— Oui, pourquoi, vous le connaissez ?
— Pas encore mais il est inévitable que nous fassions connaissance dans les heures qui viennent. Pour tout vous dire : je le file depuis Paris. C’est un monsieur d’un genre tout à fait spécial.
Elle a un rire éclatant, très joyeux, presque aussi beau que l’accouplement de deux chevaux blancs dans une prairie anglaise, au soleil.
— Je lui ai trouvé une drôle de tête, en effet, convient la jolie Solange.
— Le pire, c’est qu’il y a à l’intérieur, assuré-je. Pour quelle destination, cet avion ?
Elle n’hésite pas ?
— Pour Sassédutrou.
J’acquiesce et me penche sur le comptoir recouvert d’une plaque de verre sous laquelle s’étale une brème de la Côte-d’Ivoire. Sassédutrou est une petite ville au bord de l’océan, assez proche du Libéria.
— Il va me falloir un zinc, à moi aussi, dis-je. Quand décolle le sien ?
— D’ici une demi-heure.
— Le mien devra décoller un peu avant, mon petit cœur, c’est indispensable.
Elle hoche la tête, ce qui me projette des rayons de sa beauté à travers la gueule ; je m’essuie d’un discret revers de main.
— Ça ne va pas être possible, dit-elle. Question de la rotation : nous n’en avons qu’un à disposition pour l’instant.
La contrariété me dévore le tempérament à pleines chailles.
— Quand pourra-t-on disposer d’un second ?
— Il faudra attendre le retour de celui de M. Stromberg.
— Alors annulez le sien, prévenez-le que l’appareil est impropre à décoller tout de suite, qu’il ne pourra en partir avant plusieurs heures. De deux choses l’une : ou bien il accepte d’attendre, en ce cas j’emprunterai son appareil, pour aller le premier à Sassédutrou, ou bien il renonce, et je renoncerai également.
Elle secoue la tête.
— Ce vol est déjà programmé, je n’ai aucun motif pour l’annuler, ce qu’il faudrait faire si ni lui ni vous ne l’honorez. Il y aurait en ce cas un dédit à régler…
— Je le réglerais.
Elle hésite à me dire ses doutes. Alors je sors mon artiche de ma vague.
— Je vais vous laisser la somme en dépôt, d’accord ?
— D’accord.
Lady Meckouihl, Samantha sa maîtresse-Jacques, Béru, Pinuche et moi attendons dans un coin discret de l’aéroport le résultat des pourparlers. J’ai vu la belle Solange mettre un écriteau à son guichet, « Fermé quelques instants », et abandonner ce dernier pour aller parlementer au bar avec mon sanglant guignol. Sa silhouette, entière, mérite le détour par Abidjan, espère ! Feu du ciel, ce prose ! Quand elle marche, son admirable fessier ressemble à de la musique de Mozart qui se serait faite cul.
Elle reste un bout de moment auprès du tueur. Stromberg se fend d’un café. Sachant que ce type est pourchassé par la police, la môme, tu penses qu’elle biche en compagnie d’un sagouin de son espèce. Les nanas, c’est le sensationnel qui les a. Elles ont besoin d’émotions fortes. Aussi prend-elle des poses, des mines. Ça bavasse guillerettement.
Pourvu qu’elle ne risque pas un mot de trop qui me casserait la cabane !
— Du train qu’ça va, ta noirepiote, ell’ va lui faire les pompes ou un pipe ! rechigne Bérurier.
Lady Meckouihl assure que tout cela est follement excitinge et qu’elle ne regrette pas d’avoir vécu jusqu’ici pour connaître pareille aventure. Pinuche, lui, saboulé en lord décadé, somnole autour d’un mégot neuf stoppé à la bonne dimension, et que ses pauvres lèvres d’ancien constipé transforment doucettement en une sorte de limacette filamenteuse.
Au bout de presque vingt minutes, la noire beauté rallie sa base. Comme Jan Stromberg la suit du regard, je prie Lady Meckouihl d’aller s’enquérir pour moi des résultats de l’entretien. Afin de dissiper les doutes éventuels de Solange, je lui remets ma carte. Notre vieille amie part donc aux nouvelles, sublime avec ses fringues grisailles marquées de mauve, ses rides colmatées au plâtre de Paris et ses manières victoriennes.
