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— It is the biggest ! elle soupier.

Et d’ajouter, dans un français impeccable, car elle ne sait de notre dialecte que cette belle expression mais l’a apprise par cœur : « Oh ! là, là ! Oh ! là, là ! »

— Hello ! big zob ! déconcerté-je, l’heure n’est pas. Remballe et amène ta viandasse.

— En plein coup, non mais tu rêves ! proteste le Mastar. Juste que j’allais embroquer c’t’asperge ! La planter superbe ! Mézigue, tu m’connais, quand t’est-ce la mise à feu a été pratiquée, c’est malgache pour stopper les opérations. J’te demande just’ deux s’condes pour ramoner Maâme ; lu causer d’la France av’c mistress Bibite comme interprêtre. Surveille l’chiare, qu’y casse pas mon feu. T’as ben une piaule, poulette ? Pas ici ? Moui, c’est bien l’champ d’manœuvres. Amène tes montants, ma gosse, l’jour d’gloire est arrivé.

Il évacue manu militari sa nouvelle conquête avec une telle impétuosité qu’elle ne songe pas à rebiffer le moindre.

Pendant qu’ils opèrent leur jonction et coordinent leurs efforts en vue d’un règlement extatique du conflit qui les appose, je m’approche du téléphone enchié par des générations de mouches. Je compose le numéro des renseignements. Comme la sonnerie retentit, l’appareil explose sous mon nez, because le môme vient de valder une bastos oubliée par le Gros dans son composteur. À vingt centimètres près, je la morflais en plein poitrail. Fissa, je délivre le moutard de son jouet. Pas content, le voici qui se met à brailler. Tu crois que ça dérange les joyeux partenaires, toi ? Fume ! Le chant tyrolien d’un sommier en folie me prouve que la maison pourrait leur exploser autour des miches sans qu’ils en fussent affectés.

Mais Béru avait promis de faire vite et il tient parole. En moins de pas longtemps, la porte s’ouvre et Sa Majesté refait surface, l’air content, en se rajustant avec des mouvements édifiants à force de sobriété.

— On peut calter, annonce-t-il, j’sais pas si Madame a eu le temps d’annoncer la couleur, car j’ai pris mes z’aises en catastrophe, mais le plus gros a été fait.

— Tu avais laissé une prune dans ton flingue ! aboie-je en montrant l’appareil téléphonique disloqué.

— J’ai entendu, admet le Mahousse. Ce sont des choses qu’arrivent quand on est pressé de fourrer une dame.

* * *

Et bon, nous voilà sur la nationale qui va de Londres à Branlbitt, à faire du stop comme deux glandus ; hélas, onc ne songe à prendre en charge un tandem pareil. Quelques belles âmes ralentissent, mais en voyant de plus près l’homme au chapeau melon, elles se mettent à champignonner comme des folles.

Notre ultime espoir réside dans un bus compatissant qui aurait l’amabilité de surviendre, puis de stopper. Pour l’instant, ce sont des véhicules privés qui sillonnent la campagne anglaise.

Nous marchons donc dans le jour finissant, d’un double pas inajusté, remâchant des griefs obscurs, quand une Rolls noire nous surgit à l’hauteur, égayée seulement par sa plongeuse de l’avant et sa plaque minéralogique jaune de l’arrière dont le numéro (si je puis dire est : ZOB 69 INQ). La somptueuse chignole s’arrête dans une moelleur qui n’appartient qu’à ces étranges véhicules dont le prototype remonte (ou plutôt descend des) aux rois fainéants. À travers les vitres garnies de rideaux, on aperçoit confusément des visages. Une portière de gauche (n’oublie pas qu’en Grande-Machine la circulation est inversée par rapport à la nôtre) s’ouvre et l’on voit paraître tu ne devineras jamais quoi, qui, ni qu’est-ce. Tu donnes ta langue ? Pas à moi, merci bien, elle est trop dégueulasse.

Pinaud ! Lui ! Soi-même ! Pinuche, la Vieillasse, la Baderne, la Loque ! Mister Ganache ! Souriant, malin, exquis.

