— Tu es passé par la zone sécurisée de mon étage ?
— J’ai fait vite, personne ne m’a vu.
— Jim, c’est là que nous hébergeons nos malades les plus dangereux. C’est un secteur à risque. Tu ne dois pas t’aventurer là-bas. Compris ?
— Ils sont tous enfermés dans leurs chambres, tout va bien. Et puis si c’est tellement dangereux, pourquoi le code d’ouverture des portes est-il marqué juste au-dessus du clavier ?
— Parce que les gens qui sont retenus là-bas ne sont même plus capables de le lire. Ils peuvent encore moins le composer.
— Des vrais oufs !
— On peut dire ça comme ça. Raison de plus pour ne pas traîner dans ce secteur.
Kinross savait pertinemment ce que Jim risquait s’il tombait nez à nez avec un de ses patients de la zone confinée. Le petit hocha la tête, contrit. Puis il s’approcha du docteur et souffla :
— Vous n’avez pas l’air bien. Vous êtes malade ?
Kinross sourit :
— Non, Jim. Je suis docteur, ce sont les gens qui viennent me voir qui sont malades. Disons que j’ai connu des soirées plus faciles.
— Et où ils vont, les docteurs, quand ils sont malades ?
Kinross lui frictionna sa tête chauve avec bienveillance et changea de sujet :
— Parle-moi plutôt de ton traitement. Comment ça se passe ?
— Ils disent que la chimio me fait du bien, mais ça m’épuise. Je n’en ai pas fait depuis six jours et du coup, je me sens mieux. Mais j’ai une séance demain après-midi. J’ai la trouille.
— Ne t’inquiète pas. Tu n’auras qu’à passer me voir dès que tu en auras envie.
L’enfant accueillit l’invitation avec une vraie joie.
— Promis !
Le docteur vérifia sa montre. Il était temps d’aller retrouver Maggie.
— Et maintenant, mon grand, tu vas me faire le plaisir de remonter jusqu’à ta chambre, et par les ascenseurs, s’il te plaît.
Le garçon grogna. Scott l’encouragea et le raccompagna jusqu’au hall du service.
— À demain, docteur.
— Quand tu veux, Jim.
Kinross s’assura que le petit prenait bien le chemin du retour, puis se dirigea vers la chambre de Mme Twenton. Il entrouvrit la porte et passa la tête. Elle était dressée sur son lit et sursauta en le voyant :
— Qui êtes-vous ? Sortez immédiatement de chez moi ou j’appelle la police !
Maggie Twenton était en colère.
— Sortez ! Espèce de voleur ! Je ne vous laisserai pas piller ma maison !
Très agitée, elle se mit à bafouiller des mots incompréhensibles. Scott s’approcha et parla d’une voix calme :
— Maggie, tout va bien. C’est moi, votre docteur. J’étais sorti un instant. Nous parlions de vos enfants.
— Les enfants ? Quels enfants ?
Elle bafouilla à nouveau. Il précisa :
— Andrew et Michael.
— Jamais entendu parler. Reculez ! Vous ne m’aurez pas avec vos boniments !
Dans un geste de rage, la vieille femme saisit la carafe d’eau posée près d’elle et la projeta de toutes ses forces vers le médecin. Le bruit de verre brisé résonna dans la chambre. Scott ne l’avait jamais vue ainsi. Elle se débattait seule sur son lit. Elle essaya de se lever mais sans aucune coordination. Scott se précipita pour éviter qu’elle ne se blesse. Elle se mit à hurler. Dans ses gesticulations, elle renversa sa tablette de lit et lui asséna un coup de poing maladroit mais violent. Kinross sut immédiatement que les heures à venir allaient être difficiles.
5
Dans le luxe discret du salon de réunion, les quatre hommes arrivèrent les uns après les autres. Une petite trentaine, cheveux courts, impeccablement habillés de chemises étonnamment similaires, ils plaisantaient. Chacun prit place dans un des fauteuils bas qui faisaient face à un large écran de vidéotransmission.
