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Entièrement à poil. Le nez éclaté. Maigre qu’à côté de lui, un squelette d’amphithéâtre ressemble à un chanoine.

Il a les jambes noircies. Il marche en tenant ses deux mains en conque devant ses humbles génitoires. Ses cheveux ont disparu pour faire place à une sorte de casque rose. Et il clopine, le pauvre cher bougre. Te clopine. Tu dirais qu’il achève son Strasbourg-Paris en ne marchant plus qu’avec ses cors au pied. Pitoyable infiniment.

Mais vivant !

— C’est assez pas banal, hein, Gars ? soupire Bérurier en reprenant le cours de ses émictions. Vraiment, je regrette qu’on n’eusse pas un Kodak ; tout ça, c’est des choses qu’on n’a pas l’ droit d’ garder pour soye tout seul.

Le Détritus parvient à forcer son allure pour engouffrer le « Grand Hôtel-Palace », échappant enfin à la horde noire qui le moque.

Nous percevons son trotte-menuage dans l’honorable établissement. Je m’empresse de lui garder la porte ouverte, et il se jette à nous, comme d’autres à l’eau. Superbe élan, élan désespéré, farouche, issu de tous les ressorts affaissés de sa malheureuse personne. Ainsi procède le sauteur en hauteur à sa troisième et ultime tentative olympique.

S’abat sur le grabat de Béru. Haletant, lâchant enfin les pendeloques qui lui ont tenu lieu de testicules pendant tant de décades et qui ressemblent à ces deux petites pendeloques accrochées au cou des chèvres.

Comme il est en détresse, le chérubin génaire ! Amoindri encore, lui qui pourtant paraissait à bout de course de ce côté-là. Si détruit avec son pauvre nez en tomate écrasée, sa pauvre tête en os, dont les cheveux ont brûlé comme de la mauvaise broussaille d’automne, ses côtes si saillantes, ses yeux hagards, son fessier navrant, noirci par la fumée.

Il tremble, le bon biquet. Lui qui déjà sucre dans le civil. Un vrai pic pneumatique en action. On souhaiterait le bruitage, à tout prendre, cela rassurerait.

Bérurier est très bien, énergique, sobre (dans ses gestes). Il cueille une bouteille recelant un solide reliquat, la tend prestement à César en disant simplement :

— Allez, vite !

Et vitement, Pinuchet écluse le picrate subsistant.

Sa pomme d’Adam gambade dans le vilain sac en peau grise qui la contient mal.

La bouteille, aussi nue que lui, roule à son côté sur la couverture constellée de taches de : vin, merde, foutre, graisse, sang, rouge à lèvres.

— Ah ! mes chers vous deux, mes chers amis, si vous saviez ce qui m’est arrivé…

— Je crois le savoir, assuré-je.

Il secoue sa tête de neutre.

— Im-pos-sible, et je pèse mes mots.

— Je crois le savoir, pourtant, reprends-je avec force.

— Il te semble, mais ce qui m’est arrivé est inimaginable.

— Écoute, tendre rebut, écoute bien : ce matin, très tôt, tu as voulu te nettoyer mais, constatant qu’à cause de l’incendie l’hôtel se trouvait privé d’eau, tu es allé à la mer. Là, tu t’es débarrassé de tes épouvantables fringues merdiques et tu t’es baigné. À cet instant, le Canadair qui lutte contre le feu est venu emplir son réservoir. Il ne t’a pas vu et t’a ramassé, ce qui t’a fait éclater le pif.

— Oui, oui, comment tu peux, comment tu pus ?

— Ce n’est pas moi qui pue, c’est toi, inestimable artiste. Donc, te voici dans un réservoir plein d’eau, réussissant l’exploit rarissime de te noyer à douze cents mètres d’altitude. Heureusement, le trajet est de courte durée. Le Canadair a largué sa cargaison sur la brousse. Tu as chu comme une vieille poire blette sur les frondaisons en flammes. Et comme Dieu, dans sa souveraine bonté, épargne parfois les épaves, il a permis que tu ne te cassasses rien, que tu ne brûlasses pas, que tu pusses échapper à l’incendie qui, heureusement, périclite et que tu nous revinsses, contusionné, certes, tragique dans ta nudité dernière, mais inestimablement vivant.

Ayant dit, je l’embrasse. Il ne sent plus la merde, mais le brûlé.

