Выбрать главу

— Toujours aucune nouvelle de votre fils aîné ?

Maggie Twenton hésita.

— Non, je n’en ai pas eu.

Puis elle désigna Kinross d’un doigt accusateur :

— Vous êtes en train de me tendre un piège pour savoir si je deviens folle.

Scott se défendit en souriant :

— Certainement pas, chère Maggie.

— Tant mieux, parce que je vois clair dans votre jeu ! Non, aucune nouvelle d’Andrew. La dernière fois, c’était…

Tout à coup, Scott n’eut pas envie de savoir si elle se souvenait. Il redoutait la réponse. Sans attendre, c’est lui qui précisa :

— Il y a deux semaines, un coup de fil. Il envisageait de venir, je crois.

— Oui, c’est ça. Peut-être le fera-t-il, mais il a son travail. Et puisqu’on en est à parler de famille, docteur, des nouvelles de votre mère ?

Scott nota la mémoire dont Maggie faisait preuve sur ce point. Voilà des semaines qu’elle n’avait pas abordé le sujet. Il considéra le fait comme positif mais ne put s’empêcher de se demander si elle ne faisait pas cela uniquement pour l’impressionner. Un peu comme une enfant qui réciterait plus que la leçon dans l’espoir d’attirer la bienveillance de son institutrice.

— On s’est téléphoné il y a quelques mois.

— Rien de plus ?

— Non.

— Je ne veux surtout pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais vous devriez aller la voir. C’est votre mère.

— Elle habite dans le sud-ouest de la France. Elle a sa vie, j’ai la mienne.

— Il y a forcément des différences, mais vous devez tout faire pour vous rapprocher tant que c’est possible.

Scott baissa les yeux.

— Vous me surprendrez toujours, Maggie. Je suis censé vous soigner et c’est vous qui essayez de m’aider.

— Je ne fais rien d’autre que parler avec bon sens. À mon âge, il ne me reste que ce que la vie m’a appris. Et avec ce qui me guette, je n’en ferai pas grand-chose, alors tant que je peux, je le partage.

— Il vous reste beaucoup de choses à faire, ne soyez pas si pessimiste.

— Merci, mais là, c’est l’homme qui parle, et je crois que le docteur n’est pas tout à fait d’accord…

— Vous vous souvenez de notre première rencontre ? demanda Scott.

— Je crois. J’étais dans un état de panique complet. J’étais certaine de perdre la boule. Vous m’avez fait passer des tests et bizarrement, je ne me suis plus jamais inquiétée de mon état. Ne me demandez pas ce qui s’est passé depuis. Vous m’avez inspiré confiance.

— Vous souvenez-vous quand c’était ?

Elle hésita :

— Avant-hier.

Elle se reprit :

— Mais non, bien sûr ! C’était la semaine dernière, jeudi, c’est ça ? Dites-moi docteur, vous passez autant de temps avec tous vos patients qu’avec moi ?

— Ce serait sans doute bien d’un point de vue thérapeutique, mais je n’en ai malheureusement pas le temps.

— Alors j’ai de la chance ! Pourtant, cela ne changera rien à l’issue de cette maladie…

Scott fut troublé par le réalisme froid du propos, d’autant qu’il était accompagné d’un changement d’attitude aussi fugace que radical. L’espace d’un instant, ce qui rendait son visage si sympathique disparut. La modification brutale de l’humeur était un signe. La vieille dame sembla se ressaisir et ajouta :

— Vous n’y êtes pour rien, docteur. Je n’en veux à personne, mais je sais ce qui m’attend. On ne guérit pas de ce que j’ai.

— On y arrivera. On se bat pour.

— Votre détermination me donne de l’espoir, mais ce sera pour d’autres, plus tard, parce que malgré votre engagement et tout le bien que je pense de vous, quelque chose me dit que vous ne gagnerez contre cette maladie qu’après qu’elle m’aura attrapée.

Scott posa sa main sur celle de Maggie. Elle baissa les paupières. Ils restèrent ainsi en silence, chacun perdu dans ses pensées. Lorsque le docteur s’aperçut que Maggie s’était endormie, il était presque 23 heures. Il dégagea sa main, se leva sans bruit et sortit de la chambre. À cet instant précis, Scott pouvait encore espérer que la prévision de Jenni serait fausse. Il le souhaitait même sincèrement. Il préférait voir ses patients aller mieux, même si c’était au prix d’une remise en cause de ses résultats. Les toubibs aussi ont besoin d’espoir.

4

L’espace d’attente du service de neurologie était désert. On n’entendait rien hormis le ronronnement sourd de la machine à café. Scott se laissa glisser au fond d’une longue banquette orange. Sur la table basse, les revues cent fois feuilletées étaient encore étalées comme autant d’irruptions de couleur dans cet univers bien fade. Dans quelques heures, les équipes de nettoyage les remettraient en pile. Une silhouette en blouse blanche passa.

— Kinross ? Qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pourtant pas d’astreinte ?

— Bonsoir, Doug.

— Tu n’as pas l’air très frais…

— Juste la fatigue.

— Dis donc, tant que je te tiens, après-demain je déjeune avec deux représentants de laboratoires. Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous ? Ils sont très intéressés par tes travaux. Ce serait une bonne occasion de te faire mieux connaître et d’obtenir des budgets.

— On en a déjà parlé, Doug. Personne ne se fait d’illusion sur ce que veulent ces gens-là. Ils se moquent que les patients guérissent ou pas. La seule chose qui les intéresse, c’est vendre leurs médocs et occuper la place la plus rentable dans le système.

Le docteur Douglas Doyle prit place à côté de son confrère.

— Tu te trompes, Kinross. L’équation est simple : pas d’argent, pas de recherche et sans recherche, pas de progrès donc pas de guérison. Tous ceux qui font de la recherche sont associés à des gros labos, à des groupes mondiaux qui ont les reins assez solides pour financer leurs programmes. Pourquoi serais-tu le seul à faire autrement ?

Scott soupira et jeta un regard sombre à son interlocuteur :

— Tous ces beaux discours, tout cet argent, ces promesses et toujours autant de gens qui souffrent… La maladie est un marché économique comme un autre. Les labos ne sont plus là pour soigner, ils sont là pour vendre. Je n’arrive pas à trouver ça normal. C’est sûrement naïf, mais je continue à croire que nous avons une mission, pas un métier. Tu fais ce que tu veux, Doug, mais je n’ai pas envie de participer à ce jeu-là.

Le docteur Doyle haussa les épaules et se leva :

— Prends quand même le temps d’y réfléchir. Tu ne pourras pas éternellement jouer tout seul dans ton coin…

Scott regarda son confrère s’éloigner. Il passa la main dans ses cheveux et se renversa en arrière en fermant les yeux. Aussitôt, un flot d’images déferla : la soirée au Witchery, le sourire d’Emma, Jenni se jetant à son cou lorsqu’ils avaient découvert leur indice, la silhouette de Diane refermant la porte de son appartement en partant, sa mère lui faisant un signe…

Scott sentit une présence et rouvrit les yeux. Une petite ombre se glissa près de lui :

— Bonjour docteur ! fit le jeune garçon avec énergie.

Kinross essaya de se composer un air réprobateur :

— Jimmy, ne me dis pas que tu t’es encore sauvé de ton service ? Tu as vu l’heure ? Tu devrais dormir.

— Tout le monde veut que je dorme, mais j’ai pas envie. J’ai compris leur truc : plus on dort, plus ils ont le temps de parler de leurs petites histoires…

— Par où t’es-tu sauvé cette fois ?

L’enfant hésita avant de désigner le fond du service. Kinross fronça les sourcils :