Juste au moment. vzzzz ! un petit avion pique… de très haut… nous passe par-dessus, pas le temps de faire : ouf ! et nous repasse !… et encore !… en loopings !… je me ressaisis… je le vois… c'est un « Marauder », un escorteur de « forteresses »… c'est déjà arrivé deux fois… il y a un mois… comme ça, qu'ils piquent se rendre compte… là je comprends c'est les torch à Kracht… ils ont tout de même autre chose à faire, je pense !… on dit rien nous aux « forteresses » !… et les revoici !… vrai, ils insistent !… et chaque « piqué » ils illuminent vingt… trente chandelles au phosphore !… et qui se balancent, voguent… d'un nuage l'autre… ils veulent tout voir… les chandelles crépitent, flamboient… on a plus rien à leur cacher !… plus clair que le plein jour… les arbres, les isbas, la roulotte, la mare, tout !… comme au soleil !… et les ménagères, et le Landrat qui attend dans l'herbe, sur le dos… plutôt je dois dire sur une litière de feuilles trempées… les bibel l'ont tiré de la mare, l'ont déposé au bord des algues, les mains jointes, là… je pense ces avions à chandelles vont peut-être se décider nous verser ce qu'il faut ? qu'on en finisse !… un bon coup : broum ! le hameau, l'église et nous !… et le Landrat ! bordel ! vzzz ! broum !
« Dis donc pote, tu crois pas que ça y est ? »
La Vigue est plus béat du tout, il me demande plus si je suis heureux… non !… il est même sûr que ça va mal… il reprend conscience… je veux pas dire comme lui, mais vraiment on a tout fait pour… que les acrobates R.A.F. nous giclent et broum ! ça sera pas volé… surtout Kracht avec ses torch… il voulait plus les éteindre… tout le public de la séance était là, et les gitans, et qui savaient tout ! ils commentaient !… ils ne savaient rien, ils y étaient pas, ils étaient là-bas avec nous, donc ils inventaient !… et avec détails ! quels détails ! comment le Landrat était mort, la façon qu'on l'avait saisi et étranglé !… pour se rendre intéressants les gens inventent n'importe quoi… vous me direz : et vous sale merle ?… moi c'est du vrai, c'est de l'exact, rien de gratuit !… qu'on se le dise !… je minimise plutôt… chroniqueur aimable… ils étaient pas à la ferme, ni dans la cour… alors ? qu'est-ce qu'ils ont pu voir ?… ils savent, c'est tout… la preuve ils nous mènent… où ?… c'est pas assez du Landrat, y a un autre noyé !… qu'ils disent !… qui c'est l'autre ?… je vois la comtesse Tulff-Tcheppe… elle nous évitait depuis huit jours… là elle est là, je profite pour l'interroger… où était le Landrat ?… à la ferme ? oui, elle avait dîné avec lui… donc il sortait juste quand ils l'avaient attaqué et estourbi et noyé… où il allait ?… nous retrouver, pardi !… puisqu'il présidait la séance !… c'est en traversant la cour qu'ils l'avaient abattu d'abord, et puis garrotté… la comtesse hésitait pas, elle accusait, mais qui ?… les assassins l'avaient traîné jusqu'à la mare, et jeté dedans… je le savais comme elle, il était sur un lit d'algues… qu'elle aille y voir !… la R.A.F. nous gâtait, c'était illuminé, une fête !… des bougies maintenant par centaines, plein l'air !… j'ai dit !… plus éclairé que du plein jour !… qu'est-ce qu'il fallait regarder maintenant ? ils nous houspillent tous qu'on se dépêche, qu'on profite qu'il fait si clair !… tout l'hameau est là, et les Kretzer, Monsieur, Madame, et les bibel et les prisonniers… j'avais bien du mal, mais hop !… je remarque, je vois pas Léonard, ni l'autre… Nicolas le colosse est au beau milieu de la cour, à genoux, en train de rendre… trop bouffé ? trop bu ?… il a fini paraît-il toutes les bouteilles de la cuisine… y avait de la réserve… il savait… bon !… pourtant je l'avais jamais vu saoul… une folie, parce qu'on était à la soirée ?… peut-être qu'il faisait seulement semblant ?… et son cul-de-jatte ?… où il l'avait mis ?… il le portait partout… le quittait jamais !… tout le monde lui demande…
« Nikolas !… Nikolas ! dis où ? »
Nikolas dégueule vraiment, je vois… et il se fait secouer !… tout le monde le secoue ! qu'il réponde quelque chose !… c'est pas tout de vomir !
