Выбрать главу

— Vous comprenez ? lui dis-je.

Elle opine.

— Il a transformé un taxi en voiture privée ?

— Exact.

Et tout un bigntz me télescope les cellules. Je me dis : « Et si Stromberg avait pigé qu’on le filait ? Il prend argument du chien écrasé pour stopper. Il…

Il quoi donc, au fait ?

J’escalade le bout de talus pour contourner la grosse touffe de cactus. Le chien est là, tout tordu par la mort, la langue sortie, un filet de sang sourdant de son nez et coagulant au soleil. Et à côté du chien, le chauffeur noir, avec deux balles dans la nuque. Il se tient face contre terre, les bras dans le prolongement du corps. Sa grosse casquette à carreaux est restée vissée sur ses cheveux crépus.

Ce Jan Stromberg, c’est une vraie épidémie de choléra à lui tout seul. Il fait autant de ravages qu’en a fait la grande peste de Londres ! Avec cézigue pas de quartier : on liquide et on s’en va ! Tiens, ça va être le titre de ce book !

Je pige sa tactique : il a liquidé le chauffeur, arraché la plaque du sapin et il est reparti sur Abidjan. Bon, l’espoir me revient, parce que celui-là, il est pire que le naturel : t’as beau le chasser au galop, il revient par la fenêtre, comme dit Bérurier. Je me dis comme ça entre toi et moi, que le tueur ne s’est pas nécessairement aperçu de ma filoche. Sans doute voulait-il se procurer une bagnole sans aligner son blaze. Il a pris un taxi, s’est fait conduire dans un site désert pour buter le chauffeur et faucher sa brouette.

Oui, mais alors, comment se fait-il qu’il ait donné son nom pour louer un avion, et qu’il s’abstienne de le faire pour louer une bagnole ? Il y a là une contradiction, non ? Après tout, pas forcément. Un avion devait le conduire en moins d’une heure à Sassédutrou, tandis qu’avec une auto il allait lui falloir du temps et…

— Oh ! my God ! soupire Samantha qui s’est décidée à venir me rejoindre.

Elle contemple les deux cadavres en masquant sa bouche de la main.

— Vous voyez à qui nous avons affaire, darling ? je murmure en lui prenant la taille, car il faut toujours réconforter les dames en détresse, surtout lorsqu’elles sont jeunes et jolies…

— Pourquoi cela ? balbutie la jeune fille.

— Simplement pour se procurer une auto.

— Mon Dieu, mais…

— C’est en quelque sorte moi, qui, indirectement, ai causé la mort de ce pauvre garçon en réquisitionnant l’avion de Stromberg.

— Je ne comprends pas.

— Il doit se rendre à Sassédutrou coûte que coûte. Donc, il loue un avion. On vient lui dire que le vol ne sera possible que dans l’après-midi, contrairement à ce qui lui a été indiqué un instant auparavant. L’homme est aux abois. Il sait que d’un instant à l’autre on peut retrouver sa trace, donc, il ne peut se permettre de poireauter aux alentours de l’aéroport en attendant le bon vouloir d’Ivoire Fly. Il feint d’accepter, mais il va prendre un taxi, se fait mener loin de la ville. Sous le premier prétexte venu, et nous le lui avons fourni en écrasant ce chien, il demande au chauffeur de l’arrêter, l’entraîne à l’écart, le tue, arrache la plaque du taxi et repart en sens inverse. Logiquement, on ne découvrira pas le corps avant longtemps, il dispose donc d’une avance confortable.

— Donc, il est parti pour Sassédutrou en automobile.

— J’en mettrais sa tête à couper, ma jolie.

— Et alors, nous ?

— Nous retournons chercher la route de Sassédutrou si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— Et s’il s’est rendu autre part ?

— Eh bien, cela voudra dire que les flics français sont des incapables, ma colombe.

