J’ai prié ma pourlécheuse de stopper non loin, et je viens à pince mater les lieux avec circonspection.
Pas de 304 cabossée au parking de l’hôtel.
Je reste à l’ombre d’un geunefille en fleur et adresse un « pssst ! » de trident au groom.
Ce dernier abandonne la jolie chatte frisée d’une blonde starlette au sourire aussi engageant que celui de Maître Capello.
Il se pointe vers moi, en nonchalant, son glorieux menstruel illustré (et comment !) sous le bras. Il porte un pansement au poignet. Accident de masturbation sans doute, ce qui va le quelque peu handicaper pour se saisir du bifton préparé à son intention ; mais y a toujours moyen de tourner les difficultés lorsque votre intérêt entre en jeu.
Lui montre la photo robot de « l’homme ».
— Ce monsieur est descendu à l’hôtel, petit gars ?
— Non ; il est été à la Grande Maison.
— Comment le sais-tu ?
— Il a arrêté devant l’hôtel pour me demander où qu’était la Grande Maison.
— Et où est-elle, la Grande Maison, mon bout d’homme ?
Il me désigne une voie fleurie de palétuviers qui s’en va le long d’un chétif ruisselet plus ou moins marécageux et pestilentiel.
— Au bout du chemin.
— Et c’est quoi, la Grande Maison, mon Fruit d’Afrique ?
— Une grande maison, m’explique-t-il avec une précision digne des loges (si tu es concierge) ou des doges (si tu es vénitien).
— Qui est-ce qui l’habite ?
Il rigole, touche sa braguette et répète :
— Qui l’habite, la bite, la bite !
Un rien l’amuse, cet être pétri d’esprit. Je l’embrasserais pour ce témoignage de culture éminemment française. Que s’opère la pénétration du calembour en Afrique presque équatoriale est pour moi sujet d’orgueil.
Je laisse croître, s’épanouir, décroître et s’éteindre son rire.
— Alors, charmant bananophage ? me permets-je d’insister.
— La Grande Maison, c’est une maison qu’elle est au gouvernement, me révèle le morpion de brousse défrichée en ouvrant Lui en son juste milieu afin de me découvrir, pour le même prix, la ravissante carcasse d’une personne du sexe, à califourchon sur une banquette de velours bleu qui met en évidence sa toison d’or, adorable et frisée comme un bébé suédois.
— La bibite ! La bibite ! il m’exclame joyeusement.
Un peu obsédé, mais c’est de son âge. L’homme, n’importe sa race, est enfermé entre les parenthèses de la cupidité sexuelle. Entre l’impatience et les regrets. Adolescent et vieillard, il est hanté par la féerie de ce qu’il ne pratique pas encore, et de ce qu’il ne pratique plus.
Il capte mon pourliche avec adresse, nonobstant son poignet foulé.
— Dis-moi encore, mon brunet, aujourd’hui, trois personnes ont dû descendre à l’hôtel, non ? Une vieille dame anglaise, un gros bonhomme rigolo et un vieux type branlant.
— Oui, oui. Ils sont là.
Je lui donne une tape sur la joue.
— Va leur dire qu’Antonio est arrivé et qu’il les rejoindra bientôt. D’accord ?
— C’est bon !
Je m’engage dans le chemin aux palétuviers. Des insectes font un vacarme de tous les diables. L’eau du ruisseau est d’un beau vert hépatique, avec des bulles cloaqueuses qui éclatent comme des pets nauséabonds. Des palmiers-dattiers (retenez bien cette datte) s’alignent à perte de vue sans parvenir à faire de l’ombre. Et bon, je marche gaillardoche. Je me sens inquiet soudain, et puis morose aussi d’avoir constaté que la mère Samantha n’est pas une cliente pour moi vu ses mœurs. Mais quoi, la vie c’est comme ça, avec des coups fourrés à la pelle, des déceptions, des dangers imprévus et tout le reste, bon et mauvais, exaltant ou lénifiant, qu’il convient d’accepter au fur et à mesure sans rameuter chaque fois la garde.
Le chemin que je suis s’empoussière au loin, car une jeep radine, antenne de trois mètres fouettant l’air immobile.
À son bord, se trouvent deux types en chemisette kaki et short vert, têtes nues, avec des lunettes noires très noires. Je m’avise que celui qui ne conduit pas tient un fusil mitrailleur entre ses genoux. La jeep fonce à ma rencontre. Je m’efface pour lui laisser le passage, mais elle stoppe à ma hauteur. Le non-conducteur m’interpelle :
— Où allez-vous ?
— Je me promène.
— Papiers !
— De la part de qui ? objecté-je.
Il répète :
— Papiers.
Il se laisse pousser la barbe, mais elle pousse peu, et mal. Cela lui fait comme s’il avait bouffé un cul crépu en déplumance.
De grâce maussade, je lui file une brème sur laquelle y a marqué simplement « fonctionnaire », sans qu’y soit précisée ma profession.
Le gars la lit péniblement, ce qui m’induirait à penser qu’il a dû rater son doctorat de lettres. Puis me la rend d’un air dégoûté. Il mâchonne un morceau de je ne sais quel bois, et dans sa bouche brune et rose, la bûchette fait songer à un thermomètre.
— Allez vous promener ailleurs, il dit.
— Je ne fais rien de mal.
— Allez, allez, dégagez.
Son air, son ton, son arme : trois raisons pour moi de boire Contrex sans rouscailler.
Avec un haussement d’épaules, je bats donc en retraite.
M’est avis, baron, que cette « Grande Maison » dont cause le groom est dûment protégée. On doit surveiller les abords à la lorgnette et dépêcher les « dissuadeurs » de choc lorsque quelqu’un s’annonce à l’horizon. Cela signifie donc que Stromberg, lui, y a ses entrées. T’es d’ac ?
Brusquement, je trouve que mon affaire branle au manche. À présent, le tueur est dans cette forteresse. Comment se fait-il que cette « grande maison » appartienne à l’État ? Si Stromberg possédait un condé auprès du gouvernement ivoirien (y a qu’à lui offrir une canne blanche) il n’aurait pas besoin de trucider un malheureux chauffeur de taxi pour lui chouraver son tas de tôle, non ? Alors ?
Je vais récupérer la môme Samantha et nous descendons à l’hôtel pour y acheter deux nuits de sommeil. Le petit groom me déclare au passage que Lady Meckouihl et mes potes sont absents. Parbleu ! Ils morfondent à l’aéroport, à attendre la venue de Stromberg ! Lequel est déjà à pied d’œuvre.
Quand je te dis qu’on part en sucette !
Les chambres du « Grand Hôtel-Palace » sont un peu moins confortables que les chiottes de la gare Saint-Lazare mais elles sont beaucoup plus vastes. Un plumard pour grabataire du troisième âge, quelques meubles bancaux (à Monte-Carlo, s’écrit banco ; ailleurs certains indigènes de l’hexagone écrivent bancals), un ventilateur qui ne ventile plus. Le sol sert de piste d’entraînement à une compagnie de cancrelats en manœuvres. Ça pue le rance, le surchauffé, le cul intorché et le végétal fané.
Quoi encore ? Non, ça suffit commak, après tout, c’est seulement pour une nuit.