« Sagt Nikolas !… dis ! dis ! »
Il répond rien, il s'allonge…
« Sagt ! »
Sur le flanc il vomit encore plus… à même la boue, et des glaires… un poison ?… je me demande… la R.A.F. se surpasse, une illumination grandiose… on voit tout le parc, l'église, les chaumes… jamais si bien, si net…
« Sagt Nikolas ! dis ! »
Il se crispe, il fait des efforts… plein de petites flammèches à présent… et qui remontent au ciel… voguent… ça pourrait mettre le feu partout !… des virgules… ça y est peut-être déjà ? quelque part ?… une chose qui compte, le reste on verra, ce qu'est devenu le cul-de-jatte ?… au moment juste, si critique, une ménagère attire Kracht, par son ceinturon, elle veut lui parler, absolument lui parler… ils s'éloignent… là-bas je les vois, elle fait des gestes, elle lui montre vers nous, quelque chose… ah, ça y est !… la fosse ! la fosse au purin qu'elle lui montre du doigt, là… pour ça qu'elle voulait lui parler… tout de suite, mon intelligence… je me dis : elle, elle sait !… pas très ardu !… elle, elle a vu le grand Nicolas balancer le cul-de-jatte… je me gourais pas !… Kracht siffle deux coups, à roulette !… il avait au moins quatre sifflets… et que ça radine !… plein de bibelforscher ! il leur donne un ordre… des ordres !… je crois, qu'ils aillent chercher le cul-de-jatte… tout de suite ! au fond du purin ! il me semble… ce trou-là est plus dangereux que l'autre… l'autre était qu'en herbes et en boue… celui-ci est en ciment armé… j'entends ce qu'ils discutent… profond il paraît, hauteur d'homme, et pas vidé depuis trois ans !… ils attendaient la fin de la guerre… le tronc, s'il est au fond, peut attendre la fin de la guerre !… avec La Vigue on se marrerait si y avait pas Isis et la môme… ça discute autour de la cuve… construite exprès pour les betteraves, le jus des silos, et puis après pour le purin, les quatre cents vaches… on apprend des choses… cette cuve, on pouvait pas y aller comme ça, il fallait d'abord la vider… comment ? ouvrir la vanne… et on trouverait le cul-de-jatte au fond !… Nicolas avait rien dit il était toujours sur le flanc là, à essayer de vomir.. il hoquetait…
« Sagt Nikolas ! »
Tout le monde essayait qu'il parle… la ménagère l'avait vu !… elle !… ballotter le cul-de-jatte !… elle montrait comment… il était seul dans la cour, avec l'infirme sur son dos, à califourchon, comme d'habitude, il longeait le purin, et vloff ! te l'avait balancé ! loin !… elle avait vu… plouf ! ça avait fait !… il allait au Tanzhalle, avec son cul-de-jatte… le Landrat devait nous rejoindre… aussi… lui avait fini dans l'autre mare… lui aussi venait de la ferme von Leiden… mais lui personne avait vu le coup… le cordon… la strangulation… pourtant presque au même moment… enfin ça se saurait… plus tard… si on avait le temps !… l'urgence, sortir le cul-de-jatte !… ouvrir la vanne !… ça ils savaient ! c'était paraît-il une grosse perte, ce purin lourd valait très cher… ils s'y mettent… à six… à huit… que ça dégouline, se déverse ! et à flots !… y en a !… de là-haut il ne descend plus de bougies, ni de flammèches… on les amuse plus, ils savent… ils éclairent plus, il fait noir… juste les deux torch à Kracht… l'R.A.F. nous a rien largué !… qu'avec une seule petite bombe ils auraient pu tout finir et Zornhof avec nos mystères et les mares et nos avenirs si compromis et l'épicerie et le Tanzhalle !… ils s'étaient amusés c'est tout, on n'avait pas valu une bombe… les bibel avaient fait céder la vanne à coups de bêche… le jus cascadait, du jus précieux, de quoi fumer bien des hectares… Kracht à genoux sur le rebord essayait de repérer le cul-de-jatte… dans la glu du fond… l'épaisseur… ça y est !… tout de suite !… il l'a !… il me montre… une profondeur d'au moins deux mètres !… que Nicolas l'ait fait exprès ?… possible !… qu'il se soit rendu malade lui-même ?… qu'il puisse pas répondre ?… bien capable ?… avec quoi ?… la gniole ?… un poison ?… de la mort-aux-rats ?… pas moi qu'irai dire ci… cela…