Je la visionne jusqu’au fond des yeux, façon Giscard. Elle ne cille pas, mais accuse le coup. Elle a aperçu mon émoi, au fin fond de ma prunelle ardente : et tout ce qui pourrait en découler de pas désagréable pour elle si elle m’escortait en un lieu clos, pourvu d’une surface horizontale rembourrée.
— Ne vous donnez pas la peine, miss, lui fais-je. Chez nous, ce sont les hommes qui tiennent la porte aux jolies femmes.
Elle rosit un brin, ce qui ajoute.
Moi, bon : boulot, boulot, hein ? Comme on chantait jadis dans Les Forgerons : C’est pour la paix que mon marteau travaille.
Je fonce dans l’aéroport, service du trafic. J’aborde des préposés, des préposées, je montre ma carte, mes trente-deux dents, mon affabilité, tout bien et je finis par être introduit auprès d’un monsieur exquis à tête de héros pour feuilleton télé sur les mers du Sud.
Bronzé, grisonnant, l’œil vague : un rêve. Le tout enveloppé dans une fine serge bleue pustulée de boutons dorés et t’as la panoplie archi-complète pour séduire les nurses en maraude sur le Mail.
Il me reçoit aussi aimablement qu’un fonctionnaire anglais puisse accueillir un fonctionnaire français. Je lui résume l’objet de ma visite. Il m’écoute sans se départir d’un sourire à toute épreuve qu’il arbore dans les réunions syndicales, chez ses amis de week-end et quand il baise miss Branton, sa secrétaire, celle qui a trente-quatre dents et pas de poitrine.
Chez cet homme délicieux, j’ai tout l’heur d’apprécier l’efficacité de l’ordinateur. Quelle merveille ! Même les curés, de nos jours, sont ordinés prêtres par I.B.M., et quel gain de temps !
En quelques minutes, après avoir tabulé quelques touches sur un clavier à pitrogneur concave, l’homme me renseigne.
J’ai vu juste. Très juste. Formidablement juste.
Oui : un certain Jan Stromberg avait réservé une place, en first s’il vous plaît, pour le vol d’Abidjan.
La destination, c’est lui qui me l’apprend. Je m’étais simplement gaffé que le tueur venait à London uniquement pour y prendre l’avion. Bon, donc j’avais bien deviné et il s’agissait de la Côte-d’Ivoire (dis voir pourquoi, gros malin !).
Le héros pour feuilletons sur les mers du Sud me confirme qu’effectivement, cette réservation n’a pas été honorée.
À présent, on va voir si Tantonio a du génie ou bien s’il s’agit simplement d’un reflet de sa cravate sur le bassin des Tuileries dont le peuple s’empara à juste titre jadis. Sortant la feuille d’impôts du marinier, je questionne derechef (de gare) :
— Trouvez-vous une location, dans les récentes heures, au nom de Max Hyler ? Destination Côte-d’Ivoire, ou, en tout cas, l’Afrique occidentale ?
Il retabule son zinzin, le fortuite en crapoutant et le renseignement tombe :
— Yes, M. Max Hyler a pris l’avion pour Dakar à 4 heures P.M.
Un hymne gazouilleur me veloute les conduits. Bravo, mon Santonio d’amour ! Bravissimo ! T’as vu juste. Traqué, le gars s’est emparé des papiers du marinier qu’il venait d’abattre et, juché sur la moto pliante dudit, a foncé comme un grand fou jusqu’à l’aéroport. Il a pris le vol pour Dakar, mais c’est Abidjan, sa destination.
Culot phénoménal. Il ne recule devant rien. Détermination farouche. Il va de l’avant, l’artiste.
Je demande un horaire des zavions. Le pulse, compulse, propulse, convulse et révulse.
Ça s’organise fissa. On a un vol de nuit pour Abidjan, via Bruxelles. Décollage à 10 heures P.M. Et lui, là-bas, le tueur ? Logiquement, il se posera à Dakar dans deux plombes. Il m’est donc possible de tenter une démarche pour le faire alpaguer à l’arrivée. En référer au Vioque d’urgence.
