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André Maurois

Nouvelles

ANDRÉ MAUROIS

C’est alors que pendant ses vacances en Suisse, il rencontra une jeune fille dont il parle en romancier et en amoureux (sa grâce émouvante, sa mystérieuse présence…). „Elle était malheureuse chez sa mère. Stendhalien, tolstoien, je n’hésitai pas à l’enlever et la mis en pension à Oxford, où j’allais la voir à la fin de chaque semaine. Au bout de trois ans seulement, j’osai en parler à ma famille…“ L’aventure romanesque se termina par un mariage en 1912. La guerre interrompit ce bonheur. Le jeune époux fut mobilisé et attaché à un régiment anglais, parce qu’il parlait un peu cette langue et devait servir d’interprète et d’agent de liaison. „J’étais triste de faire campagne avec une armée étrangère. Pourtant ces contacts neufs allaient décider de ma carrière littéraire“. Il écrit un livre sur les militaires anglais — Les Silences du capitaine Bramble, „un livre étrange qui n’est ni un roman, ni un essai“. Il parut en 1918 sous le nom d’André Maurois et eut un immense succès. „On peut imaginer mon étonnement et ma joie. Ma vie ressemblait à un conte des Mille et une Nuits. Un jour, j’avais été… un drapier, exilé en une petite ville de province et y rêvant d’hommes fabuleux qu’il ne connaîtrait jamais. Le lendemain, je devenais un auteur traduit en tous pays et mes idoles m’accueillaient en ami“. Viennent d’autres livres, d’autres succès: Les Discours du Docteur O’Grady, suite des Silences, et, en 1923, Ariel ou la vie de Shelley, sa première biographie romancée, la plus lyrique et la plus romantique. Il devient définitivement homme de lettres. Sa popularité s’accroît, non seulement en France, mais à l’étranger. En 1028 il est invité à faire une série de conférences à l’Université de Cambridge, ensuite à Princeton, en Amérique. Ses œuvres se succèdent avec une fécondité surprenante: vies de Byron, de Disraeli, homme d’Etat et écrivain anglais, du maréchal Lyautey, d’Edouard VII, de Tourgueniev; romans — Cercle de famille, Climats, etc. En 1939 il est élu à l’Académie Française.

Sa seconde femme, Simone de Caillavet, sera pendant de longues années sa compagne fidèle, sa secrétaire et son „autre lui-même“.

Et alors, une fois de plus, „la guerre, dans toutes les vies, donna son coup de sabre“. Maurois écrit „contre Hitler des articles violents“. Il insiste à être enrôlé malgré son âge. Mais c’est en militant de la parole qu’il va faire cette guerre — en orateur, en tribun, sans cesse envoyé en mission de pays en pays, pour persuader, expliquer, implorer.

En 1940 Maurois reçoit l’ordre de se rendre à Londres „exposer, par la presse et par la radio, la tragique situation de la France“. Le retour en France envahie par l’ennemi devient pour lui impossible. Il part donc pour les Etats-Unis faire une série de conférences à Boston et en même temps plaider la cause de la France, „dont la défaite rapide étonnait“, en tâchant de gagner l’opinion publique pour hâter l’entrée en guerre des Etats-Unis. Pendant ces années d’exil il compose de longs ouvrages: ses Mémoires en deux volumes, une Histoire des Etats-Unis, une Histoire de France. „Je travaillai furieusement pour oublier, quelques heures par jour, mon désespoir“.

En 1943 le capitaine André Maurois va rejoindre l’armée française en Algérie en même temps que l’écrivain-pilote Antoine de Saint-Exupéry, devenu pour lui „un ami très cher et très admiré“.

Et puis de nouveau en route pour l’Amérique, d’où il ne reviendra qu’en 1946. En France il reprend sa série de biographies: Lélia ou la vie de George Sand, Olympia ou la vie de Victor Hugo, Les trois Dumas, La Vie de Sir Alexandre Fleming, savant bactériologue. Aujourd’hui l’écrivain jouit d’un renom bien mérité. Ses livres sont connus dans le monde entier et traduits en toutes les langues.

