Le type au Match fourré revolver dégage son arme pour me braquer. Le gros s’approche de mes vêtements pour y prélever mon portefeuille.
— Hé, minute ! lancé-je, vous avez oublié de vous présenter !
D’un bond je retrouve la verticale et fonce sur lui.
— Ta gueule, espèce de merde ! me dit-il en me rebuffant d’un coup de coude appuyé au creux de mon estomac.
Le souffle m’échappe un brin.
Oh ! que j’aime pas.
Je me plie en deux, les paluches plaquées sur le point d’impact, geignant comme un avare devant le paquet de titres russes de son grand-papa.
M’estimant maté, l’homme se désoccupe de moi pour se consacrer à mon larfouillet. Si bien que je me paie en toute quiétude le shoot du siècle dans ses roustons. Heureusement, dans ma hâte de consommer la petite Anglaise, j’avais gardé mes chaussures. Le gros ne dit rien, mais sa gueule est aussi éloquente qu’une carpe assistant à la projection d’un film de M. Robbe-Grillet. Son œil valide devient aussi blanc que l’autre et il tombe à genoux.
Son garde du chose perd trop de temps à piger ce qui se passe. Manque de réflexes, ce petit. Il prend ma boule dans ses gencives et part à la renverse. Je cueille son feu, le biche par le canon, et m’empresse d’administrer un soporifique express au gros pour qu’il oublie un moment ses burnes éclatées. Le voilà allongé à plat ventre sur le plancher constellé de gentils cancrelats domestiques.
Arme en main, ton Tantonio chéri s’assoit sur un tabouret bancroche, la queue entre les jambes, le canon du feu pointé vers la tempe du mégarde du corps.
— Tu viens de la Grande Maison, fifils ?
Il ne répond rien, se contentant de rouler des yeux à chier partout, comme Dalida quand elle interprète une Samson très terriblement émouvante, cosmopolite et invertébrale.
— Ah ! pas de cachotteries avec moi, mon garçon, sinon je te vide ton chargeur dans le corps en commençant par le ventre et en remontant jusqu’au front, qu’ensuite tu ressembleras à une flûte. Tu comprends ?
— Oui.
— Donc, tu viens de la Grande Maison ?
— Oui.
— Et qu’est-ce que vous veniez fiche dans ma chambre ?
— M’sieur Gracieux voulait savoir qui c’est que vous êtes.
— Qui est M’sieur Gracieux ?
— Lui, là.
— Que faites-vous, à la Grande Maison ?
— On est gardes. M’sieur Gracieux est chef de garde. Moi, je suis juste garde garde.
— Et vous gardez qui ?
Il paraît surpris par ma question. Sans doute croyait-il que j’étais au courant.
— Mais…
— Eh bien, parle, mon bébé, n’aie pas peur.
— On garde Sa Majesté.
— Le père Bok ?
— Oui, Sa Majesté.
— Vous êtes nombreux à la garder ?
— Oui.
— Combien de personnes ?
Il accordéone du front et renifle ses souvenirs.
— Beaucoup… Y a moi, y a M’sieur Gracieux, M’sieur Sauveur, et puis Séraphin, Germinal, moi, Césaire, Victorien et moi.
— Plus des domestiques ?
— Plus, oui.
— Et Sa Majesté a du monde avec elle ?
— Seize de ses épouses, il a laissé les autres à Abidjan.
— Des enfants ?
— Non.
— Un monsieur lui a rendu visite, tout à l’heure, n’est-ce pas ?
Il opine.
La pièce est plongée maintenant dans la pénombre car la noye chute vite par ici. Déjà, la lune prend la relève.
— Toi, c’est comment, ton nom ?
— Évangéliste.
— Sa Majesté a reçu son visiteur ?
— Oui.
— Il va dormir à la Grande Maison ?
— Oui, on l’a porté à une chambre.
Je gamberge : sept gardes du corps. Deux sont ici, réduits à l’impuissance.
L’organe du Gravos retentit dans la nuit fraîchement tombée. Il chante les Matelassiers, le Mammouth, avec sa voix des soirs de hautes libations ; m’est avis qu’il a la cuite à marée haute, ce soir.
Je me porte à la fenêtre sans quitter pour autant Évangéliste du canon de son feu. Rapide coup de périscope à l’extérieur. Suffisant pour capter un spectacle délicieux. Lady Meckouihl avance, primesautière, vers le « Grand Hôtel-Palace » encadrée de Pinuche et Béru qui la tiennent l’un par le cou (le Gros), l’autre par la taille. Ils m’ont l’air beurrés comme des toasts pour caviar en pays capitaliste.
— Dear Samantha, soupiré-je, je crois que les circonstances nous contraignent à remettre notre entretien à une date que j’espère peu ultérieure. Nos amis arrivent, mettez la moindre des choses sur vos admirables formes et allez les chercher, de grâce.
— On est r’venus, biscotte les gonziers de l’éroport n’s’ont dit qu’aurait plus d’vol la notte, explique le Mastar en s’affalant, y n’sont pas équipés pour.
— Vous êtes blindés comme des chars russes ! rouscaillé-je en voyant s’écrouler la douairière sur le sommier.
— Cause pour Mélanie, mais moi et la Pine on est frais comme l’arroseur arrosé. Le gus qui tient la tour d’contrôle fait bistrot en mêm’ temps. C’t’un Rosbif. Figure-toi qu’il a servi dans l’Armée des Indes sous les ord’s au colonel Meckouihl, l’vieux d’la vieille. Ça s’arrosait. En outr’il est drôlement équipé du point d’vue vouiski, espère.
— Bon, c’est pas tout ça, gars. On a école.
— Quoi-ce ?
Je leur raconte, à Baderne-Baderne et à lui, l’insensé projet qui me fourmille dans la boîte à idées. Complètement dingue, mais euphorisés tels que les voilà, ils ne rechignent pas. Alors on se prépare dans le calme. Pour commencer, je vais ôter de son boîtier la pile de ma lampe électrique de poche super-plate. Je la débarrasse du papier à sa marque qui l’entoure et me pointe vers mon copain Évangéliste.
S’agit de lui jouer un tour à ma façon. Je m’inspire pour ce faire du drame puissant que j’ai vécu dans Meurs pas on a du monde[11] où des foies-blancs m’avaient affublé d’une bombe à ondes petafinées qui devait éclater si je proférais un mot fatidique.
Ces gueux, si tu te le rappelles, avaient sparadré l’engin sur ma poitrine. Le toucher équivalait à du suicide.
— Mon cher Évangéliste, dis-je au garde du corps du délit, va falloir que tu changes de camp, sinon ce qui subsistera de toi pourra filtrer à travers les trous d’un passe-thé.
« Tu vois ? J’attache cette bombe dans ton dos. Si tu cherches à l’ôter : elle explose. Moi seul peux t’en délivrer, compris ? »