Dans l’aéroport une rumeur tournique, se déplace, s’enfle, et puis se coupe de brusques accalmies quand un haut-jacteur virgule un message.
Je me suis renseigné : le citoyen britannique Max Hyler est bien à bord du vol d’Air Afrique en provenance de Dakar.
— Vous me le montrerez, n’est-ce pas ? implore Lady Meckouihl suspendue à mon bras.
— Naturellement, madame, toutefois je compte sur votre impassibilité britannique pour ne pas lui accorder la moindre attention.
Nos précautions sont prises.
Dûment.
À l’extérieur, deux voitures attendent.
Que nous avons louées. L’une est occupée par mes collaborateurs, l’autre par Samantha, la chauffeuse émérite de Lady Meckouihl.
Car elle est du voyage la merveilleuse, sa maîtresse (comme on disait puis au temps de l’empire des Indes) ne se séparant jamais d’elle. Elle lui sert de dame de compagnie, de secrétaire, de femme de chambre et d’un tas de je ne sais quoi. P’t’être que si la douairière bectait du gigot à l’ail, elle groumerait l’exquise tarte aux poils à la miss, mais elle ne paraît pas turbulée par les sens, la mère. C’est devenu, avec le temps, une gentille perruche jacassante, papoteuse, avide de mésaventures à raconter à ses amies ladies, le soir, devant la cheminée monumentale de son château qui remonte à Charles VI.
Donc, Samantha attend. Nous sommes convenus que nous prendrons place à son bord pour filer Stromberg. Béru et Pinuche, mes deux bons petits diables, seront là en couverture, pour le cas où il y aurait du mou dans la corde à nœuds.
Et l’haut-parleur déclame l’arrivée du vol que nous souhaitons.
Peu après, l’avion blanc surgit du ciel blanc et se pose impec. Il roule pataudement jusqu’aux bâtiments devant presque lesquels il s’arrête.
Passerelles roulantes, la porte bascule.
Tu me croiras si tu voudras, comme dit mon ami Bérurier, et si tu t’y refuses tu as toujours la ressource de te déguiser en petit télégraphiste grec et d’aller te faire sodomiser par M. Roger Peyrefitte (comme dit l’autre : si ça ne rapporte rien, ça bouche toujours un trou) ; tu me croiras donc ou pas libre à toi. Et d’abord, pourquoi ne le voudrais-tu pas, merde ! Si tu as acheté ce livre, c’est pas pour venir m’y chercher des noises, si ?
Donc, pour tout reprendre bien comme il faut : tu me croiras quand je te dirai que Jan Stromberg est le premier gus à quitter l’appareil.
Il ne porte plus sa tenue marinière, mais son complet sombre. Juste, il a acheté une casquette irlandaise à petits carreaux noirs et blancs à l’aéroport (je présume) de Londres, ainsi que des lunettes teintées, à moins qu’il ne les eût dans ses poches. Je l’identifie sans le moindre coup férir car non seulement le portrait robot exécuté sous la dictée des bistrotiers est parfaitement ressemblant, mais en outre (cuidance) il a une plaque de sparadrap au-dessus de l’oreille gauche.
— Ecce homo, dis-je à ma compagne, laquelle a appris le latin à l’école communale de Pompéi, avant la catastrophe que tu sais.
Elle reste de marbre (ordinairement j’ajoute « dans ce cas rare », mais j’ai décidé de ne pas déconner à l’intérieur de ce très beau livre, pour le cas où tu voudras le faire relier — pas en chagrin surtout — à l’intention de tes descendants, si toutefois tu parviens à éjaculer un jour).
Je profite de cette petite pause-café-parenthèse pour te signaler que si j’ai accepté la compagnie de la lady et de sa suivante en aussi périlleuse expédition, c’est justement parce que nous avons affaire à un type hors série, aux abois, prêt à tout, qui tue comme il respire et se méfie de tout le monde, y compris de son ombre ajouteraient certains confrères que j’aurai la charité (sur Loire) de ne pas citer, pour éviter d’écorner leur image de marque déjà pas mal floue.
