Le propos de Schenkel trouva un drôle d’écho au plus profond de Scott. Intuitivement, naturellement, à travers les centaines de cas étudiés, cet aspect-là venait compléter le puzzle de son analyse sans contredire aucune des autres convictions qu’il s’était forgées.
Il se pencha vers Thomas :
— Est-il possible de lire votre mémoire ?
— Il est à votre disposition.
— J’aimerais que vous jetiez un œil à ce que le professeur Cooper et moi avons découvert. Votre approche peut être très utile.
Kinross hésita puis ajouta :
— En fait, j’aimerais beaucoup que nous puissions travailler ensemble.
Schenkel ouvrit les bras avec un grand sourire :
— Avec plaisir, docteur. D’autant que l’histoire de mon mémoire ne s’arrête pas là.
— C’est-à-dire ?
— Tout ce travail a déclenché une tempête dans mon esprit. Et à force d’y penser, j’ai découvert un quatrième élément commun à tous les cultes. C’est tout bête, mais personne n’y avait pensé. Lorsque j’en ai fait part au groupe de travail, les membres m’ont proposé de me joindre à eux, et c’est ensuite que mes supérieurs m’ont nommé au service de recherche où j’ai rencontré Devdan.
— Quel est cet élément ?
67
— Avez-vous envisagé que Sandman puisse se dissimuler derrière plusieurs identités ? demanda Hold.
— C’est même notre principale piste, répondit Tersen. Nous avons tellement de mal à trouver des preuves de l’existence matérielle d’au moins deux de nos suspects que nous pensons sérieusement qu’ils pourraient être des leurres.
— Encore mieux que des prête-noms…
— Ils ont des numéros de passeport, déclarent des impôts, mais hormis ce genre de choses et leurs achats de brevets, ce sont de vrais fantômes.
Tersen tendit les fiches à Hold et commenta :
— À chaque fois, certains points clochent. Günter Schwarz est censé être diplômé de l’université de Munich, mais en vérifiant, ils n’ont aucune trace de lui, ni dans les lauréats, ni dans les anciens élèves. Autre point : en quarante ans de permis de conduire, jamais une infraction.
— Il a peut-être un chauffeur ? objecta Hold.
— Alors, il aurait un employé, mais on n’en trouve aucune mention dans les fichiers fiscaux. Et pour le Suisse, Michel Rétour, c’est la même histoire. Presque cinquante ans d’assurance-maladie mais jamais une hospitalisation — et il a 78 ans.
— Vous dites que ces gens sont liés aux tentatives de dépôt de brevets en cours, mais êtes-vous certain que ces démarches sont bien liées aux travaux de Kinross et Cooper ?
— À ce stade des procédures, seuls les demandes et les sujets sont accessibles. Il faudra attendre la validation des dossiers pour y avoir accès, mais il sera alors trop tard, les brevets seront déposés.
— Il pourrait s’agir d’un simple hasard.
À peine Hold eut-il achevé sa phrase qu’il secoua la tête négativement, comme pour se répondre à lui-même.
Tersen désigna ses piles de listings, ses notes et ses dossiers :
— La réponse se cache quelque part là-dedans, il me manque simplement le bon filtre pour la lire.
— D’après ce que j’ai compris, le conseiller industriel avec qui Jenni Cooper est partie travailler est excellent. Aux dernières nouvelles, il faisait le plus vite possible. Espérons que ce sera suffisant.
— Quelqu’un que vous connaissez personnellement ?
— Non, un contact indirect. Une ancienne relation de M. Greenholm nous l’a recommandé. Un Canadien, Clifford Brestlow.
— Brestlow ? Je connais ce nom.
— Un de vos suspects ?
— Non, mais je l’ai vu passer quelque part.
Tersen se mit à fouiller ses documents en pestant.
68
Installée au salon en attendant Clifford, Jenni contemplait la tempête de neige, à l’abri des baies vitrées. Depuis la nuit précédente, avec constance, d’énormes flocons blancs s’abattaient en rangs serrés. Les branches pliaient sous leur poids, les reliefs disparaissaient, ensevelis sous l’impressionnante couche. Sur la terrasse, les chaises et la table étaient noyées dans la marée blanche. L’absence de vent rendait la scène encore plus paradoxale. Observé un à un, chacun de ces petits cristaux duveteux planait doucement pour venir se poser sans violence. Pourtant, dans leur ensemble, ces milliards de flocons envahissaient tout avec une puissance aussi tranquille qu’implacable.
Tanya déposa le plateau sur la table et confia :
— Ils ont un dicton dans le coin : « Si les écureuils ne sortent plus, c’est que la tempête va durer. » Je ne les ai pas vus depuis deux jours.
— Ça arrive souvent ?
— Je ne suis là que depuis huit mois, mais j’ai une collègue qui m’a raconté qu’une fois, ils sont restés bloqués plus d’une semaine.
Brestlow entra.
— Bonjour, mesdemoiselles. Tanya, voulez-vous me préparer un café, un vrai, s’il vous plaît. Après la nuit que j’ai passée, j’ai besoin de quelque chose de fort.
Il prit place aux côtés de Jenni.
— C’est une belle tempête que nous avons là, fit-il.
— Si on en croit les écureuils, elle risque de durer.
— Possible. Mais nous avons de quoi tenir. En revanche, pour les communications, nous sommes coupés du monde. Les hommes de la maintenance s’activent à réparer. Notre relais aurait gelé suite à une infiltration d’eau. Plus les technologies sont évoluées, plus elles sont fragiles ! Heureusement que nous avons déjà envoyé les dossiers de brevets. Dès que les liaisons seront rétablies, vous pourrez joindre le docteur Kinross et moi, je pourrai reprendre mes rendez-vous.
Brestlow se pencha vers Jenni :
— Avez-vous réfléchi à ma proposition ?
La jeune femme sourit :
— Pour être honnête, Clifford, je ne fais même que ça. À ma grande honte, il m’arrive même d’en oublier la maladie. Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir déposé les brevets ou notre rencontre, mais ici, j’ai repris espoir.
— J’espère en être responsable. Vous êtes importante pour moi.
— Il faut que je retourne à Édimbourg. Je ne peux pas laisser tomber Scott. Je vais essayer de trouver une autre façon de travailler pour pouvoir revenir.