« Votre Landrat ! »
l'appelait Lili… pas du tout le nôtre ! zut !… maintenant aux détails !… que le sergent manchot avait dû quitter son bunker, qu'il pouvait plus tenir, inondé !…
« Et son rouge-gorge ? »
Tout ce que voulait savoir Lili…
« La même cage ?
— Oui… oui… la même ! »
Voilà qui l'intéressait ! cette barbarie !… une si petite cage !… je crois Lili, les tragédies d'hommes elle en voyait tellement autour, que c'était entendu, tout voulu, pas à s'en mêler… tandis que les malheurs des bêtes, personne y faisait attention, alors pour elle y avait que les bêtes qui existaient… le temps a passé, et bien des choses… à réfléchir je crois qu'elle avait assez raison…
En tout cas, maintenant, nos poches !… planquer nos engins… j'étais moi plutôt d'avis d'aller les noyer, mais où ?… comme j'avais fait à Berlin, avec les grenades… dans le trou d'eau des bains finlandais… certes, ils les avaient repêchées, et pas longs !… mais ici y avait moins de chances, on regarde pas souvent dans le purin… La Vigue trouvait que j'avais raison… n'importe quoi n'importe où mais qu'on se débarrasse… Lili elle voyait pas ainsi… du tout !… méfiante, même certaine que nos deux affreux, Léonard, Joseph, allaient guetter nos moindres gestes… et qu'ils la trifouilleraient la mare !… eux !… que tout était prévu, convenu !… soit !… La Vigue, moi, irions au petit jour ! question d'urgence c'était urgent… exact !… tout de même il fallait attendre l'aube… des heures encore… on pouvait un peu s'allonger, la paille manquait pas… Bébert dans son sac, Lili, moi, La Vigue côte à côte… je peux pas dire que j'étais tranquille… non !… y avait pas de quoi… je commençais à plus savoir… un peu le droit d'être fatigué !… non !… pas le droit !… du luxe, la fatigue… les gens miteux surtout nous autres avions que le droit de faire attention… réfléchir… réfléchir encore… je vous parle plus des bruits de Berlin, des écrasements, des rafales… des « aller et retour » plein les nuages… vous savez je vous ai assez dit… le fastidieux manège… tout de même Hjalmar, je pensais à lui, ses appels au bugle… où il pouvait être celui-là ?… et le pasteur donc ? bien des questions à se poser… bien une heure que je me demandais… je ne dormais pas… j'entends un bruit dans l'escalier… oui !… un pas… quelqu'un à notre porte… et toc ! toc ! pas du tout imaginaire… on a frappé !… à cette heure-ci ?… je me secoue de la paille, je me lève, j'y vais… j'ouvre… trois marches plus bas, une voix !… c'est Kracht !… il me chuchote, il veut pas me parler dans notre chambre… il demande que je descende avec lui jusqu'au péristyle… bien !… tel quel !… je le suis… il m'emmène pas loin, il me dit tout de suite de quoi il s'agit… il me le dit en allemand bien simple… je le comprends… oh je me doutais ! que Léonard et Joseph nous ont dénoncés le matin même, comme « saboteurs et détenteurs d'armes »… oui ! oui !… que le Landrat a donné l'ordre de fouiller notre tour, et nos vêtements et nos paillasses, et de tout saisir… Kracht me chuchote ces bonnes nouvelles… on fait théâtre ! de quoi rire !… avec fond de lueurs d'incendie, jusqu'aux nuages, Berlin qui brûle… fond très sonore !… boum ! brang ! petites bombes et les grosses ! ils ont pas ça à « l'Ambigu » ni dans aucun cinéma… alors ? alors ?… au fait !… la suite !… là, il m'épate… que je lui donne les deux Mauser, le mien et celui de La Vigue… que j'aille pas les jeter !… qu'il les garderait pour lui !… rien au Landrat !… nichts ! nichts ! rien !… est-ce que je comprenais ?… parfaitement !… très bien ! c'était un peu fort mais bon !… bon !… pourquoi il voulait les Mauser ?… ça le regardait !… j'ai jamais su !… en tout cas j'étais de son avis !… il s'organisait une défense ?… privée ?… contre la Wehrmacht ? contre les Anglais ? contre les prisonniers ?… plus tard en prison au Danemark j'ai entendu bien des récits de mutineries S.S… S.A… kriegsmarine… j'étais avec eux… tellement de conjurations à bombes, à poisons, à couteaux, que c'est vraiment extraordinaire que ce régime ait tenu dix années… vous me direz : Poléon, César, Alexandre, Pétain ont tenu aussi une… deux décades !… sitôt que vous êtes oint, couronné, porté, installé sur le trône, maître de tout… le bacchanal commence… vous échappez plus !… baisers, nœuds coulants, bouquets, dinamiteros… votre peuple chéri, attendait que ce haut moment pour vous montrer ce qu'il attend de vous, vos boyaux hors et plein l'arène… vos hominiens…
Là, je vois Roger et ses comics !… Achille à son deuxième milliard !… passons ! avec Kracht je riais pas, j'allais pas lui poser de questions… il me débarrassait, c'était tout !… si il complotait ?… son affaire !… résistait ?… que je grimpe vite chercher les objets !… je monte à tâtons… je veux pas me tromper de porte… je suis comploteur bien malgré moi… je rigolerai plus tard ! d'abord que je me casse pas la gueule ! je faille… je titube beaucoup sans mes cannes… La Vigue est très étonné…
« Tu crois ?… tu crois ?… »
Je lui réponds pas… je redescends…
« Écoutez Docteur !… écoutez !… »
Il me chuchote encore plus bas…
« Si quelqu'un vous demande…
— Me demande quoi ?
— Ce qui s'est passé…
— Alors ?
— Vous répondrez : rien !… vous vous souviendrez ?… nichts ! vous prononcez nix !
— Oui ! entendu ! nix !
— Là-haut aussi : nix ! n'est-ce pas ?
« D'abord on vous demandera rien ! »
Et ça le fait rire ! je trouvais tout ça bien barbouillé, énigmes sur énigmes… toujours une chose : on avait plus nos Mauser ! qu'ils en fassent foutre des confitures ! à leur bonne santé ! toutes ces manigances pour nous ?… un moment donné tout se peut !… vingt ans après je me demande encore… que l'endroit existe même plus !… enfin sous ce nom… ni les gens… les von Leiden… leur manoir, leur ferme… j'ai demandé à bien des personnes… Allemands de l'Est… à d'autres de l'Ouest… Zornhof ?… ils ne savent pas… nix !… si c'est occupé ?… il m'a semblé, certains indices, par des Polonais… pas sûr du tout !… en tout cas une chose, précise, il est temps qu'on refasse les cartes, honnêtes… comme nous avions à l'école… pas tant du pôle Nord au pôle Sud qu'ont plus un secret, plus « relevés » les moindres replis, plus fréquentés que les « Pas-Perdus »… mais d'Europe toute proche, dont on ne sait plus rien… avec ce qui s'y passe… nix !