Il a beau être sur le qui-vive, l’apôtre, crois-tu qu’il ira se gaffer d’un groupe comprenant une vieille personne de la haute aristocratie anglaise ?
Il avance à pas rapides vers la sortie.
Son passeport à la main.
Je crois apercevoir qu’il s’agit d’un passeport américain.
Et je te parie le gros machin que tu vois là contre le tout petit perdu dans ton slip qu’il a réintégré sa véritable personnalité, maintenant qu’il se trouve sur le continent africain !
Prudence ! Il a dû combiner que son forfait de la péniche aura été découvert et qu’on a pu s’apercevoir de la disparition des fafs du marinier. Donc, dès Dakar, il a changé de blaze. Il se présente à la douane où un grand diable noir, en uniforme, kibour à l’aplomb de Vénus, examine les passeports.
Pas de problème pour le voyageur sans bagages.
Quelques mots échangés avec le gusman saboulé militaire d’élite et mon brave tueur est libre de ses fèzes et zestes. Je l’examine tout à loisir. Encore une fois, son portrait robot est de qualité. Il ne lui manque que la parole, la couleur, un gros grain de beauté à la mâchoire, et un certain retroussis des cheveux sur le devant de la devanture pour ressembler à un portrait tout court.
Moi qui connais les hommes (et les femmes donc !) je peux te dire que ce type est un animal à sang froid et il suffit de suivre les lignes de son visage et cette espèce de barre horizontale unissant ses yeux afin de constituer une visière à son regard pour comprendre qu’il est effectivement un envoyé de la mort ici-bas, le messager de tous les démons de l’enfer. Il bute comme tu manges une gaufre. N’a pas d’âme, ou alors une qu’est pas racontable et qui échappe à tous les critères.
Lady Meckouihl, suspendue à mon bras, comme une perruche déplumée à son perchoir, murmure :
— Il est terrible, n’est-ce pas ?
— Pire que cela, réponds-je.
Mon tueur ne se presse pas de sortir. Il est allé à un guichet et parlemente avec une adorable fille noire dont le visage et les loloches pointées comme deux mitrailleuses jumelées font davantage pour la gloire de l’Afrique que le Maréchal Amin Dada, ce gros con plein de tripes faites pour être déroulées sur un trottoir au soleil, mais que le Créateur continue de laisser en tas dans sa grosse besace. Et puis que veux-tu que j’aille dire contre les desseins animés de la Providence, moi l’humble pêcheur à la truite si souvent bredouille et bredouillant, non, hein ?
De loin, je mate l’inscription dorée dans du plastique fumé posée sur le guichet de la ravissante noiraude si jolie, si bioutifoule, que quand je pense à elle j’ai mon cœur et mon slip qui se gonflent.
Y a écrit dessus « Ivoire Fly », vols privés. Mon sang ne fait qu’un tour, mais alors de toute beauté. Que le Tour de France et tes tours de con ne sont rien, en comparaison.
Voilà mon gazier qui s’apprête à affréter un vol particulier !
Sans blââgue !
Ses pourparlers continuent avec la très jolie. On remplit des formulaires, il va au bureau de change et troque des dollars contre des francs C.F.A. Puis il revient douiller la mignonne, laquelle, pendant ce temps, téléphone.
Lorsqu’il a souscrit à toutes les modalités, il va écluser un grand noir au buffet de l’aéroport.
Visiblement, il attend que son taxi soit à disposition.
Alors, bibi mézigue, héros incontesté des sous-littératures, de m’annoncer au guichet de la toute merveilleuse Mlle Solange Cacabo (son nom est écrit dessus), laquelle m’accueille avec un sourire que je lui boufferais sans sucre s’il n’y avait ce guichet et toute une chierie de convenances entre elle et moi.
Je procède dans l’ordre : charme indicible, carte de flic :
— Jolie Solange, M. Stromberg vient à l’instant de fréter un avion-taxi, n’est-ce pas ?