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Les assistants, hypnotisés, ont du mal à déglutir. Personne ne songe à lancer des quolibets qui détendraient l’atmosphère.

La scène est bien trop dramatique. Mme Eva chevauche consciencieusement ce cossard d’Hitler dont la tête ahurie se lit par-dessus son épaule gauche. Pendant ce temps, M. Prince s’est fondu dans l’ombre et inspecte les poches et les sacs à main. C’est un prince en la matière, M. Prince. Pickpocket de classe internationale. Pendant des mois, il s’est exercé sur un mannequin articulé couvert de grelots jusqu’à ce qu’il parvienne à soustraire de ses poches étroites les objets les plus saugrenus sans faire frémir un seul grelot.

Sous sa veste est attachée une grande poche de jardinier, en toile noire, dans laquelle il glisse sa moisson. Il pique, pique, avec un doigté infernal. C’est le Mozart de la chourave.

Lorsqu’il a détroussé cette bande de voyeurs, il fonce remiser son butin dans une fausse boîte à lettres qu’il suspend au coin de l’impasse avant la séance. Qui donc, en cas de coup dur, irait suspecter cet innocent collecteur de courrier patronné par les P.T.T. ?

Voilà, en cinq minutes, tout est épongé.

Alors il réapparaît.

— Méhamessieurs, les artistes vont maintenant passer à une autre phase opérationnelle. C’est ainsi que M. Adolphe va miser Maâme Eva en levrette. Ladies and gentlemen, now, mister Adolph to take mistress Eva in dog’s levrette.

Effectivement, les partenaires se disjoignent. Mme Eva s’accoude au dossier de la chaise, tandis que son Hitler d’infortune (du pot) l’embroque comme il fut annoncé.

— Vous pouvez approcher, méhamessieurs, assure M. Prince : ça ne mord pas !

Il rit.

M. Adolphe s’active à grandes bourrades bourreuses, en faisant des « han ! », des « tiens ! », des « ahhhrrr ! » very excitinges. Le brave cul de Maâme Eva laisse passer l’orage, stoïque dans la vergeuse tempête, avec ces gros roustons qui font sac et ressac au bas de ses miches.

— Méhamessieurs, tout me laisse croire que M. Adolphe va bientôt défoutrailler. S’il se trouve parmi vous un amateur ou une amatrice qui aimerait déguster M. Adolphe, faut pas qu’y se gêne ; nous sommes ici entre connaisseurs.

Il redit dans son anglais bancal ; mais personne ne se soucie de recueillir la semence d’Adolphe Hitler.

— Souate, fait M. Prince. En ce cas, pour que tout un chacun va pouvoir profiter du clou du numéro, nous allons prier M. Adolphe d’avoir l’obligeance de déculer, que Maâme Eva nous le finisse à la main dans les feux de la rampe… voilà ! Merci, chers artistes. Les personnes du premier rang, si vous voudriez bien reculer : M. Adolphe déjacule en trombe, j’vous préviens. Cela dit, nous tenons des Kleenesques à la disposition de ceux ou celles qui auraient droit aux retombées de M. Adolphe.

Ce qui suit se déroule conformément aux précisions fournies par M. Prince. M. Adolphe sort de sa partenaire et se met face au public. La dame empare son pénis lubrifié et lui fait subir un mouvement de piston tout en le gardant braqué contre l’assistance. Et puis, bon, voilà : Hitler se répand à tout vent, avec une impétuosité supérieure à ce qu’avait annoncé son acolyte. Il dispose d’une pression rarissime, M. Adolphe, que tu croirais qu’il balance des serpentins avec son paf. Les dames du premier rang poussent un cri de presque frayeur et reculent pour ne pas morfler. La descendance compromise du petit homme s’affale sur le pavé disjoint.

— Méhamessieurs, clame M. Prince, la représentation est terminée. Nous vous remercions de votre présence et vous souhaitons à toutes et à tous une bonne fin de soirée. Si vous voudriez bien vous joindre à moi pour un petit bravo à nos chers artistes, je crois qu’ils le méritent.

Il applaudit.

