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— J’en ai rien à carrer, ce que tu bois, mais je peux t’assurer un truc, c’est que je te laisserai pas boire un verre de vin assise à côté de moi. »

Earl attendit et elle commanda une bière.

« Ça y est, t’es content ? » demanda-t-elle.

Elle lui donna un petit coup de coude moqueur, mais Larry ne sourit pas. Et ne dit rien. Elle se tourna vers lui et croisa les jambes, lui effleurant le mollet du bout du pied. Il ne releva pas.

« Qui est-ce qui gagne ? demanda-t-elle.

— Qui est-ce qui gagne quoi ? dit Larry.

— Le match, là. »

Larry leva les yeux vers l’écran.

« Le score est marqué en bas.

— J’arrive pas à voir d’ici.

— Eh bah, lève ton cul et va voir. »

Elle s’était juré d’être plus prudente. C’était il y a trois ans, et elle était plus intrépide que jamais. À dire au blondinet que ce n’était pas la peine de quitter la ville. Larry est complet à l’ouest. Ça sera sympa d’aller à l’Armadillo. Mais elle avait sous-estimé Larry, et elle s’était foutue de lui, et le blondinet en avait fait les frais. Il fallait qu’elle l’apaise, si elle ne voulait pas se retrouver sans toit au-dessus de sa tête. Ou sans compte en banque. Elle enveloppa sa bouteille de bière d’une serviette en papier et la fit tourner entre ses mains, ses ongles aussi rouges que ses lèvres.

« Tu as l’intention de bouder comme ça toute la soirée ou tu vas m’adresser la parole ? » dit-elle.

Il se tourna sur son tabouret et la regarda droit dans les yeux. Se donna le temps de contenir sa colère avant de lui répondre, pour ne pas se mettre à crier.

« J’ai rien à te dire, Heather. Et tu sais très bien pourquoi. Combien de temps on va rester là à jouer aux cons, hein ? »

Larry s’était de nouveau détourné et elle attrapa son regard entre les bouteilles d’alcool dans le miroir.

« Je suis désolée, Larry.

— Tant mieux pour toi.

— Je suis sérieuse.

— Je sais. C’est bien ça qui est pitoyable.

— Pourquoi pitoyable ? »

Elle avait changé d’expression, perdu de son air mutin pour devenir plus agressive tout à coup.

« Pourquoi pitoyable ? répéta-t-elle.

— Pitoyable parce que tu crois que tu peux te pointer ici comme ça avec ton parfum de merde et tout et t’asseoir à côté de moi et croire que ça va suffire à me faire flancher.

— J’ai déconné, je ne dis pas le contraire. D’accord ?

— Sans blague.

— Et je suis désolée.

— T’es désolée uniquement parce que tu t’es fait choper, et tu peux avouer tout ce que tu veux, c’est que du foutage de gueule.

— Je te promets, Larry. Je suis désolée. »

Elle posa la main sur sa cuisse et il la repoussa et demanda une autre bière à Earl. Elle ne dit plus rien, le laissa ruminer un moment. L’idée la traversa de faire semblant de fondre en larmes, mais elle n’en était pas encore là.

Elle glissa de nouveau la main sur l’intérieur de sa cuisse et sourit en coin.

« Je te jure, je suis désolée. Et je ne le ferai plus, Larry.

— Tu feras plus quoi ?

— Tu sais bien.

— Je veux que tu le dises.

— D’accord. Je ne ferai plus de bêtises.

— Des bêtises ? C’est pas ça que tu fais. Vas-y, dis-moi ce que tu fais. Donne-moi les détails. »

Il avait haussé le ton, et plusieurs personnes dans le bar tournèrent la tête dans leur direction. Heather se redressa sur son tabouret, mal à l’aise.

« Je ne coucherai plus ailleurs.

— C’est pas ça non plus que tu fais, coucher. Je veux que tu le dises. Dis-moi exactement ce que tu feras plus, ou lundi matin à la première heure, j’apporte à mon avocat les photos que j’ai mises dans le slibard de ton copain, et ensuite je rentre à la maison et je fous toutes tes affaires dehors. »

Elle prit une profonde inspiration. Il la tenait.

« Je ne ferai plus l’amour avec d’autres hommes, dit-elle.

— Quoi d’autre ?

— Je ne les sucerai plus. Je n’écarterai plus les jambes pour qui que ce soit à part toi. Je ne le ferai plus, mon chéri. Je te le jure. »

Elle croisa les mains sur ses jambes, attendit et se promit que plus jamais elle ne se montrerait aussi désinvolte. Que les prochaines fois elle veillerait à faire ça en dehors de la ville. Que plus jamais elle ne le laisserait l’humilier de cette façon.

