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Larry sortit, et Russell continua de pointer son fusil sur la porte jusqu’à ce qu’il entende le moteur tourner puis le véhicule s’en aller. Une fois certain qu’ils étaient loin, il posa son arme dans un coin, sortit de la maison et remonta dans son pick-up. Il revint le garer sous l’auvent, rentra et ramassa les débris de verre et les morceaux de bois du cadre. Puis il prit la photo de Sarah, la déchira deux fois, alla la jeter dans les toilettes et tira la chasse. Puis se regarda dans la glace. La barbe grisonnante. La cicatrice. Les yeux qui semblaient ceux d’un inconnu.

Il resta un moment sidéré face à son reflet, puis saisi de rage il donna un coup de tête dans le miroir, qui se brisa et lui entailla le front. Il sentit le sang couler sur l’arête de son nez, ses lèvres, et il pencha la tête pour le laisser goutter sur les éclats de miroir tombés dans le lavabo. Il porta la main à son front et retira un petit morceau de verre enfoncé dans la plaie. Puis il roula en boule quelques feuilles de papier toilette qu’il garda appuyées contre son front en sortant pour remonter dans son pick-up et il alla acheter des pansements à la station-service ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Assis derrière le volant, il essuya sa blessure, mit un pansement, puis il retourna dans la boutique et acheta un carnet et un stylo. Le ciel avait commencé à pâlir à l’est et le soleil se lèverait bientôt à l’horizon mais il n’allait pas s’arrêter maintenant.

Il reprit la route de Magnolia. Le corps toujours endolori après l’algarade et lesté par l’alcool. Il roulait vite, espérant que l’aube attende qu’il ait fait ce qu’il avait à faire. Dix minutes plus tard, il arrivait en vue de la maison de Sarah. Il resta assis derrière le volant, regarda, guetta une lumière. Du mouvement. Quand il fut certain que rien ne bougeait dans la maison, il griffonna un mot sur le petit carnet. Puis il sortit du pick-up et alla furtivement glisser son message dans la fente cuivrée de la boîte aux lettres encastrée dans la vieille porte. Puis il reprit le volant, partit et regretta aussitôt son geste, mais il était trop tard.

D’un côté de la feuille, il avait inscrit son adresse.

De l’autre : Bonne ou mauvaise idée, je voulais juste te dire que j’étais revenu. Russell.

Il rentra chez lui, alla dans la chambre et se laissa tomber tout habillé sur le lit. Juste avant le lever du jour. Le fusil à portée de main, comme un compagnon fidèle. Le trajet en car, la pêche, et la fille du bar, et la bière, et les frères, tout se mélangeait et le submergeait et le faisait basculer dans le sommeil, même si la seule idée de fermer les yeux lui répugnait. Conscient que le monde le tenait encore à la gorge.

19

Au point du jour, Maben réveilla Annalee et lui dit de s’habiller. Plusieurs heures s’étaient écoulées. Assez pour que le cadavre ait été découvert et examiné. Assez pour que les hommes en uniforme aient fouillé le véhicule de patrouille et passé les environs au peigne fin. Assez pour que le bruit ait commencé à se répandre. Annalee demanda pourquoi on s’en va et Maben répondit parce qu’il faut et la fillette gémit à l’idée de devoir reprendre la route. Lève-toi j’ai dit. On n’a pas le temps.

Quand elles furent habillées, Maben remit dans sa poche les quelques billets qu’il lui restait et dit je reviens tout de suite. Elle alla à la cafétéria et s’arrêta devant la caisse. La même serveuse que la veille arriva et lui dit je parie que vous avez bien dormi.

Maben opina et lui rendit la clé et la fille dit merci mais Maben ne répondit pas. Elle allait ressortir quand elle remarqua deux hommes assis au comptoir, le premier avec des lunettes relevées sur le sommet du crâne et qui se frottait les yeux en attendant que le second, en costume noir, ait fini de parler au téléphone. Maben sortit en hâte et rejoignit Annalee devant la porte de la chambre du motel. Elle contourna la fillette, ramassa le sac-poubelle contenant toutes leurs affaires et dit on y va.

« J’ai soif, maman.

— Viens. On prendra quelque chose sur la route.

— Pourquoi on peut pas prendre quelque chose ici ?