Deux ou trois pégreleux en font autant, machinalement.

Les autres, honteux, se carapatent sans demander leur reste et vont chercher dans les lumières du vieux Montmartre une espèce de purification.

En moins de rien, les trois rigolos ont éteint les loupiotes, ramassé les projos, décroché la toile et raflé la chaise. Machino exercé, chacun a sa besogne assignée et l’exécute prestement.

Mme Eva part la dernière. C’est elle qui est chargée de la mission délicate : elle va décrocher la boîte aux lettres jaune, siglée de bleu, servant de réceptacle au butin, la planque dans un landau d’enfant et file en direction de leur domicile, situé au pied de la Butte, versant Saint-Ouen.

* * *

À présent, les trois compères se trouvent at home.

Ils habitent un F 3 dans une construction neuve vachement sinistros, mais qu’ils aiment bien, et c’est là l’essentiel, non ?

Mme Eva prépare le frichti. Comme presque tous les artistes, ils s’alimentent après la représentation. Ce soir, il y a rillettes, omelette Parmentier, calandos, flan caramel. Le tout arrosé d’un aimable picrate que M. Adolphe fait venir de chez le viticulteur.

Ils ont branché la téloche pour mater les dernières informes. Mais ils regardent et écoutent distraitement.

M. Prince bourre sa pipe pour après la jaffe. Il fume de l’Amsterdamer, ce qui embaume tout l’appartement. M. Prince (c’est son véritable blaze) est le frère de Mme Eva. Sa vie sexuelle, à lui, est nulle et non avenue. Les jours de fête il se masturbe, juste pour dire, mais ses sens sont en somnolence. Lui, sa passion, c’est les mots croisés. Dans sa chambre, il y a des piles de fascicules spécialisés dont toutes les cases sont dûment remplies.

Lorsque la bouffe est à point, ils se mettent à table. Ce sont des gens extrêmement raisonnables. Pas des fébriles qui, à peine au sec, se jettent sur leur butin pour en faire l’inventaire. Chaque chose en son temps.

Ils bouffent donc en devisant de choses et d’autres.

Après la crème caramel (parfumée citron), M. Prince allume sa bouffarde, tandis que M. Adolphe pète en sourdine et que Mme Eva dessert la table.

On entend les voisins du dessous qui s’engueulent, comme tous les soirs à pareille heure. L’homme, il fait équipe et rentre sur le coup de onze plombes. Chaque fois, il trouve chez lui un de ses potes et, jalmince, fait une scène. Il crie que sa rombière est une sous-salope, fumière de bas étage, au cul pourri à force de trop de bites mal contrôlées.

Ce langage fait soupirer M. Prince qui déteste les grossièretés.

Il rallume sa pipe. Rien de plus capricieux qu’une bouffarde. Ce qu’on peut y passer comme allumettes, mon neveu !

Pendant qu’il tète son tuyau, on sonne à la lourde.

Les trois se défriment, pas contents.

— Qui ça peut-ce être ? interroge Mme Eva.

Son frérot et son bonhomme hochent la tête.

Comme un nouveau coup de sonnette retentit, plus péremptoire, M. Adolphe se décide à aller ouvrir.

Il trouve sur son paillasson un grand type fringué de sombre, très élégant, avec cravate bleue, s’il vous plaît. Une gueule d’étranger, se dit-il. L’homme est brun, il a la peau claire, un regard extrêmement calme.

— J’aimerais vous parler un instant, déclare-t-il, avec, effectivement, un drôle d’accent.

— C’est à quel sujet ? s’inquiète M. Adolphe.

— Au sujet de votre spectacle.

Hitler se rembrunit. Il n’aime pas cette allusion directe. Une fois chez lui, le trio entend retrouver la sécurité. Pas d’interférence entre le lieu de travail et le gîte, la tranquillité de vie est à cette condition.

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, essaie-t-il.

Mais l’autre sourit avec rien que ses dents et entre d’autorité. Pas de force : d’autorité, c’est-à-dire qu’il ne bouscule pas M. Adolphe et même ne le touche point. Il s’avance et son vis-à-vis, subjugué, recule.