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Bérurier qui se détronche depuis le pont se rend compte du tableau de chasse.

— Notre petit pote est passé par là, hé ? dit-il placidement, en v’là un qui r’garde pas à la dépense.

Enjambant les corps en ces lieux exigus, je me livre à une rapide inspection. Révélatrice pour un esprit sagace. Le tueur a farfouillé dans l’humble garde-robe du pénicheman et il a troqué ses fringues contre une tenue appartenant à sa victime. Et moi, malin comme un homme, tu veux que je te dise ? Il s’est loqué en marinier, l’artiste. Ses propres vêtements, il les a fourrés dans un sac ou une valtoque afin de les remettre plus tard. Et il est parti. Mais après avoir soigné sa blessure car je déniche dans la boîte à ordures des tampons d’ouate imbibés de sang.

Le Gravos a disparu de l’encadrement, là-haut. Ne s’est même pas donné la peine de me rejoindre. Je l’entends arpenter le pont en maugréant.

Lorsque je le rejoins, il m’annonce :

— Not’ julot a filé av’c une péteuse japonouille qui s’trouvait à bord ; t’sais, ces p’tites motos pliantes qu’est commode à transbahuter…

— Qu’est-ce qui te donne à penser ça ?

— Viens voir !

Il me guide à la proue, ouvre la double porte d’une sorte de placard extérieur dont la partie haute est garnie de rayonnages chargés d’outils, de bidons, pots de peinture, cordages, etc. Dans la partie basse, se trouve un compartiment avec un fort crochet. Une flaque d’huile lentement constituée le tapisse. S’y trouvent encore un bidon d’huile et un autre de mélange pour engins deux-temps (trois mouvements). Dans la flaque huileuse on lit clairement l’empreinte de deux pneus parallèles.

— Tous les mariniers ont un Solex ou une petite moto pour s’déplacer quand t’est-ce y sont atterrés, déclare le professeur Bérurier, chargé de cours de beaujolpif appliqué à la Faculté de Bercy. Là, çui d’ce rafiot remisait une moto pliante vu l’peu d’espaçage et les deux pneus placés côte à côte.

— Bravo, monsieur Sherlock Holmes, complimenté-je, l’air de la Grande-Bretagne réussit à vos cellules grises. En somme, nous devons partir à la recherche d’un marinier sur une petite péteuse, ayant un colis quelconque attaché au porte-bagages.

Ainsi fut fait et nous prenons congé du pauvre merle des Indes orphelin, qui nous lance un glapissant :

— Paré à virer ! assez judicieux, moi je trouve.

* * *

En l’absence de l’éclusier, qui profite de la grève pour rendre visite à ses vieux parents domiciliés à Guinessis-goodforyou dans le Devon (ou dans le Derrière, je m’en souviens plus très well), en l’absence de l’éclusier, reprends-je pour ne pas altérer ta compréhension, nous nous rabattons sur l’éclusière, une femme grandasse, blondasse et lasse, encore jeune, mais ça n’améliore pas son problème, laquelle prépare une assiettée de porridge à son chiare.

— Pardon de vous importuner, jolie dame, mais je voudrais des renseignements concernant le marinier qui s’est amarré en contrebas.

La « jolie dame » me vote un sourire ravi. Moi, j’aurais un film à tourner sur la vie d’un sanatorium pendant les années 20, je l’engagerais illico pour interpréter le rôle de la tuberculeuse-chef. Elle a le nez plongeant, les cheveux longs et raides, le regard comme deux fenêtres gothiques et un teint de pêche tombée de l’arbre un mois avant son mûrissement.

Cela dit, brave personne, accueillante et pas rechigneuse sur la conversation. Faut dire que dans sa boutique à manivelles, elle a pas tellement l’occasion de faire causette, surtout depuis la grève qui a interrompu le maigre trafic.