Je remercie chaudeusement mon terlocuteur. Compréhensif, coopérateur, tout bien, bravo, au plaisir. À charge de revanche et de tout ce qu’il voudra. Si un jour il s’amène à Paris, qu’il me bigophone : je lui donnerai de bonnes adresses pour se faire sucer…
Le vieux m’écoute en onomatopant pour montrer son intérêt.
Lui, il chipote sur les compliments, parcimonise. Pas trop gonfler la hure de ses subordonnés, sinon elle enflerait et il devrait dès lors monter en chaire pour leur parler.
— En somme, les Russes sont également sur cette histoire puisqu’ils ont tenté d’intercepter notre type à Londres et ont kidnappé sa complice.
— J’ai tout lieu de le penser, monsieur le directeur. Votre raisonnement est admirable, léché-je un brin, manière de lui faire sa petite pipe quotidienne. Vous avez la possibilité de faire intercepter notre tueur à Dakar, puisqu’il est encore dans les airs.
— Oui, mais par les autorités sénégalaises, objecte le Dabe.
— Ah, ça, évidemment, à moins que vous n’ayez là-bas quelqu’un de confiance qui…
— Hum, trop risqué, ce type est un coriace. Un vrai fauve.
« D’ailleurs nous ne sommes pas outillés comme il le faudrait. La France n’est plus ce qu’elle était, vous savez. En outre, je voudrais connaître la finalité de la chose. En nous emparant d’un maillon, nous interromprions la chaîne, n’hésite-t-il pas à métaphorer.
Et moi je trouve cette image de toute beauté ! J’imagine cette chaîne qui unit le mystère à la vérité, brusquement interrompue par la soustraction du maillon Stromberg. Oh ! là, là…
Le cœur m’en saute dans la cage à serin.
Et ce que j’avais personnellement envisagé m’échoit sous forme d’ordre tombé des plus hautes instances.
— Filez à Dakar, mon cher, et prenez du renfort.
— À Abidjan, patron, n’oubliez pas que c’était la destination prévue par ce massacreur.
— Soit, à Abidjan. Il serait souhaitable que vous arrivassiez avant lui. Le jeu des correspondances se prête-t-il à la chose ?
— Je viens de vérifier : il s’y prête parfaitement. Nous pouvons atteindre Abidjan au petit matin, lui n’y serait qu’à midi, arrivant de Dakar.
— Alors faites ! Faites… Et surtout, mon garçon, pas de bavure. Vous connaissez l’excellence de nos relations avec la chère Côte-d’Ivoire et son merveilleux président ?
— Tout sera fait en douceur, monsieur le directeur.
— Bien entendu, vous me détruisez cette bête malfaisante, n’est-ce pas ?
— Eh bien, nous ferons au mieux.
Il me souhaite good luck (en anglais dans son texte) et raccroche.
Je retourne à la Rolls pour un conseil de guerre.
Pinuche s’est gracieusement endormi sur l’épaule de Lady Meckouihl, laquelle, pleine d’indulgence, veille à ne pas troubler ce juste repos. Béru qui s’est acheté un sandwich mélancolique le mastique comme s’il s’agissait d’un toast au foie gras. La chauffeuse attend, son mignon cucul appuyé au capot de la voiture, pardon : de la Rolls Royce en fumant une cigarette à bout doré, preuve que sa rombiasse n’est pas trop à cheval sur le service.
Mon retour attise l’intérêt.
Je réveille la Pinasse et mets mes subordonnés au courant des derniers développements de la situasse.
C’est alors que la bonne lady hasarde sa belle main aux ongles mauves sur la manche de mon pantalon.
— Cher ami français, fait-elle, la vieille désœuvrée que je suis a une requête à vous présenter.
CHAPITRE DESCARTES[6]
Soleil blanc. Ciel blanc. Population noire vêtue principalement de bleu. Terre ocrée. Chaleur. Zonzonnements d’insectes inconnus titubants. De la buée flotte comme un voile de tout ce que tu voudras, au-dessus des pistes noircies par le caoutchouc des boudins. Quelques avions en escale s’alanguissent dans la folle lumière douloureuse comme de l’acide. Autour des monstres, des hommes s’activent mollassement. Torride, tout ça.