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Il marchait à côté d’elle, sans trouver rien à lui dire ; et le frôlement de sa robe, le coudoiement, parfois, de son bras, la rencontre, si parlante, de leurs regards, l’anéantissaient complètement, comme s’ils eussent tué en lui sa personnalité d’homme. Il se sentait soudain détruit par le contact de cette femme, absorbé par elle jusqu’à n’être plus rien, rien qu’un désir, rien qu’un appel, rien qu’une adoration. Elle avait supprimé tout son être ancien comme on flambe une lettre.

Elle vit bien, elle comprit cette absolue victoire, et vibrante, et touchée, plus vivante aussi dans cet air de campagne et de mer plein de rayons et de sève, elle lui dit, en ne le regardant point :

— Je suis si contente de vous voir !

Tout de suite elle ajouta :

— Combien restez-vous de temps ici ?

Il répondit :

— Deux jours, si aujourd’hui peut compter pour un jour.

Puis, se tournant vers la tante :

— Est-ce que Mme Valsaci consentirait à me faire l’honneur de venir passer la journée de demain au Mont Saint-Michel avec son mari ?

Mme de Burne répondit pour sa parente :

— Je ne lui permettrai pas de refuser, puisque nous avons la chance de vous rencontrer ici.

La femme de l’ingénieur ajouta :

— Oui, Monsieur, j’y consens bien volontiers, à la condition que vous dînerez chez moi ce soir.

Il salua en acceptant.

Soudain ce fut en lui une joie délirante, une de ces joies qui vous saisissent quand on reçoit la nouvelle de ce qu’on a le plus espéré. Qu’avait-il obtenu ? Qu’était-il arrivé de nouveau dans sa vie ? Rien ; et pourtant il se sentait soulevé par l’ivresse d’un indéfinissable pressentiment.

Ils se promenèrent longtemps sur cette terrasse, attendant que le soleil disparût, pour voir jusqu’à la fin se dessiner sur l’horizon de feu l’ombre noire et dentelée du Mont.

Ils causaient à présent de choses simples, répétant tout ce qu’on peut dire devant une étrangère et se regardant par moments.

Puis on rentra dans la villa, bâtie, à la sortie d’Avranches, au milieu d’un beau jardin dominant la baie.

Voulant être discret, un peu troublé d’ailleurs par l’attitude froide et presque hostile de M. de Pradon, Mariolle s’en alla de bonne heure. Quand il prit, pour les porter à sa bouche, les doigts de Mme de Burne, elle lui dit deux fois de suite, avec un accent bizarre : « À demain, à demain. »

Dès qu’il fut parti, M. et Mme Valsaci, qui avaient depuis longtemps des habitudes provinciales, proposèrent de se coucher.

— Allez, dit Mme de Burne, moi je fais un tour dans le jardin.

Son père ajouta :

— Et moi aussi.

Elle sortit, enveloppée d’un châle, et ils se mirent à marcher côte à côte sur le sable blanc des allées que la pleine lune éclairait, comme de petites rivières sinueuses à travers les gazons et les massifs.

Après un silence assez long, M. de Pradon dit presque à voix basse :

— Ma chère enfant, tu me rendras cette justice que je ne t’ai jamais donné de conseils ?

Elle le sentait venir, et, prête à cette attaque :

— Je vous demande pardon, papa, vous m’en avez donné au moins un.

— Moi ?

— Oui, oui.

— Un conseil relatif à… ton existence ?

— Oui, et même un très mauvais. Aussi je suis bien décidée, si vous m’en donnez d’autres, à ne pas les suivre.

— Quel conseil t’ai-je donné ?

— Celui d’épouser M. de Burne. Ce qui prouve que vous manquez de jugement, de clairvoyance, de la connaissance des hommes en général et de la connaissance de votre fille en particulier.

Il se tut quelques instants, un peu surpris et embarrassé, puis lentement :

— Oui, je me suis trompé ce jour-là. Mais je suis sûr de ne pas me tromper dans l’avis très paternel que je te dois aujourd’hui.

— Dites toujours. J’en prendrai ce qu’il faudra.

— Tu es sur le point de te compromettre.

Elle se mit à rire, d’un rire trop vif, et complétant sa pensée.

— Avec M. Mariolle sans doute.

— Avec M. Mariolle.

— Vous oubliez, reprit-elle, que je me suis compromise déjà avec M. Georges de Maltry, avec M. Massival, avec M. Gaston de Lamarthe, avec dix autres, dont vous avez été jaloux, car je ne peux pas trouver un homme gentil et dévoué sans que toute ma troupe se mette en fureur, vous le premier, vous que la nature m’a donné comme père noble et régisseur général.

Il répondit vivement :

— Non, non, tu ne t’es jamais compromise avec personne. Tu apportes, au contraire, dans tes relations avec tes amis beaucoup de tact.

Elle reprit crânement :

— Mon cher papa, je ne suis plus une petite fille, et je vous promets que je ne me compromettrai pas davantage avec M. Mariolle qu’avec les autres ; ne craignez rien. J’avoue cependant que c’est moi qui l’ai prié de venir ici. Je le trouve charmant, aussi intelligent et bien moins égoïste que les anciens.

C’était également votre avis jusqu’au jour où vous avez cru découvrir que je le préférais un peu. Oh ! Vous n’êtes pas si malin que ça ! Je vous connais aussi, et je vous en raconterais long, si je voulais. Donc, M. Mariolle me plaisant, je me suis dit qu’il serait fort agréable de faire par hasard avec lui une belle excursion, qu’il est stupide de se priver, quand on ne court aucun danger, de tout ce qui peut nous amuser. Et je ne cours aucun danger de me compromettre puisque vous êtes là.

Elle riait franchement, à présent, sachant bien que chaque parole portait, qu’elle le tenait entravé par ce soupçon jeté de jalousie un peu suspecte flairée en lui depuis longtemps, et elle s’amusait de cette découverte avec une coquetterie secrète, inavouable et hardie.

Il se taisait, gêné, mécontent, irrité, sentant aussi qu’elle devinait, au fond de sa paternelle sollicitude, une mystérieuse rancune dont il ne voulait pas lui-même connaître l’origine.

Elle ajouta :

— Ne craignez rien. Il est tout naturel de faire en cette saison une promenade au Mont Saint-Michel avec mon oncle, ma tante, vous, mon père, et un ami. On ne le saura pas d’ailleurs. Et si on le sait personne n’y peut trouver rien à redire. Quand nous serons de retour à Paris, je ferai rentrer cet ami dans les rangs avec les autres.

— Soit, reprit-il ; mettons que je n’ai pas parlé.

Ils firent encore quelques pas. M. de Pradon demanda :

— Revenons-nous à la maison ? Je suis fatigué, je vais me coucher.

— Non, moi je me promène encore un peu. La nuit est si belle.

Il murmura, avec des intentions :

— Ne t’éloigne pas. On ne sait jamais quelles gens on peut rencontrer.

— Oh ! Je reste sous les fenêtres.

— Alors adieu, ma chère enfant.

Il la baisa rapidement sur le front, et rentra.

Ella alla s’asseoir plus loin sur un petit banc rustique planté en terre au pied d’un chêne. La nuit était chaude, pleine d’exhalaisons des champs, d’effluves de la mer et de clarté brumeuse, car, sous la lune épanouie en plein ciel, la baie s’était voilée de vapeurs.

Elles rampaient comme de blanches fumées et cachaient la dune, que la marée montante devait à présent couvrir.