— Psst ! nous crie-t-il.

Et nous psstons en courant.

Il s’est déjà racagnardé dans sa litière à bœufs. L’intérieur de la guinde sent bon la Vieille Angleterre. On croit y entendre sonner Big Ben. Velours gris éléphant, acajou sombre. Une merveille. Au côté de la Pine : une dame. Affable, comme Esope. Assez forte, habillée d’oripeaux de prix, tellement sobres que si elle se trouvait dans un autocar on ne la verrait pas et quelqu’un s’assiérait par inadvertance sur ses genoux. La personne a de la bouteille, mais millésimée. Cheveux gris-bleu, chapeau confectionné à Londres par un type qui doit également fabriquer des abat-jour. Un soupçon de poudre farineuse aux joues, une présomption de rouge à lèvres mauve autour de la bouche (et non sur). La gentry de là-bas, quoi.

— Chère lady, permettez-moi de vous présenter le commissaire San-Antonio et mon collègue Bérurier, glousse le Débris. Mes amis, voici Lady Meckouihl, une exquise personne de qui j’ai fait fortuitement la connaissance et qui a eu l’amabilité de me prendre en charge.

Nous nous hissons à bord du carrosse, lequel est piloté par une jeune femme blonde, pas mal de dos, mais faudra voir la devanture, vêtue d’un tailleur bleu marine et d’un chemisier blanc.

Pinuchet nous raconte les circonstances. Lady Meckouihl était allée attendre à la gare de Ping-Pong Beach un vieil ami à elle, le révérend Ted Delar. En apercevant Pinaud, la chère personne, myope sur les bords, s’est jetée sur lui en le gratulant. Ainsi ont-ils lié ce que tu sais, c’est-à-dire connaissance. Le révérend avait raté le train. Pinaud a raconté nos tribulations à la lady que l’affaire émoustille. Elle lui a proposé de le conduire sur les lieux où nous avons sauté du train. Et le cher bienveillant hasard a permis qu’ils nous tombent dessus.

À mon tour de la remercier. Elle parle très bien français, ayant habité Nice lors de la création de la Promenade des Anglais (appelée de nos jours Promenade Max Gallo) ; se propose de nous aider dans la mesure de ses moyens. Volontiers, chère madame. Si c’était une éphéméride de votre bonté divine de nous conduire jusqu’à l’aéroport de London, je vous en saurais un pot de gré grand comme ça, avec vue sur la mer.

Ainsi est fait.

Climat agréable. Nous sommes sur les strapontins, le Gravos et moi, manière de ne pas bousculer le couple princier. Pinaud continue de se pavaner pour une infante défunte. La dame me raconte son château des environs de Ping-Pong Beach : douze mille hectares, 145 pièces… Elle est adorable, fofolle, comme le veut la tradition, comblée par cette aventure avec des french boys déboulant en trombe dans son veuvage morose, devenu institutionnel avec le temps.

Tout en devisant et en rollsant, nous atteignons l’aéroport.

— Rentrez-vous in Paris ? s’inquiète la chère femme.

— Je viens seulement opérer des vérifications, dis-je.

— À propos de ce vilain tueur ?

— Exactement.

— Que le Seigneur guide vos pieds ! fait-elle, ce qui n’est déjà pas mal pour une vieille rombiasse anglaise qui n’a pas séjourné en France depuis le percement du canal de Suez.

La chauffeuse m’ouvre la portière. Moi, je déteste que les souris exercent des métiers d’homme. Que ce soit celui de juge d’instruction ou celui de gardien de la paix. Alors, tu penses : chauffeur britiche, avec ce que cela comporte d’obséquiosité, je me sens dans mes petites targettes.

Cette commotion !

La piloteuse de Rolls est une fille de vingt-huit balais environ, belle à te faire craquer le futal sur la façade sud, d’un beau blond ardent, les cheveux raides, coupés au niveau des maxillaires, un regard indéfinissable, sombre d’un bleu très sombre. Et puis une bouche charnue qui va bien avec, et quelques taches de rousseur comme des étoiles dans une nuit d’été. Le pied.