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— L’affaire Feilgueiras nous place face à l’un des problèmes cruciaux de notre société. Pourquoi cet homme a-t-il été assassiné ? Qu’avait-il inventé ? Voilà presque dix ans que je travaille dans le domaine de la recherche des inventions au sein de l’ordre. Je sais que dès qu’une bonne idée émerge, c’est la course à celui qui s’en rendra maître le premier. Le brevet est la clef. Je suis chaque jour témoin de tout ce que le milieu des affaires industrielles déploie d’énergie et de moyens pour contrôler la propriété des brevets. Ce n’est pas toujours reluisant. Chaque invention peut générer une fortune, créer un empire, et nombreux sont ceux qui sont prêts à tout pour s’assurer la plus grosse part du gâteau. Le contrôle des brevets sous-tend toute notre économie. C’est une réalité.

Thomas intervint :

— Un autre scientifique aurait très bien pu éliminer Feilgueiras pour s’emparer de sa découverte. Sa voix nous assure qu’il s’agit d’un homme, d’un seul, qui est responsable de sa mort.

— Je ne l’oublie pas et cela me pose problème. Quand vous me demandez de chercher un homme entre 55 et 70 ans, familier de la recherche ou de l’exploitation des brevets, sans doute fortuné, j’en trouve des centaines. Mais aucun ne travaille ou n’exploite des inventions en rapport avec le domaine d’activité de Feilgueiras.

Endelbaum commenta :

— Il n’a peut-être pas été tué à cause de ses recherches.

— Franchement, réagit Tersen, je me suis posé la question et je n’y crois pas. Son cadavre présente des marques de torture. On a voulu le faire parler. Rien ne pouvait justifier cela dans sa vie, hormis ses travaux.

Thomas semblait ne plus écouter ce que disaient ses aînés. Il réfléchissait.

— Attendez, s’exclama-t-il soudain. Ceux qui l’ont tué étaient des professionnels, n’est-ce pas ?

— Étant donné l’état dans lequel ils ont mis le pauvre bougre et la façon dont ils se sont débarrassés du corps, sans aucun doute, répondit Tersen.

Thomas reprit :

— On peut donc supposer que le tueur n’en était pas à sa première victime ?

— Où voulez-vous en venir ? questionna Endelbaum.

— On peut peut-être essayer de remonter jusqu’à l’assassin en cherchant du côté d’autres scientifiques disparus…

31

— Vous avez réussi à dormir ? demanda Kinross en approchant sa chaise.

Lauren évita son regard et répondit :

— Pas vraiment.

L’infirmière avait des cernes et ne tenait pas en place sur son siège. Elle se comportait comme si elle attendait la première occasion de fuir.

— Je vous connais depuis longtemps, Lauren. Je sais que vous êtes une jeune femme sérieuse. Vous aimez votre métier et les patients vous apprécient.

Elle attendait la suite.

— Je souhaite vous parler en ami. Il n’est pas question de vous sermonner ou de vous punir, vous êtes déjà assez perturbée comme ça.

— Je vais demander ma mutation. Ce n’est pas à cause de vous, docteur, mais vous comprenez…

— Si vous me permettez un conseil, ne réagissez pas trop vite. Prenez quelques jours, quelques semaines si vous le souhaitez. Laissez-vous le temps.

— Je me sens tellement mal. Pete est mort. La police m’a posé beaucoup de questions. J’ai l’impression que Todd m’en veut, et il y a le patient aussi…

— Justement, Lauren, j’aimerais que nous en parlions. Je me doute que c’est difficile, mais c’est important.

Inconsciemment, la jeune femme se replia sur elle-même en position défensive. Scott continua :

— Dès son arrivée, Tyrone Lewis ne vous a pas laissée indifférente.

Lauren se crispa un peu plus, mais le médecin choisit de poursuivre.