— Désolé les gars, annonça le plus âgé, on est en retard. Il va falloir y aller à froid. Qu’est-ce que vous avez ?
Deux d’entre eux firent une moue sans équivoque. Le troisième agita un dossier avec fierté.
— Tu as un truc à présenter, Trent ?
— Je crois, oui.
— C’est la première fois que tu lèves une affaire.
Le jeune homme hocha la tête positivement.
— Eh bien, j’espère que c’est du solide parce que sinon, il ne va pas te louper.
L’homme consulta sa montre :
— 8 h 30 pile. Il est l’heure, les enfants. On lance la liaison satellite.
Il entra un code sur le clavier de la télécommande. Sur l’écran, le profil d’un visage apparut. Dans le contre-jour aveuglant, il était impossible de distinguer précisément ses traits. L’homme abrégea une conversation animée avec un interlocuteur hors champ et se tourna face à la caméra. Il attaqua sans préambule :
— Je vous salue, messieurs, et je vous écoute…
— Bonjour, monsieur. Comment allez-vous ?
— Votre sollicitude me touche, Dan, mais épargnez-moi les préliminaires inutiles. Vous n’avez rien, c’est ça ?
— Trent souhaite vous soumettre une affaire.
— Voyons donc ce que Trent nous propose.
Le jeune homme se redressa dans son fauteuil. Les mains moites, il commença son exposé :
— Bonjour, monsieur. Depuis déjà quelques mois, je trace une généticienne, le professeur Jenni Cooper. Elle travaille en tandem avec un spécialiste des maladies neurodégénératives, le docteur Scott Kinross. Ils ont publié quelques articles, rien de révolutionnaire pour le moment, mais…
— Allez au fait.
— Cette femme est directrice de recherches au Roslin Institute, en Écosse. Ce sont eux qui ont réussi le tout premier clonage d’un mammifère. C’était Dolly, un mouton. Vous vous en souvenez sûrement.
— C’était une brebis. Soyez précis.
— Oui, monsieur. Depuis quelques semaines, cette chercheuse envoie des demandes de données un peu partout sur la planète, aux hôpitaux et aux grands laboratoires d’analyse principalement. Je ne comprends pas vraiment ses demandes, ni même les réponses, mais j’ai l’impression qu’elle a découvert quelque chose de sérieux et qu’elle cherche à le vérifier en recoupant avec d’autres résultats.
— Quelque chose ? Des données ? Vous ne comprenez pas ? Dites-moi à quel moment je dois sauter de joie. Quel est votre prénom, déjà ?
— Trent, monsieur.
Aucun des trois autres n’aurait voulu être à sa place.
— Eh bien, Trent, laissez-moi vous expliquer une chose : étant donné ce que mes affaires me rapportent, votre tirade de trente secondes m’a coûté huit mille dollars. Revoyez votre copie, mon garçon, et ne me faites pas perdre mon temps.
— Monsieur, sauf votre respect, lorsque vos services sont venus me recruter, j’étais un analyste très réputé dans la finance. Vous savez comme moi que notre job est fait de 50 % de flair et de 50 % de chance. Et là, je sens que c’est un gros coup. Cette chercheuse a commencé par travailler sur le prion ; son association avec un spécialiste reconnu d’Alzheimer est plutôt atypique et lorsqu’il s’agit d’un marché estimé à plus de vingt milliards de dollars par les cinq principaux labos pharmaceutiques mondiaux qui investissent en masse sur ce secteur, je crois que l’on doit garder les yeux ouverts.
Les voisins de Trent s’attendaient à ce qu’il se fasse fusiller sur place, mais l’homme à contre-jour parut hésiter pendant quelques centaines de dollars.
— Soit. J’entends vos arguments, Trent, et je prends une option sur votre affaire. Va pour les 50 % de flair et les 50 % de chance. Voyez ce qui se passe en Écosse, faites surveiller cette femme. Je vais faire en sorte que l’on vous en donne les moyens. Prévenez-moi dès que vous aurez quelque chose de concret. Mais si c’est du vent, vous perdrez 100 % de votre avenir. Excellente journée.