Выбрать главу

43

Il se tenait au milieu de la route à l’endroit exact où seulement quatre jours auparavant ils avaient découvert Clint allongé face contre terre devant sa voiture de patrouille, baignant dans son propre sang noirci. Boyd resta un moment les yeux rivés au sol, les mains posées sur son ceinturon, puis leva la tête et regarda la route. Les champs au loin. Les arbres.

Rien. Ce qui était précisément ce qu’il avait obtenu de la femme du foyer à propos de Maben. Une Blanche toute maigrichonne avec un gosse. Une petite fille. Enfin bon des comme ça on en voit passer un paquet par ici.

Son estomac gargouilla et il se tapota le ventre, secouant la tête en pensant aux kilos qui n’arrêtaient pas de s’accumuler alors qu’il s’était promis d’en perdre, puis il regarda son insigne. Il décrocha l’étoile argentée et la tendit devant lui, l’examinant comme un objet dont il songeait à faire l’acquisition. Le soleil était dissimulé derrière un nuage et l’insigne ne brillait pas. Il l’approcha de sa bouche, souffla un peu d’air chaud dessus et l’essuya sur sa chemise. Puis il l’épingla de nouveau au-dessus de son badge au côté gauche de sa poitrine et poussa un soupir.

C’était une petite juridiction et Boyd avait entendu des choses. N’avait pas pu ignorer les rumeurs. Il était incapable de dire ce qui était vrai, ce qui était faux, et pensait que ça devait se situer quelque part entre les deux, mais il avait entendu bien plus de choses à propos du nouveau qu’il n’aurait voulu en savoir. Il apprécie la liberté conférée par l’insigne si vous voyez ce que je veux dire. Il aime bien passer en Louisiane de temps en temps pour aller dans une vieille baraque là-bas dans les vieilles collines et filer son pognon à des gonzesses à moitié à poil et à moitié ivres qui lui en donnent pour son argent. Il aime bien patrouiller la nuit parce qu’on peut se permettre plus de choses à ce moment-là si vous voyez ce que je veux dire. Il avait entendu tout cela. Rien qui soit de nature à l’incriminer pour quoi que ce soit en particulier. Mais assez pour le conduire jusqu’ici et à se poser la question. Qu’est-ce que Clint pouvait bien foutre dans ce coin en plein milieu de la nuit ?

Puis Boyd se posa la même question à propos de Russell.

Il se baissa, ramassa un morceau de caillasse dans un nid-de-poule et le balança dans les fourrés. Se demandant si le flic ne l’avait pas cherché. Si c’était la première ou la dixième ou la cinquantième fois qu’il venait ici. Cet endroit loin de tout et où il n’y avait rien ni personne à part le ciel pour être témoin de ce que vous trafiquiez.

Peu importe ce qu’il trafiquait, songea Boyd. Il est mort et c’était l’un d’entre nous. Difficile de passer outre. Difficile pour Boyd de ne pas s’imaginer faire lui aussi la une de la presse un jour ou l’autre pour la même raison. Un officier de police assassiné. Apparemment sans motif. Les funérailles auront lieu vendredi. Il laisse derrière lui une femme et deux fils.

Il regagna son véhicule et pensa à ses enfants. À Lacey. Il monta à bord et appela au bureau. Dit qu’il avait terminé son service. Puis il sortit un portable de sa poche de chemise et il appela Lacey et lui demanda si elle avait faim et quand elle répondit oui il lui dit qu’il était en chemin et qu’elle se tienne prête. On sort.