Sans prendre une part active à la vie politique, Maurois se range du côté de ceux qui luttent pour la paix. Le devoir de l’écrivain, pour lui, est d’aider ses compatriotes à comprendre les autres peuples, sans égard à la couleur de leur peau, ainsi qu’il l’a déclaré dans sa lettre à la Litératournaia Gazeta (27 avril 1965).

L’œuvre d’André Maurois est multiple et variée: romans d’analyse, romans de science-fiction, dialogues philosophiques, contes, nouvelles, grands ouvrages historiques et surtout les „vies romancées“, plus émouvantes que des romans.

Ses nouvelles portent l’empreinte évidente des procédés du biographe. D’abord, comme il le constate lui-même, il aime à entremêler les personnages fictifs et réels. A côté des écrivains „illustres“ comme Fabert et Sivrac, enfants de sa création, on rencontre des auteurs bien connus et même vivants. Les nouvelles ne sont pas de petits mondes isolés: les mêmes personnages y reparaissent qui en sont tour à tour les narrateurs ou les protagonistes. Car la plupart de ces drames minuscules sont contés en société, dans un style de causerie mondaine. Cela aussi les rapproche des biographies, en créant une illusion d’authenticité ainsi qu’une atmosphère d’éloignement dans le temps, de „futur dans le passé“, leur prêtant un caractère de mémoires („vous souvenez-vous?“), dont le dénouement est connu dès le début.

Nombre de nouvelles se passent dans un milieu artiste et littéraire. L’auteur nous montre les mobiles secrets qui gouvernent ce monde pittoresque et mouvementé, les petites ambitions, les jalousies, l’âpreté au gain, la soif de la gloire, et aussi les caprices du génie créateur. Le rôle du hasard dans la production d’une œuvre d’art l’a toujours vivement intéressé. C’est ce hasard qu’il démasque d’une façon fine et spirituelle dans Myrrhine, une de ses plus brillantes nouvelles: un nouveau rôle a dû être ajouté à la pièce déjà faite, parce que l’acteur principal ne voulait pas laisser sa maîtresse seule à la maison. Dans Ariane, ma sœur, après la mort de l’écrivain Gérôme Vence, l’histoire de sa vie est complètement déformée dans un film, „suivant l’esthétique particulière du cinéma“, et ses deux femmes (l’une divorcée, l’autre veuve) y consentent facilement afin de mieux exploiter la mémoire de „leur mari“.

L’intérêt pécuniaire dicte ses lois partout. L’argent, tout-puissant dans la société bourgeoise, est la source, la cause et le but des intrigues les plus perfides, des inventions les plus machiavéliques, des spéculations les plus ingénieuses. Tout peut servir au business, même la mort: c’est ainsi qu’à Thanatos Palace Hôtel on facilite le suicide aux désespérés, d’une façon scientifique et organisée… à prix modérés. Non moins prévoyante et ordonnée est la précaution prise par la jeune femme du Testament pour s’assurer un veuvage confortable.

Il faut dire que, chez Maurois, ce sont surtout les femmes qui font preuve de cette ingéniosité lucide et calculée, de cette habileté à diriger les événements… et les hommes. Les caractères masculin s sont beaucoup moins nuancés. „J’ai attaché une importance sans doute démesurée aux femmes et à l’amour“, avoue l’auteur. Ses femmes sont pleines de charme, de subtilité, d’hypocrisie et de gracieux mensonges qu’il démasque, amusé et parfois choqué. Hypocrisie souvent inconsciente, soigneusement refoulée au plus profond de l’être. „Le masque était devenu la visage même“ (Raz de marée). Ce n’est pas en accusateur intransigeant, mais avec une ironie bienveillante que Maurois dépeint les travers et faiblesses de ses personnages. „J’ai toujours cru la charité plus vraie que la satire“, dit-il.