— Crois-tu que j’aurai une chance de retrouver mes vêtements ? s’inquiète le parachutiste à eau de mer.

— Tu vas avoir au contraire la chance de ne pas les retrouver, vu que je les ai offerts à un autochtone à qui, chose peu croyable, elles m’ont paru faire plaisir. Mais voici tes papiers, la photo de Mme Pinaud, ton trousseau de clés, ton valeureux briquet à mèche et ta boîte de pilules pour l’estomac.

César opine tristement.

— Dommage, des vêtements de trente ans, auxquels je m’étais habitué. Tiens, mon chapeau… Je l’avais acheté pendant mon voyage de noces à Clermont-Ferrand… Comment vais-je m’habiller ? Je ne peux pas voyager nu.

— Non, tu ne le peux pas, aussi t’offrirai-je des vêtements neufs pour célébrer ta résurrection, ô Lazare ! Il y a bien un magasin de confection à Sassédutrou.

Il admet, pas heureux, déçu.

— Un complet neuf, il manque de plis d’aisance, tu comprends ? Il faut du temps pour qu’il se « fasse ». Pendant les premières années, on se sent un peu guindé.

Puis, tout à trac, sa mine allongée se détend.

— Toujours est-il que ma mésaventure n’aura pas été inutile, déclare le Délabré.

Il raffole parfois des périphrases, mettant une coquetterie à s’exprimer comme on joue au palet, en lançant des mots-plaques qui ne tombent pas fatalement dans la case visée.

— Pourquoi qu’tu dis ça ? réclame Béru. T’as contacté l’goût du parachutisse ?

V’là mon César tout joyce d’avoir éveillé notre curiosité. Il en oublie ses déboires et le manger.

— Pas du tout, mais on fait des rencontres intéressantes dans le ciel.

Il attend qu’on le presse. Pour le faire chier on s’abstient. Alors il fredonne, l’enfoiré. Impertinent avec ça. Le duel muet dure, n’en finit pas. Qu’à la fin finale, le Gros biche le mors aux dents.

— Écoute, Pénajouir, il soupire, quand on est déguisé en vieille limace, avec une bite au vent pas plus grosse qu’celle à un n’ouistiti, on s’permet pas des suffisances visse-à-visse des gens qui chialaient d’vous croire clamsé pas plus tard qu’un peu avant, merde ! Faut vraiment t’êt’ une bougre de vieille frappe merdeuse, un vieux branleur qui s’sent plus aller ; un chieur debout ; un râtelier sans rien n’autour pour v’nir chicaner ses amis dans la peine. Non, mais, Tonio, mords-moi c’vieux chamelier pourri, qui vient rouler les mécaniques qu’il a jamais eues pour essayer d’ nous impressionner, misère de mes deux belles grosses ! Tu veux qu’ j’te dise, Tonio ? C’est rien d’aut’ qu’une carcasse de poulet crevé, ce type ! Une varice sans jambe ! Un’ brosse à dents sans poils ! Y f’rait dégobiller les trois blattes qui traversent la chambre, en c’ moment, et y veut frimer ! Alors, là, l’bouquet ! Ce mec, qu’un quart d’heure au paravent, j’mijotais d’faire une quête à la maison bourremen pour y érectionner une estèle en marb’rose dont à sa mémoire d’vieux nœud, et M’sieur s’ ramène, avec un crâne kif un cul d’ singe et un blair à n’ jamais plus pouvoir s’ moucher, pour s’ payer not’ tronche. Moi, qu’est-ce voulez, j’intolère. Si tu voudras pas causer, eh ben va t’chier, la Pine, va vite si y t’rest’ encore de quoi.

Là-dessus, le Véhément sort en claquant la lourde, après avoir raflé son chapeau melon à la patère de bambou.

— Hé ! Gros ! l’hélé-je : tu oublies ton pantalon !

Il repique en gréant ses mots[16].

Réintègre cet immense sac à triple issue qui lui tient lieu de grimpant.

— Bon, balbutie le petit Pinet malingre, tout chenu et foutrique. Bon, très bien, je vais vous dire ma rencontre dans le ciel.

— T’as vu l’ange Césarin en train de se faire une pogne ? ricane Alexandre-Benoît.

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16

Nous estimons que San-Antonio a voulu ainsi dire que Béru revenait en maugréant.

Les Académiciens français réunis en conclave (ou en cons caves)