Ils habitaient à deux rues du lycée et il passa devant le terrain de foot. Ses fils étaient là pour l’entraînement d’été qu’il avait lui-même tant redouté jadis. Boyd se gara mais laissa tourner le moteur et il essaya de repérer ses garçons parmi cette déferlante de corps torse nu qui montaient et descendaient les gradins en aluminium au pas de course, le fracas de centaines de pieds résonnant comme des tambours d’acier. L’entraînement était obligatoire pour l’aîné, pas pour le cadet. Mais ce dernier ne voulait pas être en reste et aucun coach n’irait lui interdire de s’entraîner s’il en avait envie. Boyd finit par les apercevoir. Luisants de sueur des pieds à la tête. Comme tous les autres. Tous ces jeunes gens différents de l’année précédente et encore de celle d’avant et qui étaient pourtant les mêmes d’une certaine manière. Les mêmes garçons à cavaler sur les mêmes gradins et à suer la même sueur et à souffler le même air chaud comme des bêtes. Boyd n’avait aucun mal à s’imaginer courir avec eux. Monter et descendre et monter et descendre jusqu’à ne plus en pouvoir et puis remonter et redescendre encore. Sentir à la fois la douleur et la frénésie et la force et la faiblesse, entrelacées en une seule et même sensation comme les spirales d’une corde. Assis derrière son volant, il les regarda et cette scène aurait pu se dérouler vingt ans plus tôt. Ou vingt ans plus tard. Il se frotta les muscles des cuisses. Crut presque éprouver de nouveau la brûlure. Il aurait voulu sortir de son véhicule et défaire son ceinturon et arracher sa chemise et rejoindre les gradins et monter et descendre et monter et descendre avec eux. Il aurait voulu mais il ne pouvait pas.

Et merde, Russell, se dit-il.

Il s’éloigna du terrain de foot, s’arrêta devant sa maison et Lacey était dehors en train d’arroser les fleurs de ses jardinières avec le tuyau. Bon Dieu, y a quand même des choses qui changent pas, se dit-il en la regardant. Elle se retourna et sourit et lui adressa un petit signe de la main et il ressentit alors une telle bouffée de joie qu’il eut presque l’impression de renaître et qu’il devint deux fois plus dur de s’empêcher de penser à ce que ça donnerait à la une du journal. Un officier de police assassiné. Apparemment sans motif. Il laisse derrière lui une femme et deux fils.

44

Larry croyait se souvenir qu’ils jouaient pratiquement tous les soirs de la semaine et se dit qu’il avait donc une bonne chance de le trouver là-bas. Il resta sur un chantier jusque sur le coup de dix-sept heures puis passa chez Buddy’s manger un po’boy aux crevettes arrosé de quelques bières. Il regarda deux ou trois manches du match de base-ball et s’en alla à la fin de la cinquième, s’arrêta au magasin de spiritueux pour acheter une bouteille de bourbon puis à la station-service où il se remplit un grand gobelet de Coca avec des glaçons. Il prit ensuite la route de Kentwood, son bourbon-Coca calé entre les jambes, dans la nuit tombée plus tôt que d’habitude à cause d’une lourde chape de nuages dans le ciel. Écoutant Mötley Crüe. À plein volume. Poussé dans la direction où il voulait aller par l’alcool et les décibels.

Il sortit de l’autoroute à Kentwood. Un alignement de bureaux d’encaissement de chèques et de maisons condamnées. Peu de signes de progrès. Moins encore d’une quelconque volonté de progrès. Il aperçut les lumières des terrains de sport sur la droite, bifurqua puis entra sur l’aire de parking située juste derrière la clôture grillagée. Il fit le tour, ne trouva aucune place libre, monta sur le trottoir et se gara dans l’herbe. Il rechargea son Coca en bourbon puis descendit du pick-up et suivit l’allée qui menait à la buvette et aux gradins.

Des petits frères et petites sœurs couraient en tous sens dans l’allée, le visage cramoisi et les genoux crottés et les cheveux plaqués sur le front par la sueur. Des jeunes filles debout derrière les lignes, mini-shorts et dos cambrés, parlant avec les garçons sur le terrain ou dans la fosse. Des mères assises dans les gradins, feuilletant un magazine ou les mains croisées sur leurs genoux dénudés et des pères et des grands-pères aux abords de la buvette, en train de fumer et de râler contre les arbitres. Il scruta les gradins à la recherche de Dana et, ne la trouvant pas, il s’assit, sirota sa boisson et essaya de se rappeler si son gosse avait treize ou quatorze ans.