— It is mignon your baby, complimente le Gros en s’emparant de la cuiller, let me goûter, môme cette good poupou. Hmm, very delicious. One cuiller for father ! One cuiller for mother ! Two for tonton Béru.

Tandis qu’il clappe le potage du petit invertébré de l’écluse, j’entreprends la maman.

Non : elle n’a pas aperçu d’homme blessé. Non, elle n’a pas entendu de détonations. Mais par contre, oui, elle a vu partir l’éclusier, un peu avant midi, sur sa petite moto verte. Elle s’est même demandé où il allait car au lieu de revenir à l’écluse pour prendre le chemin conduisant au village (en anglais to the village) et à la nationale, il s’est engagé dans l’ancien sentier de halage pavé (halage de pierre) lequel, lui, ne conduit positivement nulle part, sinon par les champs, et qui, même, devient inexistant à certains endroits, les broussailles ayant tout envahi.

Je gamberge, tout en admirant en sous-main les formes rigoureusement inexistantes de la dame. Des heures d’avance, le julot. À moto… Nous ne sommes qu’à une vingtaine de kilomètres de Londres. Jeu d’enfant d’y retourner, de se perdre dans la foule. Et, salut, baron, je te connais plus ! L’homme renoue avec son destin initial, deux morts de plus sur la conscience, simple péripétie de parcours… Tu parles d’une bête nuisible, mon neveu ! À compter du moment où un individu a perdu le respect de la vie, le typhon Turlure n’est pas son cousin. Il est un fléau permanent, en vadrouille. Le danger lâché de par le monde.

Béru furète dans l’humble logis, s’arrête au frigo qu’il inventorie d’un œil verbalisateur.

— C’est d’la tarte à quoi, ça ? il questionne en montrant un reste.

Comme la dame ne pige pas le français, elle ne peut lui répondre, alors il s’informe en goûtant. Ce doit être comestible, malgré les tristes apparences, car il engloutit ce reliquat avec bonne humeur, puis il biche une bouteille de bière et, compte tenu du lieu, l’écluse.

Et Sana, ton chérubin, qui continue ses phosphorations. Il est en compagnie du tueur, Sana. Il se dit des choses. Et plus il s’en dit, plus il lui en déboule dans la pensarde. À la benne basculante, qu’elles choient ! Vraoum ! Te m’ensevelissent, crénom ! Submergent l’homme. Lui dilatent l’esprit jusqu’aux outrances, au point de rupture.

— Attends-moi laguche, Gros, je retourne jusqu’à la péniche.

Il grogne qu’oui, la bouche pleine, le ventre valsant de contentement dans son bénoche.

Je m’offre un petit canter (bury) jusqu’au barlu, redévale l’escadrin. Les deux gentils morts sont toujours là, discrets, dépassionnés de tout. Je reprends ma fouille de guerre et de naguère.

Je sais ce que je cherche.

Ne le trouve pas.

Et, tu vas voir si la vie est bien faite : précisément, j’espérais bien ne pas le trouver.

Une devinette ? Cherche, mon gamin. J’empare une feuille d’impôts adressée au défunt marinier et qui fut scrupuleusement payée en temps et heures puisque le talon du mandat est épinglé au document, l’empoche et vais rejoindre mon Béru.

Il a changé d’occupations. L’est en train de lutiner l’éclusière pendant que le bambin joue avec le revolver du Gros (préalablement vidé de ses balles j’ose l’espérer).

Le môme me braque et fait « poum ! poum ! » (en anglais). Il appuie gauchement sur la détente qui elle répond « clic ! clic ! » (en français). Alexandre-Benoît caresse l’entrejambe de son hôtesse en lui roucoulant des trucs ensorceleurs. Manière de la convaincre de ses plantureuses et louables intentions, il lui a fourré son paf dans les mains et la Britannique s’extasie, n’ayant jamais vu le pareil, fût-ce sur une planche d’anatomie ; ignorant même qu’un tel calibrage existât dans l’espèce humaine.