Béru accompagne aussi avec des pets. La voix de son âme passe toujours par son gros côlon. Ça ne suit pas. Il ne faut pas craindre. Tout mode d’expression est valable, ce qui importe c’est ce qu’il tente d’exprimer.
Et puis une vieille gonzesse à cheveux blancs, jupes relevées sur des cuisses de jument poulinière, lance un cri hystérique et commence de trépigner gauchement, telle une tortue de mer à la renverse, comme celles auxquelles ces fumiers de pêcheurs crèvent les yeux, pas qu’elles leur filent des coups de patoune lorsqu’ils s’en approchent.
Une autre gerce entre en crise.
Allez, le charme est rompu. Je me dresse.
— Stoooooop ! hurlé-je.
Un peu de calme est aussitôt rétabli.
— Parmi vous, quelqu’un sait-il ce que le Blanc qu’a reçu son Altesse est venu faire à la Grande Maison ? demandé-je à la, tu sais quoi ? Ronde !
Ma question, c’est un boomerang. Faut du temps pour qu’elle volplane dans les tronches avant que de me revenir.
Quand elle est de nouveau à dispose, je la relance, mais autrement.
— Celui ou celle qui saura me parler du salaud de Blanc qui s’est enfui et qui a causé ce grand malheur aura droit à un abonnement d’un an au Chasseur Français, au salut militaire, voire même au salut éternel.
Une main se lève, celle d’un maître d’hôtel.
— Moi, j’y sais, m’sieur.
— Je t’écoute.
— Il est venu voir Sa Majesté l’Empereur.
— Pour lui dire ou lui faire quoi ?
— Ah ! ça, j’y sais pas…
— Qui d’entre vous pourrait me le dire ?
Mutisme général. Ces chéris s’entre-défriment en gobillant des vasistas. Yeux blancs, haleine du pingouin. Personne n’est au parfum.
— Sa Majesté avait-elle un secrétaire ?
Le valet de chambre dégourdi lève une fois de plus la paluche.
— Oui, M’sieur, l’avait.
— Où se trouve-t-il ?
— Dans sa chambre, contre le mur. Il est en acajou.
Écœuré, j’enjambe le sosie de Bokassa-les-belles-cassettes. Rien à espérer, je perds mon temps, mon énergie et les poils de mon cerveau.
— Attendez-nous ici, tous, enjoins-je, on va chercher des secours, faites le ménage pendant ce temps.
Je fais signe à Béru de me suivre.
Sur le perron, la forme accroupie, si pitoyable, de Pinaud en effort, geignant, éternuant du rectum, psalmodiant contre le piment.
— Allez, grouille : on s’en va ! lui crié-je.
Évangéliste est toujours à son volant de jeep, imperturbable.
— Tu as fini tout ton travail, patron ? il me demande.
— Pourquoi ?
— Parce que si tu voudras bien m’enlever la bombe, ce serait gentil.
Pauvre pomme ! Je le déloge de son siège.
— Tiens, voilà un boîtier de lampe électrique, Dugland, tu mettras la bombe dedans et tu obtiendras une jolie lumière.
On enjeepe. Fouette cocher !
CHAPITRE CÈPE[14]
Une lueur indigo embrase le ciel bleu de nuit (et pour cause !).
Le feu !
Je vois galoper des Blacks presque nus, sur la route. Armés de seaux et autres récipients emplis d’eau, ils foncent vers l’incendie qui dévore la forêt, à la limite de Sassédutrou. Le sinistre mobilise la population du coin ; ceux qui veillaient ont secoué ceux qui dormaient et tout le monde se remue les fesses : hommes, femmes, enfants, moines, vieillards, chiens, cochons, couvées, singes savants, apprentis sorciers. Pompiers improvisés, ils cavalent en direction des flammes, dans la louable intention de les éteindre.
Je stoppe pour laisser déferler la horde des volontaires affairés.
Un jeune Noir, à gueule de prophète, le crâne rasé, vêtu d’un boubou plus lumineux que l’incendie, observe la scène, les bras croisés.
— Qu’arrive-t-il ? lui lancé-je.
Il hoche la tête et, d’une voix mélodieuse et antidérapante, déclare :
— Un incendie, consécutif à un accident de voiture.