Elle parlemente assez peu de temps.
— Votre outlaw est d’accord pour ne partir que cet après-midi, mon cher, annonce-t-elle en revenant ; quant à son avion, il est à notre disposition, embarquement immédiat.
Tandis que Mémé me cause, je regarde Stromberg quitter le bar. Il marche vers la sortie d’une allure nonchalante. Moi, tu connais mon côté chien de chiasse, non ? La perspective d’abandonner provisoirement la proie pour aller l’attendre ailleurs me court-jute soudain le tempérament.
— Chère lady bienveillante, nous allons nous organiser de la façon suivante, impulsé-je ; partez pour Sassédutrou en compagnie de mes deux adjoints. Moi je vais rester ici avec miss Samantha, si vous n’y voyez pas d’objection, pour suivre notre homme dans la ville. Un couple ne lui donnera pas l’éveil. Quant à toi, Béru, parvenu à Sassédutrou, organise-toi : trouve une voiture et attends l’arrivée du gus. Vous ne le perdez pas, surtout, sinon c’est la Bérézina. Je m’arrangerai pour atteindre ce bled presque en même temps que Stromberg. Allez, tchao !
J’empoigne Samantha par une aile.
— Come with me, darling, quickly !
Du moment que sa patronne agrée, elle ne moufte pas, la gentille. Docilitas ! Rarissime, à notre époque de rébellion tout azimut. Que jamais personne n’est content ni d’accord sur rien. Tous à rebiffer, dénigrer, hargner en chœur, les cons vomiques. Toujours que ça lave plus blanc, que ça coûte moins cher.
Elle, Samantha, impec, stricte, belle et d’une réserve qui ferait chier tout ce qui subsiste de race indienne dans les studios de la Paramount, je te prie de croire, me suit, sans mot redire, sans dénigrerie d’aucune sorte, même mimiqueuse. Elle sait tout, mais ne pose pas de question. T’imagines ce bonheur ? Une gonzesse silencieuse. Viens avec moi ! Elle vient ! Fais ceci cela ! Elle le fait. Le lot rare. Du surchoix. Pour peu qu’elle baise bien, c’est du produit sans équivoque. L’aubaine du siècle. Tout le monde en voudra : les jeunes, les vieux, les sémillants, les engourdis, les dégourdis : ceux qui font l’amour avec une chopine de cheval dure comme une tringle à rideau, et ceux, déliquescents, qui le font avec un entonnoir.
Nous sortons, agressés durement par l’intensité de la chaleur, déjà reçue en pleine poire lorsque nous avons débarqué sur la chaude piste. Il fait brûlant, les mecs. Les chauves seront rapidos déguisés en œufs durs s’ils oublient leur bada.
Le tueur s’engouffre dans le premier taxi de la file : une Pijot 304 plus cabossée qu’une poubelle d’achélèmes. Samantha n’attend pas que je me mette à genoux pour la supplier de dégager sa tire de louage. Elle est déjà au volant, la gredine. Pousse la serviabilité jusqu’à m’ouvrir la portière, depuis l’intérieur.
Je grimpe et nous voilà partis à la suite du « S’enfout-la-mort » (c’est ainsi qu’on appelle les chauffeurs de bahut, à Abidjan, je te l’ai déjà raconté dans un autre chef-d’œuvre que le titre m’échappe, car je me rappelle bien toutes mes conneries, fie-toi ! Quand tu ligotes un truc qui te fait penser à un autre, dans mes polars, sache bien, Dunœud, que c’est hautement volontaire. Tiens, je te prends Lady Meckouihl. Tu te dis : mais, dans Meurs pas, on a du monde il a déjà mis une vieille dame désœuvrée sur son enquête, l’artiste. En effet, et c’est parce que le truc m’a plu que je réitère. Un peintre, plus il est grand, plus il brosse un même sujet. Pour fouiller la chose, tu comprends ? Mais qu’est-ce que j’entreprends de t’expliquer puisque tu t’en branles à deux mains ! Bon, pousse-toi que je referme la parenthèse. Voilà, merci.)