CHAPITRE QUINTEUX[8]

Au bout de trois heures d’une route brûlante, nous tombons en panne d’essence.

Faute de celle que j’aime et autres elfes linottes mal implantées en ce merveilleux pays.

La route longe la mer, s’en écartant parfois pour aller chercher l’ombre dense d’une forêt pleine d’étranges cris.

Là que nous sommes en rideau, la douce enfant britannique et moi, c’est comme qui dirait, pour ainsi dire, la savane. Des arbres rares, aux troncs biscornus comme ma littérature, de la terre rouge vif, des nappes de plantes rampantes et épineuses. Et t’ajoutes des affaissements de terrain, des mares sans eau, toute une faune d’insectes jacasseurs, et puis le ciel à la fois décoloré et lourd…

Nous nous trimbalons une pépie de première grandeur. Autant que notre chignole désamorcée. Pas drôlet. Et le gars Stromberg, lui, a-t-il été plus prévoyant que nous et s’est-il muni de jerricanes ?

J’ai déposé une banquette de la guinde au pied d’un gougnafier multiple, à coquilles vertébrales claquemurées, et nous voici assis, côte à côte, passablement tout cons, si tu veux la vérité franche et massive, déshydratés, désabusés, suant et maudissant notre imprévoyance.

Je me dis qu’une voiture finira bien par se manifester.

Un quart de plombe n’en finit pas de passer, malaxé par des tourbillons de bestioles aux carapaces luisantes dont les élytres produisent un vacarme de crécelle, lorsque tout à coup, un véhicule surgit, à contre-courant de notre voiture. Il s’agit d’un énorme camping-car presque aussi gros qu’un camion. Il est entièrement blanc, avec de gros caractères bleus peints sur ses flancs. Je me gesticule tout le système au milieu de la strasse et le véhicule s’arrête docilement. Un gros mec passe sa hure rubescente et déplumée hors de sa portière.

— Vous avez un problème ? il demande avec l’accent pied-noir.

— Panne sèche !

Il ricane :

— Touristes, hé ? Bon, je vais vous arranger les bidons.

Et il éclate de rire because sa boutade particulièrement bien venue, je dois admettre.

Les grosses lettres bleues peintes sur son équipage annoncent bizarrement ceci : « Tiens ! Voilà Duboudin. »

Le bonhomme se jette de sa tire. Il est en forme de toupie : renflé du haut et pointu du bas. Il a une tête marrante, à bajoues, avec un gros pif plongeant, pareil à un projet de trompe inabouti ; et de larges oreilles étrangement minces parcourues de veines, comme celles des lapins, où l’on voit presque circuler le sang. Il porte une chemise jaune dilatée par des poches-poitrine bourrées jusqu’à la gueule, un short en jean dont il ne peut assurer les boutons supérieurs, et des sandales de cuir défraîchies au travers desquelles fleurissent les plus admirables cors au pied qu’il m’ait jamais été donné d’admirer.

— Duboudin, Alphonse ! se présente l’homme-toupie.

— San-Antonio.

On s’en presse dix. Duboudin sourit à la petite Samantha.

— Elle paraît avoir soif, non ?

Il va toquer à la porte latérale du camping-car. Une dame rousse, en robe de chambre, mules bordées de cygne vert, fait coulisser l’huis.

— Des compatriotes en rade, Ninette. Allume une bouteille de champ !

Et, à ma compagne :

— Entrez, ma belle. C’est climatisé. Moi, je vais chercher de l’essence pour votre petit étourdi.

Il se rend à l’arrière de son attelage, escalade une petite échelle fixe et va dégager deux des quelque dix ou douze jerricanes rassemblés sur le toit.

Me les passe.

— Attrapez !

— Merci, vous êtes le père Noël ! lui dis-je.

Tandis que je transverse le carburant dans mon réservoir, je demande :

— Vous arrivez de Sassédutrou ?

вернуться

8

Dédié aux chevaux rétifs.