Il pinça les lèvres. Hocha la tête. Puis demanda deux bourbons à Earl.

« Dans le même verre ? demanda Earl.

— Mais non, tête de nœud. Un pour moi et un pour elle. »

Earl posa les deux verres sur le comptoir et Larry en fit glisser un vers Heather.

« Tiens », dit-il.

Un silence étrange s’installa entre eux tandis qu’ils buvaient, le genre de silence qui s’installe entre les gens qui se sont pliés à toutes les étapes obligées mais ne sont pas encore tout à fait sûrs d’être réconciliés pour de bon. Heather regarda autour d’elle dans le bar et passa un doigt aux commissures de sa bouche pour lisser son rouge à lèvres. Il ne restait plus qu’une chose à faire pour qu’il passe l’éponge.

« Et si on rentrait à la maison ? dit-elle.

— Je suis occupé, là, dit-il en montrant son verre.

— Allez, Larry. Laisse-moi me faire pardonner. »

Il finit son bourbon et en demanda un deuxième à Earl. Puis dit à Heather vas-y, toi, je te rejoins tout à l’heure.

« Promis ?

— Vas-y, je te dis. »

Elle se leva, l’embrassa sur la joue, puis s’en alla. Avant de franchir la porte, elle tourna la tête pour voir s’il la regardait, mais il n’avait pas bougé.

Walt attendit que Larry ait fini son verre, puis il prit la place libérée par Heather et dit j’imagine que tu as passé l’éponge.

« Me parle pas.

— C’est un disque rayé, cette fille.

— Sans déconner.

— Elle se fout de ta gueule. »

Walt ne vit pas arriver la droite violente qui le renversa, mais Larry eut l’indulgence de viser le côté de la tête plutôt que le nez, et une fois que les deux frères se furent relevés et qu’Earl les eut séparés, ils se rassirent côte à côte et se remirent à boire.

Ils éclusèrent pendant des heures en regardant la télé, et ni l’un ni l’autre ne bougèrent, sauf pour aller aux toilettes, et pour finir Larry s’en alla, laissant Walt payer la note, et il roula jusqu’au bout de Delaware, là où l’avenue se prolongeait par l’autoroute. Il s’arrêta à une station-service, acheta un pack de bières, puis mit le cap sur la Louisiane. Une pleine brassée d’étoiles constellait le ciel d’été, et il continua de rouler en fumant, les vitres tout juste assez baissées pour laisser passer un filet d’air chaud qui s’engouffrait et tourbillonnait autour de lui. Il régla le limiteur de vitesse, conscient que si jamais il se faisait contrôler il retournerait directement à la case prison. Il se renfonça dans son siège, une cannette entre les jambes. Buvant à grandes rasades. Une portion d’autoroute qui n’exprimait que la solitude. Il avait vidé deux cannettes quand il atteignit la frontière d’État, après quoi il ne restait plus qu’un kilomètre pour atteindre Kentwood. Il prit la bretelle de sortie et bifurqua à droite, loin des lumières des fast-foods et des stations-service.

Il roula encore quelques kilomètres, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien autour de lui que des clôtures, une boîte aux lettres ici et là, et dans cette partie de la région la nuit semblait ouvrir grand la bouche pour avaler la terre et tout ce qui la traversait. Il arriva à un croisement, tourna à gauche, et la route s’étrécit, quittant les plaines pour s’enfoncer entre les arbres, et soudain il fit plus noir encore. Il ralentit, guetta l’endroit où il devrait tourner de nouveau. Après le deuxième virage, il s’engagea sur un chemin signalé par une boîte aux lettres recouverte de lierre fleuri. Il éteignit les phares et s’approcha de la maison. Il s’arrêta à vingt mètres et regarda la maison par la vitre ouverte. La brique rouge qu’elle avait voulue, et les colonnades blanches qu’elle avait voulues, et les deux cheminées qu’il avait voulues. Pas un seul centimètre carré de cette maison n’était sorti de terre sans qu’il mette la main à la pâte. La lumière était allumée au-dessus de la porte, et aucune à l’intérieur. Il posa sa bière de côté, sortit du pick-up, et, quand il claqua la portière, la lumière s’alluma à la fenêtre de sa chambre et son ombre se profila derrière le rideau et elle l’écarta pour voir qui c’était.