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Sortant à toute allure de sa chambre, il faillit rentrer de plein fouet dans un frère, qui sursauta devant tant de hâte.

— Désolé de vous avoir réveillé, fit celui-ci, mais M. Tersen dit que vous avez un gros problème. Il vous attend en bas.

Marcus Tersen était devant son ordinateur, visiblement contrarié.

— Les lignes de Brestlow sont toujours inaccessibles, déclara-t-il. Son bureau de New York dit qu’ils sont pris dans une tempête de neige.

— C’est pour ça que vous me sortez du lit en pleine nuit ?

— Non. Est-ce que vous avez déjà rencontré Clifford Brestlow ?

— Jamais.

— M. Greenholm non plus ?

— Il lui a seulement parlé au téléphone.

— Hier soir, j’ai fini par retrouver pourquoi ce nom me disait quelque chose. Cet homme ne fait pas que du consulting industriel, c’est aussi un investisseur avisé. Voilà deux mois, il a réussi à prendre le contrôle d’un des plus gros gisements de lithium au Chili. Il l’a soufflé aux Français, à General Motors et Mitsubishi.

— Le lithium, le métal pour les batteries ?

— Exactement. Une matière première pleine d’avenir. Si la voiture électrique s’impose sur les marchés, le lithium deviendra plus cher que le pétrole.

— Quel est le problème ?

— À ce stade, aucun. Mais je me suis intéressé à ce monsieur et j’ai découvert deux ou trois choses surprenantes. Clifford Brestlow est le deuxième du nom. Son père était lui aussi un industriel.

— M. Greenholm est le fils d’un ingénieur et il a pris sa suite, il n’y a rien d’anormal là-dedans.

— S’agissant de M. Brestlow, plusieurs éléments me paraissent suspects. Si on en croit les quelques fichiers publics que j’ai pu recouper, il semble qu’il y ait une incertitude sur la date de la mort du père. J’ai fait une demande d’information auprès des services civils de l’État de Washington où il est décédé, mais avec le décalage horaire, je n’aurai pas de réponse avant plusieurs heures. Il y a également un flou sur la date de naissance du fils.

— Une erreur de saisie des services administratifs ?

— On va vite le savoir. Le père se prénommait Clifford Malcolm Brestlow alors que le fils répond au patronyme complet de Clifford James Ashton Brestlow. Ce qui m’amène à un vrai problème…

Marcus Tersen pivota l’écran de son ordinateur pour que Hold puisse le voir. Il était connecté à la base de données des permis de conduire américains.

— Contrairement au père, le fils a passé son permis de conduire. Mais regardez la date.

Hold plissa les yeux pour mieux lire avant de les écarquiller de surprise.

— Une autre erreur ?

— Non, cette information-là est confirmée par les fichiers des assurances.

— Alors, comment notre Brestlow a-t-il pu avoir son permis vingt-huit ans avant de naître ?

71

Les doigts de la jeune femme couraient dans les cheveux. Avec des gestes experts, elle rectifiait chaque mèche à coups de ciseaux chirurgicaux. Le vieil homme ne bougeait pas. Desmond observait la scène avec attention, se décalant chaque fois que la coiffeuse risquait de lui masquer ses gestes. Ce n’était pas tant la coupe qui le préoccupait que la sécurité de son maître. Bien que la demoiselle ait toujours parfaitement effectué son travail, la moindre coupure aurait pu avoir des conséquences désastreuses.

— Et voilà, fit-elle en relevant son outil.

À l’aide d’un gros pinceau, elle élimina soigneusement les derniers cheveux coupés et recula. L’homme tourna la tête vers son majordome.

— Un miroir, s’il vous plaît.

Desmond fut tellement surpris qu’il répéta pour être sûr d’avoir bien compris :

— Vous voulez un miroir ?

— Vous en avez bien un quelque part ?

