Выбрать главу

Les deux frères firent un pas en arrière et regardèrent autour d’eux. Quelques autres clients avaient quitté le bar et se dirigeaient vers le parking. Larry s’essuya le nez du revers de la main et vit qu’il saignait lui aussi, ayant dans la mêlée pris quelques coups de son frère. On se taille, dit Walt. Y a du monde.

Larry tira de la poche arrière de son pantalon une enveloppe contenant des photos où on voyait le blondinet, à présent ensanglanté, en train de s’en donner à cœur joie avec Heather. Il fourra l’enveloppe dans la poche avant du pantalon du type. Se pencha tout près de son visage, l’écouta batailler pour reprendre son souffle, puis d’une main il lui serra les joues l’une contre l’autre et lui dit voilà ce qui se passe quand on me cherche des emmerdes.

Puis les deux frères disparurent dans le noir au fond du parking. Ils remontèrent à bord de leur pick-up, roulèrent cent mètres et s’arrêtèrent. Guettèrent. Deux femmes qui regagnaient leur voiture aperçurent le blondinet amoché et un cri étouffé jaillit dans la nuit. Les deux femmes retournèrent en courant à l’intérieur du bar et Larry et Walt attendirent que Heather sorte voir ce qui se passait. Elle déboula la première, suivie de ses copines, et elles tournèrent le coin de la rue, traversèrent la chaussée et leurs silhouettes se transformèrent en ombres indistinctes tandis qu’elles passaient entre les voitures garées. Larry les imagina rassemblées en cercle autour de la victime, ne sachant pas quoi faire, et le regard affolé de Heather en voyant son petit joujou démantibulé sur le capot de la bagnole. Il s’adressa à lui-même un sourire en coin dans le rétroviseur, puis se retourna vers le parking. De là où il était, il ne pouvait pas entendre Heather dire à ses copines d’aider le blondinet à se relever et de l’installer dans la voiture. Ne pouvait pas les voir déplacer avec difficulté son corps inerte et les entendre demander s’il ne fallait pas appeler la police, et Heather qui leur répondait mais vous êtes sourdes ou quoi je vous dis de le mettre dans la voiture, c’est tout. Il ne pouvait ni les voir ni les entendre, mais il savait que lorsqu’elle aurait emmené le blondinet en lieu sûr et essuyé son sang sur ses mains et sa robe et qu’elle trouverait les photos fourrées dans sa poche, tout près de cette partie de son corps qu’elle connaissait si bien, alors elle comprendrait que ce serait bientôt son tour de ramper.

15

Quand Russell alluma la radio du pick-up, un morceau des Temptations passait sur la fréquence nostalgie locale et Caroline se mit à faire onduler ses bras et à taper des mains comme elle les avait vus faire à la télé. Les vitres étaient baissées et sa permanente ne tenait pas avec le vent mais elle ne s’en plaignit pas. Russell apprécia le petit spectacle et songea même à taper dans ses mains lui aussi, mais il préférait ne pas lâcher le volant. Caroline dansait sur son siège, en avant, en arrière, sur le côté, et sa robe lui collait au corps comme une feuille de Cellophane. Elle essayait de chanter mais, ne connaissant pas les paroles, devait se contenter de mimer la chorégraphie. À la fin de la chanson, elle prit un élastique qu’elle trouva sur le tableau de bord et s’en servit pour s’attacher les cheveux en queue-de-cheval. Elle enleva ses chaussures et les posa sur la banquette, à côté de son sac à main et de ses cigarettes.

Elle fait plus vieille, se dit Russell. Il lui aurait donné trente-cinq à tout casser, tout à l’heure dans le bar. Là, à la lumière des réverbères, plutôt quarante, sinon plus. À un feu rouge, il remarqua qu’elle avait les mêmes taches de rousseur sur le nez et sous les yeux que sur les épaules. Certaines se perdaient dans les pattes-d’oie au coin de ses yeux. Mais ses courbes, elles, n’avaient pas changé à la lumière extérieure, et tout le reste n’avait aucune importance.

Elle lui avait demandé s’ils pouvaient aller chez lui mais il avait dit non et ils se dirigeaient maintenant vers chez elle, remontant Delaware Avenue. Il n’y avait pas beaucoup de monde dans les rues, à part devant les fast-foods, et l’air de la nuit s’était allégé après une brève averse en début de soirée. Ils roulèrent jusqu’à la bretelle d’autoroute puis franchirent l’échangeur et sortirent de la ville, passant devant une kyrielle de concessionnaires puis quelques lotissements en bois devant lesquels étaient affichés des panneaux géants à vendre. Caroline se calma et se mit à regarder par la vitre, et Russell l’observa du coin de l’œil comme s’il avait peur qu’elle disparaisse subitement, pas tout à fait certain encore que le bon Dieu allait bel et bien lui offrir cette chance. Moins d’un kilomètre plus tard, les lumières d’un petit quartier résidentiel apparurent en contrebas de l’autoroute. Les maisons séparées par de longues allées qui les protégeaient des curieux. Caroline pointa du doigt et dit c’est juste là et le pick-up ralentit et tourna à droite. Quatre maisons identiques, aux quatre coins d’un petit terre-plein noir fraîchement goudronné. Leurs façades revêtues du même vinyle blanc, les mêmes volets verts, la même porte rouge, la même cheminée dépassant du même côté du toit. Il s’arrêta au milieu.

« Devine laquelle. »

Russell les regarda l’une après l’autre.

« Celle-là. Avec le flamant rose.

— Salaud, dit-elle.

— Quoi ? T’as l’air du genre à aimer les flamants roses.

— Eh, je te signale que tu n’as pas encore touché au but, cow-boy. Fais pas le malin.

— C’était un compliment.

— Merde. Je déteste ce truc. Non, c’est celle-là, là-bas. »

Il alla se garer devant la maison dans le coin au fond à droite. Ils sortirent et elle s’arrêta devant la porte. Elle se pencha, prit une clé sous le paillasson, et Russell en profita pour lui caresser les fesses, en se disant que si jamais ça ne passait pas, il pourrait toujours mettre ce geste déplacé sur le compte de l’ivresse. Mais elle se redressa, se retourna, sourit et l’attira à lui pour l’embrasser. Puis elle se dégagea légèrement et dit viens par là.

Elle ouvrit la porte et Russell se colla de nouveau à elle et ils entrèrent en titubant jusqu’au milieu de la pièce et Russell n’avait soudain plus qu’une seule idée en tête. Il fit glisser les bretelles de sa robe sur ses épaules en se disant mon Dieu je vous en prie, puis fit glisser sa robe jusqu’à sa taille en se répétant mon Dieu je vous en prie et quand elle se mit à se tortiller il s’agenouilla et tira la robe jusqu’à ses chevilles et elle leva un pied puis l’autre pour s’en débarrasser et alors il dit merci mon Dieu. Une minute plus tard ils étaient tous deux nus sur le tapis et Dieu lui sortit complètement de la tête et il était allongé sur le dos et elle se trémoussait sur lui en lui plaquant les épaules au sol et puis, tandis qu’elle se penchait vers lui et qu’il la tenait par la taille et sentait ses seins contre son torse nu, il se mordit les lèvres pour s’empêcher de fondre en larmes et la pensée lui traversa l’esprit que s’il existait un autre homme sur cette planète qui à cet instant était plus heureux que lui, alors il ne savait pas comment ce salopard faisait pour le supporter.