Peter remit son moteur en marche.
— Que faisons-nous? dit-il.
— Nous continuons vers l’aérodrome. Votre avion vous attend. Moi, j’en prendrai un autre, pour la France. Le rêve est fini.
— C’était un beau rêve, dit-il.
— Un rêve blanc[331].
En arrivant au champ d’aviation, j’allai au bureau du télégraphe et rédigeai un câble pour Jack: Suis arrivée a conclusion que mariage déraisonnable Stop[332]. Je regrette parce que vous aime beaucoup mais ne pourrais vivre à l’étranger Stop. Ai jugé franchise préférable Stop. Vous envoie billet pour remboursement[333] Stop. Tendresses. — Marcelle. Je relus et remplaçai vivre à l’étranger par vivre étranger.Cela restait clair, avec deux mots de moins.
Peter, pendant que j’envoyais mon câble, avait- été se renseigner sur le départ de son avion. Quand il revint:
— Tout va bien, me dit-il. Ou plutôt tout va maclass="underline" le moteur est réparé. Je partirai dans vingt minutes. Vous devez attendre jusqu’à sept heures. Cela m’ennuie de vous laisser seule. Voulez-vous que je vous achète un livre?
— Non, dis-je. J’ai de quoi penser.
— Vous êtes bien sûre de ne rien regretter? Il est encore temps mais, à la minute où vous aurez fait partir le câble, il sera trop tard pour vous raviser.
Sans répondre, je tendis la formule[334] à l’employé du télégraphe.
— Différé? demanda-t-il.
— Non.
Puis je passai mon bras sous celui de Peter.
— Cher Peter, j’ai l’impression d’accompagner à l’avion mon plus vieil ami.
Je serais incapable de vous répéter tout ce qu’il m’a dit pendant les vingt minutes qui nous restaient. Ce furent de véritables règles de vie qu’il me donna. Vous avez bien voulu me dire quelquefois que j’ai des qualités d’homme, que je suis une fidèle amie, que je ne mens pas. Si ces belles choses sont en partie vraies, je le dois à Peter. Enfin le haut-parleur appela: „Les voyageurs pour New York. Vol six cent trente-deux…“ J’allai avec Peter jusqu’au portillon. Là je me haussai jusqu’à sa bouche et l’embrassai conjugalement. Je ne l’ai jamais revu.
— Vous ne l’avez jamais revu! Pourquoi? Ne lui aviez-vous pas donné une adresse?
— Si, mais il n’a jamais écrit. Je crois qu’il aimait à passer ainsi dans la vie des êtres, à les orienter, puis à disparaître.
— Et vous, allant à Londres, n’avez-vous pas cherché à le revoir?
— Pourquoi faire? Il m’avait donné, comme il disait, le meilleur de lui. Nous n’aurions jamais retrouvé l’atmosphère inouïe de cette nuit… Non, c’était très bien ainsi… Il ne faut pas tenter de revivre un moment trop parfait… Mais n’avais-je pas raison de vous dire que cette aventure a été la plus étrange de ma vie? Que l’homme qui a changé mon destin, qui m’a fait vivre en France et non en Amérique, qui a eu sur moi la plus durable influence soit un Anglais inconnu, rencontré par hasard sur un champ d’aviation, vous ne trouvez pas ça merveilleux?
— Cela ressemble, dis-je, à ces histoires antiques où un dieu se déguise en mendiant ou en étranger pour aborder les mortels… A la vérité, Marcelle, l’inconnu ne vous avait pas tellement transformée puisque vous avez fini par épouser Renaud qui est, sous un autre nom, le même homme que Jack.
Elle rêva un instant:
— Bien sûr, dit-elle. On ne change pas les natures; on les retouche.