— Parce que c’est comme ça. »

Elle avait enroulé le revolver du flic dans une chemise et enfoui celle-ci au milieu de leur tas de vêtements. Elles sortirent de l’aire de stationnement pour rejoindre l’autoroute et prirent la direction du nord. Six kilomètres jusqu’à McComb. Et puis elles y seraient presque. Le soleil du matin s’abattit sur elles sans pitié et au bout d’un kilomètre elles avaient toutes deux le visage cramoisi. Les voitures filaient devant elles, les gens qui partaient au travail. Ou ailleurs. Elle n’arrêtait pas de se dire qu’elle aurait dû jeter le revolver dans les hautes herbes ou dans un fossé mais il y avait trop de circulation et elle ne voulait pas s’arrêter, elle ne voulait pas qu’on les remarque, que quelqu’un puisse se souvenir de les avoir vues. Et elle n’était pas encore parvenue à se convaincre entièrement qu’être armée n’était pas une mauvaise idée, peu importe à qui appartenait cette arme et comment elle se l’était procurée. Maben et Annalee continuèrent à marcher, avançant dans les bourrasques de vent qui soulevaient des volées de poussière et parfois même de cailloux. Au bout d’une heure, elles virent un panneau indiquant la sortie pour McComb. Un kilomètre et demi.

« C’est là ? demanda la fillette.

— C’est là.

— Et après on ira où, quand on sera arrivées ?

— Quelque part. Allez, avance. »

Elle était restée éveillée toute la nuit, à se demander ce qu’elle allait faire. Et elle ne savait toujours pas. Alors elles se dirigeaient vers le foyer. Encore trois kilomètres en suivant la route à quatre voies. Elles passèrent devant des concessionnaires d’occasions, des magasins d’outillage et des débits de boisson, puis Maben accepta enfin de faire une pause dans une station-service devant laquelle il y avait une table de pique-nique. Elle était abritée du soleil par l’ombre portée du bâtiment, et la mère et la fille s’y installèrent avec des boissons fraîches et des beignets recouverts de sucre glace. Quand elles eurent fini de manger, elles se remirent en route, et Maben promit à Annalee qu’elles étaient presque arrivées. Encore une demi-heure de marche et les immeubles du centre-ville se profilèrent à l’horizon, et Maben crut se rappeler que Broad Street était la rue qui longeait la voie ferrée. Le sac-poubelle pesait toujours plus lourd à chaque pas, et son chemisier était trempé de sueur. Le front de la petite était rouge et luisant, et son visage semblait figé en une grimace.

Maben n’avait rien remarqué, mais de gros nuages gris s’étaient amoncelés derrière elles dans le ciel du sud, et alors qu’elles se trouvaient encore à quelques pâtés de maisons du foyer, elles sursautèrent en entendant le crépitement soudain d’un éclair, puis vint le tonnerre. La lumière du soleil disparut presque instantanément et une atmosphère sinistre s’abattit sur elles. Au coin d’une rue, Maben tourna la tête à gauche et aperçut un petit pavillon et une aire de jeux, et elle tira la fillette par la main en lui disant vite, par là. Elles pressèrent le pas, autant que le leur permettaient leurs jambes fourbues, tandis que le vent redoublait d’intensité et qu’il se mettait à pleuvoir, de grosses gouttes qui tombaient sur l’asphalte comme des pièces de monnaie. Elles y étaient presque quand le ciel se déchira d’un coup, et le temps qu’elles se mettent à l’abri sous le pavillon, elles étaient trempées comme si elles venaient de plonger dans une piscine. Maben posa le sac-poubelle sur une table de pique-nique, secoua les bras et la tête, et la fillette l’imita.

La grisaille emplissait tout le ciel à présent, et Maben se dit qu’elles allaient devoir rester là un petit bout de temps. Elle s’aperçut qu’elles étaient juste à côté du cimetière. La pluie nettoyait les traces de pas maculant les toboggans et les balançoires de l’aire de jeux, et des flaques commençaient à se former dans les trous creusés dans le bac à sable. Annalee s’avança jusqu’au bord du trottoir, à l’endroit où les gouttes de pluie tombaient du toit du pavillon dans un léger bruit de crécelle, et elle tendit les bras pour sentir l’eau lui éclabousser les poignets. Maben s’assit sur la table de pique-nique, le menton posé dans la paume. Elle regarda la pluie rebondir sur les balançoires, puis tourna la tête vers les tombes, en face de l’aire de jeux, et elle se demanda qui avait eu la riche idée d’installer une aire de jeux à côté d’un cimetière. Les sépultures luisaient sous l’averse et la terre ocre d’une tombe fraîchement creusée virait à la boue. Le tonnerre grondait et rugissait et le ciel était strié de brefs éclairs silencieux, puis la pluie redoubla et vint les cingler de plein fouet sous l’effet d’un brusque coup de vent. Annalee poussa un petit cri et courut se réfugier auprès de sa mère, et Maben l’aida à grimper à côté d’elle sur la table tandis que la pluie continuait de marteler le toit du pavillon, et leur désolation était plus bruyante que jamais.