— Ce n’est pas un problème, Lauren. Vous êtes une jeune femme très affective et c’est un beau garçon. Je n’ai pas à m’immiscer dans ce que vous avez ressenti. Cela ne regarde que vous. Par contre, il y a certains faits que vous ignorez et qui font de Tyrone quelqu’un d’extrêmement important pour moi et les recherches que nous menons ici.

Pour la première fois, Lauren le regarda dans les yeux. Il expliqua :

— Tyrone Lewis est rescapé d’une tuerie en Alaska. Il est l’unique témoin par lequel nous avons une chance de découvrir ce qui s’est réellement passé là-bas. Aussi ce que je vais vous demander est-il essentiel : vous a-t-il parlé ?

L’infirmière secoua la tête.

— Il n’a absolument rien dit ?

Elle confirma plus énergiquement encore. Même si Lauren avait vu Tyrone briser l’infirmier comme une brindille, elle ne pouvait s’empêcher de le considérer comme une victime. Ce paradoxe ajoutait encore à son malaise. La terreur et la honte la torturaient, mais la fascination l’emportait.

— Entre vous et Tyrone Lewis, il s’est passé quelque chose que je dois absolument comprendre. Je ne suis pas là pour juger. Vous avez eu avec lui un lien, un contact qui peut nous apprendre beaucoup sur la maladie dont il est atteint. Ce qui s’est produit entre vous est le témoin de sa nature profonde. Beaucoup verront Tyrone comme un forcené qui a perdu l’esprit, un fou qui a tué, mais pour ma part, je crois que la vérité n’est pas aussi caricaturale. Lauren, vous avez été témoin de quelque chose qui n’a encore jamais été observé. Ce genre de patient ne se comporte pas ainsi. Il n’est pas censé pouvoir le faire. Il aurait dû vous attaquer, il ne l’a pas fait. Votre témoignage est capital. Ce que vous savez peut m’aider à le soigner, lui et beaucoup d’autres.

Lauren fixait le neurologue. Il demanda :

— C’est vous qui l’avez détaché, n’est-ce pas ?

Lauren se ferma.

— Ce n’est pas grave, reprit Kinross d’une voix plus douce. Je n’en parlerai à personne. Mais je vous en prie, dites-moi la vérité. Vous l’avez trouvé séduisant ?

— Oui.

— Vous avez été émue par ce jeune homme.

Elle hésita quelques instants puis hocha lentement la tête.

— C’est bien vous qui avez décidé de le détacher pour les soins ?

— Non. Enfin oui, mais… J’allais lui changer son pansement au front et il s’est réveillé.

— S’est-il montré agressif ?

— Non, non. Il me regardait.

— Que s’est-il passé ensuite ?

— Il a essayé de me toucher.

— Comment ça ?

Lauren baissa les yeux et demanda très vite :

— Que va-t-il lui arriver ? Il va aller en prison ?

— Tyrone est malade, Lauren. Nous cherchons d’abord à le soigner, et vous pouvez l’aider en me racontant précisément ce qui s’est passé.

— En fait, quand il a ouvert les yeux, il a été surpris. Après, j’ai eu l’impression qu’il me trouvait attirante. Il n’avait plus peur.

— C’est là qu’il a essayé de vous toucher ?

— Oui.

— C’est alors que vous avez décidé de le détacher.

— Oui, docteur.

— Et ensuite ?

— Ça va vous paraître stupide, mais j’ai eu l’impression que nous nous connaissions bien. Il m’a prise dans ses bras.

— Il vous a empoignée ?

— Non, il m’a… Je ne sais pas comment dire.

— Il vous a enlacée comme l’aurait fait un petit ami ?

— Oui, c’est plus comme cela qu’il l’a fait.

— Vous n’avez pas eu peur ?

— Pas du tout.

— Vous ne vous êtes pas dit que la situation était risquée ?

— Je n’arrivais plus à réfléchir. J’étais bien avec lui.

Instinctivement, Lauren eut un sourire songeur. Scott prit soin de ne pas la brusquer. Il ne devait pas briser le lien de confiance.