Et Alexandre-Benoît Bérurier se tut enfin.
CHAPITRE JESUITE[15]
L’aurore relaie l’incendie.
Principe des vases communicants.
Il faut dire que, depuis une bonne heure déjà, un Canadair s’active, venu d’Abidjan, pour juguler le sinistre.
Et il est sinistre, le sinistre. De la fenêtre de ma chambre j’aperçois, à perte de vue, la forêt proche, fumante, calcinée, avec de-ci, de-là, des embrasements tenaces car le feu est indomptable.
Mais le jour s’épanouit, et tout va mieux dans les cœurs après cette nuit de folie. On a dû conduire Lady Meckouihl à l’hôpital de Sassédutrou. J’ai rendu sa liberté à M’sieur Gracieux, après lui avoir promis d’autres sévices s’il se risquait à nous attirer de nouveaux ennuis. Bérurier a découvert une caisse de vin, dans les arcanes de l’hôtel ; quant à Samantha, brisée par l’émotion, elle a fini la nuit dans mon lit cancreleux, ce qui était la solution la plus raisonnable.
Elle a écrasé avec ses fesses un grand nombre d’insectes mystérieux et rébarbatifs qui raviraient un entomologiste.
Je me lève et cherche en grand vain une salle d’eau. L’unique salle de bains du Palace, qui comporte un lavabo et une douche, est en rideau, because l’incendie qui a épuisé les réserves. C’est donc à l’Evian que je me lave les chailles et vingt-cinq centimètres carrés de visage. Après ces maigrelettes ablutions, je pars sur le chantier de la guerre.
Primo : mes hommes.
Pas fraîches, les troupes. Et plutôt décimées puisqu’elles sont réduites de moitié. En effet, seul Béru occupe la chambre. Il est ivre à ne plus pouvoir décoller sa langue de son palais avant plusieurs jours.
Je le secoue rudement. Un de ses stores se soulève un tantisoit (qui mal y pense) et il demande :
— Mrrrr ?
— Où est César ?
L’Obèse prend une espèce d’élan à l’intérieur de son subconscient et articule un mot qui pourrait être le mot « yougoslave ». Je le presse de répéter intelligiblement.
Nouvel effort surhumain. Puis ses lèvres s’écartent de deux millimètres et, par la fente, il laisse filtrer :
— Pinaud se lave.
— Où ? Il n’y a plus d’eau.
— La mer.
— Il est allé se laver dans la mer ?
— Mrrroui. N’ p’vait pl’ r’ster comm’ ça.
L’odeur de la chambre confirme le bien-fondé de cette affirmation.
Il soupire :
— D’main…
Puis se referme hermétiquement et bascule dans les plus noirs oublis qui soient.
En bas, dans le hall du « Grand Hôtel-Palace », le directeur de l’établissement passe l’aspirateur, un vieil engin qu’on lui rachèterait un bon prix pour le mettre dans une collection privée. Ça ronfle, ça hoquette, et il en jaillit des volées d’étincelles. En plus, ça n’aspire que quelques scarabées écrasés et des capotes anglaises balancées dans le hall par la cage d’escalier après usage.
Il essuie de son coude droit douze centimètres d’excellente morve suspendue à son nez.
— M’sieur, me dit-il, y a la police, elle veut te voir. Elle dit, y faut que tu passes d’urgence, mon vieux, rapport à un mort qui est mort.
Je sens s’astrakaner mes poils sous les bras.
J’aurais dû me douter que l’affaire de la Grande Maison aurait des conséquences. Déjà, je me vois embastillé dans un cul-de-basse-fosse à Sassédutrou. Pas joyce ! Je ne suis pas maniaque du manioc et les punaises de l’Hôtel-Palace me suffisent.
— Où se trouve la police, patron ?
L’aspirateur-driver se remouche de la même manière que précédemment.
— Mon vieux, tu peux pas te tromper. Tu vois la rue principale qui est toute seule ?
— Oui.
— Eh ben c’est pas là, mais tu connais la place Zimboum-Lala qu’est au bout ?
— Je crois.
— Eh ben c’est pas là non plus, mon vieux. Pour la police, tu prends la route de l’éroport. Tu regardes une maison, y a comme ça écrit dessus « Gendarmie Nele ».