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16

Ensuite ils restèrent allongés côte à côte, par terre au beau milieu de la pièce. Sitôt leurs ébats terminés, Caroline était allée prendre des oreillers et une couverture dans un placard du couloir et leur avait improvisé un lit. Russell était allongé sur le dos, les yeux au plafond, et Caroline dormait la tête posée sur sa poitrine. Russell avait essayé de se dégager mais elle avait poussé un grognement, s’était redressée puis de nouveau effondrée sur lui, et alors il avait décidé de laisser tomber. De se laisser aller, de dormir un peu et de suivre le cours des choses, et le lendemain matin il verrait bien de quelle trempe elle était vraiment faite. Mais le sommeil ne vint pas, et il rassembla son courage pour tenter une nouvelle fois de se dégager, trouver ses vêtements et s’en aller. Cette nuit avait été un cadeau, et il voulait en conserver le souvenir intact — la pénombre, le flou de l’ivresse, le bonheur de l’irresponsabilité. La lumière du jour effacerait tout cela. L’effet de la bière s’était déjà dissipé et il sentait monter la migraine, il fallait qu’il se lève et qu’il fume la cigarette qui empêcherait la douleur de le frapper de plein fouet.

Il bougea un peu sur sa gauche. Elle ne réagit pas. De sa main libre, il attrapa l’oreiller derrière sa tête et le posa sur celui de Caroline pour qu’elle ne s’affaisse pas trop. Puis il pivota autant que possible sur le côté, la fit basculer doucement sur le dos et sa tête roula sans heurt de son épaule à l’oreiller. Elle marmonna, puis remonta la couverture sur elle et se tourna sur le côté, face à lui. Il resta assis là, à la regarder, imaginant son corps nu sous la couverture, tel qu’il le connaissait désormais.

Il se releva avec précaution et chercha ses vêtements à tâtons dans le noir. Il fut soulagé de trouver d’abord son pantalon et il l’enfila, puis il mit la main sur sa chemise, ses chaussures, et une chaussette. Ses habits en boule au creux d’un bras, il tendit l’autre et commença à chercher à l’aveugle la chaussette orpheline et son caleçon, mais quand il entendit Caroline renifler et se retourner, il se dit oh et puis merde, tant pis, et il se contenta de mettre ce qu’il avait pu retrouver. Son portefeuille était resté sagement enfoncé dans la poche arrière de son jean, et il se rappela qu’il avait laissé les clés du pick-up sur le contact. Il sentait qu’il lui restait quelque chose à faire avant de s’éclipser. Laisser un mot. Lui déposer un baiser sur la joue. Quelque chose. Mais il ne fit rien, à part jeter un dernier regard à ses épaules. Puis il gagna la porte sur la pointe des pieds et tourna la poignée d’un geste furtif, comme un voleur. Il l’ouvrit juste assez pour pouvoir se glisser dans l’entrebâillement et partit sans se rendre compte que, dans le noir, Caroline avait les yeux grands ouverts.

17

Il était resté dehors à vadrouiller. Survolté par l’adrénaline du premier jour de liberté, et il voulait que ça continue et que ça continue encore. Trois heures du matin. Il était allé s’acheter quelques cannettes de bière après être parti de chez elle. Aucune raison d’aller se coucher. Son odeur sur sa peau, et en se concentrant très fort il pouvait presque la sentir physiquement, comme si elle était encore en train de le chevaucher, la robe relevée sur les hanches et ses genoux lui labourant les côtes. Il roula jusqu’à Fernwood et s’arrêta au relais routier, commanda un sandwich au rosbif, et ensuite il repartit sur l’autoroute 48 en direction du lac. Il entendit les sirènes et vit les gyrophares se rapprocher derrière lui, et il ralentit, se déporta sur le côté de la route et les voitures de police le dépassèrent à toute allure et il comprit qu’il avait dû se passer quelque chose de grave. La route était droite et il vit les flics piler et bifurquer à un peu moins d’un kilomètre de la route du lac, et avant qu’il ait atteint l’embranchement, une ambulance arriva de la direction opposée et s’engouffra dans le sillage des voitures de patrouille. Russell s’arrêta. Il ne voyait pas vers où ils allaient mais il apercevait la barrière des gyrophares qui tournoyaient dans la nuit et il les suivit.

Moins de deux kilomètres plus loin, il les trouva. Les voitures de la police et du shérif et l’ambulance et un groupe d’hommes debout dans la lumière des phares en train de discuter. Quoi qu’il se soit passé, apparemment c’était terminé. Russell s’arrêta et l’un des flics vit son pick-up, le pointa du doigt, et alors les autres levèrent la tête et Russell sentit qu’il n’aurait pas dû se trouver là. Il essaya de faire marche arrière et demi-tour mais la route était trop étroite, le forçant à manœuvrer à deux reprises, et avant qu’il ait réussi à repartir dans l’autre sens, un flic l’interpellait et lui disait de ne pas bouger. Il avait une lampe torche et il la braquait droit sur la cabine du pick-up et Russell se figea. Le flic s’approcha, flanqué d’un type en civil.

« Sortez du véhicule, les mains en évidence », dit le policier.

Russell obtempéra et le flic lui dit de se placer devant le pick-up et de poser les deux mains sur le capot. Russell obéit. Le policier passa sa lampe torche à l’autre type puis s’approcha de Russell par-derrière, le palpa et lui demanda ce qu’il foutait ici.

« Je roule, dit Russell.

— Pour aller où ?

— Nulle part. Dans le coin.

— Pour quoi faire ?

— Je vous l’ai dit. Une petite virée, c’est tout.

— Vous avez une pièce d’identité ?

— Dans mon portefeuille, là. »

Le flic tira le portefeuille de Russell de la poche arrière de son pantalon et l’ouvrit. Il examina son permis de conduire, périmé depuis huit ans.

« Ça alors, merde ! s’écria le flic. Redresse-toi et retourne-toi. Je t’avais pas reconnu avec la lumière dans les yeux.

— Boyd Wilson, dit Russell en souriant, et ils se serrèrent la main.

— Putain. Les surprises sur lesquelles on tombe parfois au beau milieu de la nuit… »

Boyd avait le visage joufflu, et son front et ses cheveux luisaient à la lumière des lampes torches comme s’ils étaient enduits de graisse. Il s’était empâté avec les années, le cou, les joues, mais Russell aurait reconnu entre mille ces petits yeux plissés et le pif de traviole que Boyd s’était fait péter deux fois en jouant au foot à l’époque du lycée. Russell secoua la tête.

« T’es rentré quand ? demanda Boyd.

— Vers midi.

— Midi aujourd’hui ?

— Midi aujourd’hui.

— Enfin, bon, on n’est plus aujourd’hui, mais t’as compris ce que je voulais dire.

— J’avais compris.

— Eh ben. Putain.

— Putain, dit Russell.

— C’était comment ?

— Comme t’imagines.

— Comme dans les films ? »

Russell se força à sourire.

« Oui, voilà. Mais en pire. Dans les films, t’en as toujours un pour qui ça se finit bien. J’en ai pas vu beaucoup à qui c’est arrivé, là-bas.

— T’es sorti. Ça s’est bien fini pour toi.

— Ça, on verra. Comment va Lacey ?

— Oh bah, tu sais. Pas mal.

— Elle fait toujours des saltos arrière ?

— Bon Dieu, non. Elle pourrait même plus passer la jambe droite dans ce vieux costume de pom-pom girl. Deux gosses plus tard et putain, mon vieux, tu verrais la transformation… Mais elle est toujours aussi chouette.