une canne… qu'est-ce qu'il fout là ?… heil ! heil !… on se reconnaît… le sergent au rouge-gorge !… comment va son petit oiseau ?… pas mal du tout !… le sergent me raconte, son abri était plus tenable, là-bas, de plus en plus de gaspards, plus énormes, et le pire, la flotte !… une pluie !… que son bunker en fait d'abri débordait !… tourné réservoir !… son lieutenant commandant le terrain était pas revenu, ils l'avaient piqué, expédié à l'Est… quand il reviendrait ?… personne savait… lui le sergent manchot personne lui avait rien demandé, il n'avait reçu aucun ordre… il s'était replié sur Zornhof avec son rouge-gorge… il s'était mis à la popote du Tanzhalle… c'est là aussi qu'il couchait… y avait de la place !… tous les autres créchaient aux isbas… une chose aussi au Tanzhalle ils avaient l'électricité, le seul endroit de Zornhof… le courant pour la menuiserie, l'atelier… et par un très bruyant moteur !… un condé aussi comme barouf, vous pouviez y aller, dire n'importe quoi, le Diesel couvrait tout !… et broum ! même les gueulements… alors si le manchot s'en donnait !… il aimait pas les gens de la ferme !… et il le hurlait !… tous de la ferme, les Russes et les propriétaires !… dans le même sac !… aux chiottes !… ah qu'ils pouvaient se foutre de lui et de son uniforme !… ils en verraient d'autres !… broum ! ptaf ! Diesel ! donner ! le cuistot essayait qu'il gueule moins… il pouvait pas s'empêcher ! son indignation !… qu'ils le mettaient en boîte !… pas que les von Leiden… leurs larbins aussi !… polaks !… Russes… franzosen… tous lui demandaient pourquoi il montait pas là-haut arrêter les « forteresses » ?… qu'il était aviateur ou non ?… même avec un bras !… qu'il avait qu'à se faire un avion avec ce qu'il restait là-bas, les monceaux de ferrailles, qu'ils l'aideraient ! qu'est-ce qu'il attendait ?… foutre que c'était pas son avis !… eux qui devraient tout de suite se creuser une fosse et s'enterrer tous !… ils bêchent assez ! cette foutue plaine ! tous au trou, et dans la chaux vive !… larbines, les seigneurs, et les mômes !… au trou tout !… il le hurlait… le sergent cuistot trouvait qu'il avait bien raison mais que tout de même il criait trop fort… pourtant le Diesel à plein régime ! braoum !… que les hangars en tremblaient… il gueulait plus fort que la scie… des ménagères pouvaient passer… pour lui couvrir quand même la voix, mieux que le Diesel, les « forteresses » et les bombes, qu'on puisse plus du tout l'entendre, y avait la ressource du gramophone… l'instrument restait à sa place dans un coin de la salle de danse… celui-ci alors faisait ce qu'il faut !… par trois pavillons ! je l'avais entendu beugler quand les bibel, une compagnie, étaient venus à l'épluchage aux patates… eux qui devaient jamais se dire un mot, profitaient d'être au Tanzhalle pour se filer des tubards… ils n'avaient pas beaucoup de disques… à part les psaumes pour le service du dimanche… « nun freut euch liebe christengemein… » et puis « c'est un rempart que notre Dieu »… le sergent cuistot se marrait bien de l'entendre beugler contre les disques, et la scie, le Diesel et les bombes !… furieux total !… « tous à la chaux vive !… je te les ferai monter au ciel, moi !… toi aussi ! cuistot bibel de mes fesses ! » braoum ! Vrrang !… et que ça le faisait pas taire du tout !… au contraire !… « von Leiden ! là ! là ! au trou avec !… la femme et le cul-de- jatte ! » ils se doutaient de rien… l'Harras avec !… qu'il était parti éclaireur !… « au trou ! au trou ! » Harras… le rusé !… et comment ! le bouquet !