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L’orage fut violent mais s’arrêta aussi subitement qu’il avait éclaté. Elles se remirent en route, dans la vapeur exhalée par les rues et les chaussées détrempées du centre-ville. Les commerçants remettaient d’aplomb les plantes et les enseignes bousculées par la tempête, et elles passèrent devant un restaurant où des clients attablés prenaient le café et mangeaient des tartines. Les cloches d’une église se mirent à sonner quelque part. Leur timbre si profond et résonnant que la petite leva soudain les yeux vers le ciel. Maben fit passer le sac-poubelle d’une épaule sur l’autre, endolorie de partout à présent. Les passants leur jetaient des regards curieux. Ces deux silhouettes trempées, épuisées. Une grande et une petite. Les ampoules aux talons de Maben à vif et en sang. Au bout de Main Street, elles tombèrent sur la voie ferrée, et elle ne s’était pas trompée. Broad Street était bien la rue qui longeait les rails. Maben posa le sac-poubelle par terre et se plia en deux, les mains en appui sur les genoux, et la fillette lui tapota le dos et lui dit tout va bien maman. Maben esquissa un sourire forcé puis se releva et regarda à droite et à gauche. Aucun Foyer familial des ministères chrétiens en vue, et elle ne se rappelait plus le numéro. Seulement Broad Street. Il n’y avait rien d’autre à faire que continuer à marcher. Une voiture de police ralentit alors derrière elles, et le flic leur demanda par la vitre baissée si elles avaient besoin d’aide et Maben dit non. Puis se ravisa et lui demanda s’il savait où se trouvait le foyer.

« Dans l’autre sens, répondit-il. Montez, je vous dépose.

— Merci, ça ira, dit Maben. On est mouillées.

— Pas grave.

— Ça ira.

— Vous êtes sûre ?

— Oui.

— Bon. »

Le flic repartit et tourna à droite au bout de la rue.

Elles firent demi-tour, revinrent à leur point de départ trois rues plus loin et traversèrent. Encore quelques pâtés de maisons puis elles sortirent du centre-ville et passèrent devant de vieilles bâtisses, dont certaines étaient condamnées, leurs fenêtres barrées de planches, leurs vérandas écroulées, tandis que d’autres avaient été remises à neuf et repeintes, leur toit réparé et leur façade agrémentée de parterres de fleurs. Elles arrivèrent devant une gare de triage où une locomotive poussait un wagon contre un autre et elles entendirent le bruit du métal s’encastrant, et Annalee ne quitta plus les wagons des yeux tandis qu’elles continuaient et elle les regardait encore quand sa mère dit on y est.

On aurait dit une ancienne église, ou peut-être une école. C’était un bâtiment de brique, rectangulaire, et derrière l’accueil s’étendait une rangée de cloisons jusqu’au fond, et entre les cloisons on apercevait des couchettes, des armoires étroites et des tables de chevet. La femme à l’accueil avait les cheveux gris, serrés en chignon au sommet du crâne, elle était menue mais parut sûre d’elle quand elle leva les yeux vers Maben et Annalee et qu’elle leur demanda ce dont elles avaient besoin.

« Un endroit où se poser », dit Maben en lâchant le sac-poubelle au sol à côté de la petite.

La femme sortit de derrière son comptoir, s’approcha, s’accroupit devant la fillette et lui demanda si elle voulait quelque chose à boire. Annalee hocha la tête, et la femme appela et une adolescente apparut à la porte d’un bureau sur la droite.

« Apporte-nous un peu d’eau. Et des serviettes », dit la femme.

La jeune fille retourna dans la pièce et revint avec deux bouteilles fraîches. La première chose que firent Maben et Annalee fut de les presser contre leur front. Puis la femme aux cheveux gris leur désigna des chaises alignées contre le mur et elles s’assirent toutes les trois. Maben se sécha la tête avec une serviette puis fit pareil pour Annalee.

La femme dit qu’elle s’appelait Brenda, puis elle commença à poser des questions, auxquelles Maben répondit. Sans presque jamais dire la vérité. Annalee buvait en silence, et elle finit sa bouteille avant sa mère. Une fois Brenda apparemment satisfaite et assurée que cette femme et sa fille avaient réellement besoin d’une place au foyer, elle leur expliqua qu’ils pouvaient les accueillir mais que ce n’était que temporaire. Elle ne donna pas plus d’explications. Aujourd’hui on est vendredi, donc on vous inscrit à compter de là. Il y a une petite cuisine, mais si vous vous en servez, c’est vous qui nettoyez. Que du basique, alors ne cherchez pas la carte des plats du jour. Les hommes ne sont pas autorisés. Si vous enfreignez cette règle, on vous demandera de partir immédiatement. Nous pouvons installer deux matelas dans la même pièce, comme ça vous ne serez pas séparée de votre fille. Il y a des douches, des serviettes et du savon. Lave-linge, sèche-linge. Je suis là pendant la journée, et il y a quelqu’un d’autre pour la nuit, la porte ferme à vingt heures et il vous faut un mot de passe pour rentrer. Et si vous cherchez du travail, il y a un café en ville où vous pourrez faire la plonge et travailler en cuisine.

Puis elle demanda ce qu’il y avait dans le sac-poubelle.

« Tout », dit Maben.

Le sac était troué et déchiré et des bouts de vêtements dépassaient ici et là.

« Je vais vous trouver autre chose, dit Brenda.

— Non, dit Maben en ramenant le sac contre elle. Ça ira. Vous pouvez nous montrer où on peut se mettre ?

— Ça, ça ne devrait pas être trop difficile, vu qu’il n’y a que vous. Il y avait une femme mais elle a disparu Dieu sait où pendant le week-end, et une autre qui est repartie avec son petit copain. Celui-là même qu’elle fuyait quand elle est arrivée ici. Ça n’arrête jamais. Mettez-vous où vous voulez. Tous les emplacements font grosso modo la même taille. Cela dit, je vous conseille d’aller plutôt vers le fond, parce que les trains ne roulent pas exactement sur la pointe des pieds quand ils passent. »

Elles allèrent se poser dans un coin au fond du bâtiment, près de la cuisine et des sanitaires, et sous une grande fenêtre parce que Annalee voulait voir la lune quand elle serait couchée. Maben fouilla dans le sac, sortit des vêtements secs, et elles se changèrent. Elle aurait voulu le vider de tous ces habits crasseux roulés en boule, mais elle ne savait pas où mettre le revolver, alors elle fit glisser le sac sous sa couchette. Elle se rendit dans la salle de bains, se nettoya le visage, puis elle mouilla un gant pour nettoyer celui d’Annalee, mais quand elle revint la petite s’était endormie. Maben passa délicatement le gant sur son front, puis elle le reposa et s’allongea à côté de la fillette, et la fatigue de la marche et l’inquiétude la rattrapèrent et elle ferma les yeux, et elle rêva de sirènes et d’inconnus qui faisaient ce qu’ils voulaient avec elle, et elle se réveilla en poussant un cri. Elle regarda autour d’elle. Mit quelques secondes à se rappeler où elle était. Regarda la petite, que le cri de sa mère n’avait pas dérangée et qui dormait toujours.