Mû par un pressentiment, je coasse :
— Un accident de voiture ?
— Un automobiliste trop pressé a voulu quitter la route pour emprunter le chemin que vous apercevez sur la droite. Il s’y est pris de telle sorte que, déséquilibré, au bout de quelques centaines de mètres parcourus en louvoyant, il a fini par percuter un arbre. Son véhicule s’est enflammé sous l’impact, communiquant le feu à la forêt. Comme toujours en pareil cas, les pompiers tardent…
L’intellectuel ivoirien hausse les épaules.
— Ce chemin n’est pas destiné à la circulation automobile, mais aux seuls piétons, il est navrant de voir un maladroit s’y engager avec tant de fougue et d’inexpérience.
— Le conducteur a du mal ?
— Je n’en sais trop rien, mais si la chose vous intéresse, vous pouvez toujours vous enquérir sur les lieux du sinistre.
Je prends note de son conseil et, abandonnant provisoirement mes deux amis, m’élance à travers la foule.
Pour tout te dire, et surtout ne rien te cacher, la vision, quoique dantesque, est également féerique.
L’auto s’est jetée à l’assaut de l’arbre, un Pechiney Kuhlman à terme de toute beauté, en hausse tu parles ! Ayant explosé, elle a pris feu, les flammes se sont emparées du tronc (pour le dernier du trou du culte), puis communiquées au feuillage. De là, elles ont agressé les arbres avoisinants. Si bien que pour l’instant, le feu ne touche pratiquement pas le sol ; il festonne à trois mètres de hauteur, ce qui est insolite, d’un très joli effet, mais rend les rudimentaires moyens de lutte inefficaces.
Le brasier dégage une telle chaleur que je ne peux demeurer sur place très longtemps. Les bons Noirs s’agitent en s’égosillant, se hissant de leur mieux pour virguler de dérisoires seaux d’eau qui leur retombent sur la frite.
Une nouvelle fois je m’efforce d’approcher l’auto. Elle est presque translucide dans le feu. En y regardant attentivement, j’aperçois une forme humaine au volant, minuscule déjà, réduite par la combustion. Stromberg a eu une fin digne de sa vie. Le tragique appelle toujours le tragique, à croire que le sort ratifie les actes d’un homme en lui réservant une mort en rapport avec l’existence qu’il a menée.
Mais mégnace gommeux, tu peux croire que je me sens fichtralement marri (voire même Joseph) de ce coup du sort. Stromberg mort, le faux Bok mort, je ne saurai donc jamais ce que ces deux-là manigançaient, ni à quoi rimait le fameux objet mystérieux auquel le tueur tenait tellement ! À moins que…
Oui, après tout, peut-être le retrouverai-je dans la carcasse de l’auto, quand l’incendie sera maîtrisé.
Toujours est-il que c’est peut-être demain la veille, mais en tout cas pas pour cette nuit. Il propage à toute vibure, le brigand, poussé par un vent à la con venu de la mer.
Harassé, déçu, grognu, mécontu, je retourne auprès de mes guérilleros de bistrots.
Un qui n’a pas visionné ça, n’a vu que le catalogue couleur de la Redoute, le Pèlerin-Dimanche, l’œuvre reliée peau de zob de Canuet et la tour Eiffel dans la petite lentille grossissante d’un porte-plume.
Un qui n’a pas idée de ça ignorera tout de la sensualité.
Allons, viens avec moi, maintenant que t’es grand, je te vas montrer du neuf, de l’estravagantissime.
On pénètre dans la chambre où a été ligoté M’sieur Gracieux, le gros terrible Noir venu m’enquérir et, au besoin étant, me quérir. Il est toujours saucissonné de première, l’ouvrage ayant été accompli par Bérurier-le-Grand ; et tu vas voir que ce merveilleux verbe lyonnais est judicieux quand tu sauras que Lady Meckouihl et sa gente secrétaire (à tout faire) ont décolleté la braguette du chef de gardes pour lui extrapoler l’Anatole. La fofollingue Britannouille est toujours beurrée, contente de l’être, portée sur les choses du plaisir et de la franche rigolade tout-terrain.