— Bien sûr, mais…

D’un mouvement de la main, l’homme l’arrêta. D’un autre, il fit signe à la jeune femme de prendre congé. Desmond inspecta les placards de la salle de soins. Il finit par dénicher une glace qu’il s’empressa de nettoyer avec une serviette avant de la présenter. Cela faisait des années que le vieil homme ne souhaitait plus se voir. D’habitude, il détestait cela.

— C’est une nouvelle vie qui commence, Desmond. Sans doute mon pari le plus risqué.

— Êtes-vous certain de vouloir le tenter ?

L’homme étira ses joues, éprouvant de l’index la fermeté de la peau. Ensuite, il lissa ses sourcils avec un sourire amusé, comme s’il se découvrait.

— Jamais je ne me suis senti aussi vivant. La semaine dernière, j’ai pris la décision la plus importante de toute ma carrière, et aujourd’hui, je vais prendre la plus importante de ma vie.

L’homme se leva de son siège. Sans quitter son reflet des yeux, il tourna sur lui-même dans son peignoir blanc.

— Comment me trouvez-vous ?

— Votre détermination vous donne de l’énergie.

— Il va m’en falloir, Desmond. Ça ne va pas être facile.

Il retira son peignoir et avança, nu, jusqu’à une large cabine de douche installée dans un angle.

— Vous me désapprouvez ? lança l’homme en ouvrant l’eau.

— Je me demande si toutes ces prises de risque au même moment ne sont pas excessives. La moindre fuite peut vous mettre en danger.

L’homme se rinçait sous la douche.

— Ma nouvelle vie est à ce prix et je ne vois pas tout à fait la situation comme vous. N’oubliez jamais que l’argent achète tout. Au moindre signe préoccupant, nous nous en sortirons grâce à quelques millions. De toute façon, vous assisterez à tout. Si vous pensez que je commets une erreur, je peux compter sur votre franchise ?

— J’ai toujours été honnête, monsieur.

— Je le sais. Et j’y tiens.

Il coupa l’eau. Desmond lui tendit un drap de bain spécialement tissé pour son usage. Beaucoup plus épais et dans un coton non traité. L’homme soupira de bien-être.

— Personne n’a jamais eu l’opportunité d’accomplir ce qui est aujourd’hui à ma portée. Peser sur le monde, le sauver face à l’histoire et retrouver une seconde jeunesse pour moi-même.

Pendant qu’il enfilait ses sous-vêtements, Desmond consulta la pendule digitale.

— Vous n’aurez pas le temps de faire votre séance d’oxygénation.

— Peu importe, nous la ferons plus tard.

— Ne négligez pas vos soins.

— Vous avez raison. En attendant, passez-moi mon costume.

Desmond ouvrit un placard et sortit un cintre. Il déchira la housse plastique et tendit à son maître sa chemise blanche et son complet noir.

72

— Les nouvelles ne sont pas bonnes, lâcha Tersen.

Face à Hold et Kinross, il hésitait, ne sachant par où commencer. Il y avait tellement à dire. Endelbaum et Thomas écoutaient en retrait. Il les regarda tour à tour et commença :

— Nous y avons passé toute la nuit et nous allons sûrement lever d’autres lièvres dans les heures qui viennent. Il y a de fortes chances pour que Brestlow, si c’est bien son nom, soit notre homme. Il est remarquablement doué. Rien ne conduit directement à lui, mais comme dans les jeux d’enfants où il faut choisir le bon chemin dans un sac de nœuds, tout devient plus clair si l’on part du point d’arrivée. Brestlow a des participations dans la plupart des sociétés de ceux que nous avons suspectés. Il a des intérêts communs avec trois membres avérés du groupe Bilderberg. Il ne donne jamais d’interviews mais il est cité dans de nombreux entretiens par des industriels, des hommes d’affaires, et c’est un drôle de portrait qui se dessine. L’année dernière, le patron de General Motors parlait de lui dans Newsweek. Une ligne et demie pour expliquer que si le géant de l’automobile avait laissé passer des affaires juteuses en Amérique du Sud, c’était en échange de brevets qui pouvaient révolutionner l’automobile.