Выбрать главу

Sa lettre avait plu. Il écrirait. Il écrivit. Presque chaque nuit, en rentrant, à l’heure où l’esprit, animé par toutes les agitations du jour, regarde ce qui l’intéresse ou l’émeut dans une sorte de grossissement d’hallucination, il s’asseyait à sa table, sous sa lampe, et s’exaltait en pensant à elle. Le germe poétique que laissent mourir en eux, par paresse, tant d’hommes indolents grandit dans cet entraînement. À force d’écrire les mêmes choses, la même chose, son amour, sous des formes que renouvelait le renouveau quotidien de son désir, il enfiévra son ardeur dans cette besogne de tendresse littéraire. Il cherchait tout le long des jours, et trouvait pour elle des expressions irrésistibles que l’émotion surexcitée fait jaillir du cerveau comme des étincelles. Il soufflait ainsi sur le feu de son propre cœur et l’allumait en incendie, car les lettres d’amour vraiment passionnées sont souvent plus dangereuses pour celui qui les écrit que pour celle qui les reçoit.

À force de s’entretenir lui-même dans cet état d’effervescence, de chauffer son sang avec des mots et de faire habiter son âme avec une pensée unique, il perdit peu à peu la notion de la réalité sur cette femme. Cessant de la juger telle qu’il l’avait vue d’abord il ne l’apercevait plus à présent qu’à travers le lyrisme de ses phrases ; et tout ce qu’il lui écrivait chaque nuit devenait dans son cœur autant de vérités. Ce travail quotidien d’idéalisation la lui montrait à peu près telle qu’il l’aurait rêvée. Ses anciennes résistances tombaient d’ailleurs devant l’indéniable affection que lui témoignait Mme de Burne. Certes, en ce moment, bien qu’ils ne se fussent rien dit, elle le préférait à tous, et le lui montrait ouvertement. Il pensait donc avec une espèce de folie d’espérance qu’elle finirait peut-être par l’aimer.

Elle subissait, en effet, avec une joie compliquée et naïve la séduction de ces lettres. Jamais personne ne l’avait adulée et chérie de cette manière, avec cette réserve silencieuse. Jamais personne n’avait eu cette idée charmante de faire apporter sur son lit, à chaque réveil, dans le petit plateau d’argent que présentait la femme de chambre, ce déjeuner de sentiment sous une enveloppe de papier. Et ce qu’il y avait de précieux à cela, c’est qu’il n’en parlait jamais, qu’il semblait l’ignorer lui-même, qu’il demeurait, dans son salon, le plus froid de ses amis, qu’il ne faisait pas une allusion à toute cette pluie de tendresse dont il la couvrait en secret.

Certes elle avait reçu déjà des lettres d’amour, mais d’un autre ton, moins réservées, plus pressantes, plus semblables à des sommations. Pendant trois mois, ses trois mois de crise, Lamarthe lui avait consacré une jolie correspondance de romancier fort séduit qui marivaude littérairement. Elle avait en son secrétaire, dans un tiroir spécial, ces très fines et très séduisantes épîtres à une femme, d’un écrivain vraiment ému qui l’avait caressée de sa plume jusqu’au jour où il perdit l’espoir du succès.

Les lettres de Mariolle étaient tout autres, d’une concentration de désir si énergique, d’une sincérité d’expression si juste, d’une soumission si complète, d’un dévouement qui promettait d’être si durable, qu’elle les recevait, les ouvrait et les goûtait avec un plaisir qu’aucune écriture ne lui avait encore donné.

Son amitié pour l’homme s’en ressentait, et elle l’invitait à venir la voir d’autant plus souvent qu’il apportait dans ses relations cette discrétion absolue, et semblait ignorer, en lui parlant, qu’il n’eût jamais pris une feuille de papier pour lui dire son adoration. Elle jugeait d’ailleurs la situation originale, digne d’un livre, et trouvait, dans sa satisfaction profonde à sentir près d’elle cet être qui l’aimait ainsi, une sorte de ferment actif de sympathie qui le lui faisait juger d’une façon particulière.

Jusqu’ici, dans tous les cœurs troublés par elle, elle avait pressenti, malgré la vanité de sa coquetterie, des préoccupations étrangères ; elle n’y régnait pas seule ; elle y trouvait, elle y voyait des soucis puissants qui ne la touchaient point. Jalouse de la musique avec Massival, de la littérature avec Lamarthe, et toujours de quelque chose, mécontente des demi-succès qu’elle obtenait, impuissante à tout chasser devant elle dans ces âmes d’hommes ambitieux, d’hommes en renom ou d’artistes pour qui la profession est une maîtresse dont rien ni personne ne peut les détacher, elle en rencontrait un pour la première fois à qui elle était tout. Il le lui jurait au moins. Seul, le gros Fresnel l’aimait autant, assurément. Mais c’était le gros Fresnel. Elle devinait que jamais personne n’avait été possédé par elle de cette façon ; et sa reconnaissance égoïste pour le garçon qui lui donnait ce triomphe prenait des allures de tendresse. Elle avait besoin de lui maintenant, besoin de sa présence, besoin de son regard, besoin de son asservissement, besoin de cette domesticité d’amour. S’il flattait moins que les autres sa vanité, il flattait davantage ces souveraines exigences qui gouvernent l’âme et la chair des coquettes, son orgueil et son instinct de domination, son instinct féroce de calme femelle.

Comme un pays dont on s’empare, elle accapara sa vie peu à peu par une succession de petits envahissements plus nombreux chaque jour. Elle organisait des fêtes, des parties au théâtre, des dîners au restaurant, pour qu’il en fût ; elle le traînait derrière elle avec une satisfaction de conquérante, ne pouvait plus se passer de lui ou plutôt de l’esclavage auquel il était réduit.

Il la suivait, heureux de se sentir ainsi choyé, caressé par ses yeux, par sa voix, par tous ses caprices ; et il ne vivait plus que dans un transport de désir et d’amour, affolant et brûlant comme une fièvre chaude.

Deuxieme partie

I

Mariolle venait d’arriver chez elle. Il l’attendait, car elle n’était pas rentrée, bien qu’elle lui eût donné rendez-vous par une dépêche bleue, le matin.

Dans ce salon, où il aimait tant se sentir, où tout lui plaisait, il éprouvait cependant chaque fois qu’il s’y trouvait seul, une oppression du cœur, un peu d’essoufflement, d’énervement, qui l’empêchaient d’y rester assis tant qu’elle n’avait point paru. Il marchait, dans une attente heureuse, avec la crainte que quelque obstacle imprévu ne l’empêchât de revenir et ne remît au lendemain leur rencontre.

Quand il entendit s’arrêter une voiture devant la porte de la rue, il eut un tressaillement d’espoir, et lorsque sonna le timbre de l’appartement, il ne douta plus.

Elle entra, son chapeau sur la tête, ce qu’elle ne faisait jamais, avec un air pressé et content.

— J’ai une nouvelle pour vous, dit-elle.

— Laquelle donc, Madame ?

Elle se mit à rire en le regardant.

— Eh bien ! Je vais passer quelque temps à la campagne.

Un chagrin le saisit, subit et fort, que son visage refléta.