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L’Anglais a un rire beau comme une échelle de plâtrier.

— Qui songerait à détourner cette cage à poules ?

— Un type ayant absolument besoin de quitter Sassédutrou dans les plus brefs délais.

Il joint ses sourcils blonds par-dessus ses yeux de lavande.

— Le gars du portrait robot ?

— C’est un tueur. Ajouter qu’il est dangereux constituerait un pléonasme. Depuis que nous sommes sur sa trace, il a refroidi cinq ou six personnes, il faudrait que je compte.

— En ce cas, il s’est peut-être bien passé ce que vous dites. Bon, mettons qu’il ait menacé le pilote, il se serait fait conduire où ?

— C’est ce que j’allais vous demander, ce Piper a une autonomie suffisante pour gagner Abidjan ?

Le Rosbif médite (si bien qu’à partir de tout de suite, ils sont deux à m’éditer) et grommelle :

— Just a moment !

Il va quérir un vieux registre déglingué dont il feuillette les dernières pages à rebrousse-poil. Puis il se met à faire des opérations sur des feuillets déjà écrits. Dans la tour de contrôle-buvette, la phonie se met à crachoter par instants et la même voix morne et sans « r » dit des trucs qu’elle doit être seule à comprendre (si tant est qu’une voix puisse comprendre). L’Anglais maugrée, vu qu’il paraît un tantinet moins fortiche en calcul qu’en whisky.

— Que cherchez-vous à établir, Major ? je ne puis m’empêcher de lui demander.

— Je calcule, en fonction des différents pleins de carburant effectués par Archipèze, où en était son réservoir au décollage, ce matin. Je ne pense pas qu’il ait eu pour plus d’une heure d’autonomie. Mettons une heure trente…

— Ce qui lui permettrait quoi, comme périple ?

— Je ne crois pas qu’il ait la possibilité de se poser à Abidjan, beaucoup trop juste avec son clou. D’ailleurs, sans plan de vol préalable, ça ferait tout un pataquès.

— Alors où ? Sassandra ?

— Possible… Just a moment !

Il va à sa phonie et bitougnaze le clapoteur médusé de basse extraction corollaire. Il jacte en termes économes.

— O.K., merci (il prononce meurci).

— Non, pour Sassandra. Je vais tout de même essayer Abidjan.

Mais ce second appel est aussi infructueux que le premier.

— Alors, quoi, Major ?

— Alors s’il ne s’est pas planté, il a dû se poser sur une plage déserte.

Je fais claquer mes doigts, ce qui est toujours indiqué lorsqu’on tient à marquer que l’on est saisi d’une bonne idée, inchangeable contre un paquet d’Ariel ou que l’on vient de prendre une décision héroïque.

— Il me faut un avion illico, Major, voire un hélicoptère, ou même un hydravion, je ne suis pas sectaire.

Le brave Britinnoche se gratte le favori droit, là que lui pousse un énorme grain de beauté, façon verrue de cérémonie avec poil.

— Vous me demandez la lune !

— Seulement le moyen d’y aller.

— On ne peut que faire venir un avion-taxi d’Abidjan…

— Trop long : j’ai dit illico.

Ça le maussadise, cet homme, mon obstination ronchonne.

— Je veux bien essayer de me flanquer des plumes sur les bras et de vous emmener sur mon dos, mais le plus dur serait le décollage.

— Je savais que les Britanniques avaient de l’humour, riposté-je. Bon Dieu, tout à l’heure, vous m’avez dit que vous étiez sur le point de donner l’alerte, au sujet d’Archipèze, et qu’un hélico se pointerait. D’où viendrait-il, ce fer à repasser ?

— De Sassandra. Mais il appartient à la Gendarmerie, et vous pouvez toujours vous l’arrondir pour que ces braves pandores volants se mettent à votre disposition.

— Qui d’autre possède un avion à Sassédutrou ?

— Le Père Ladorure, un moine canadien qui a fondé un hôpital de brousse.

— Bon, alors il faut le contacter.

— Manque de bol, fait l’Anglais qui s’est familiarisé avec les subtilités de notre beau dialecte hexagonal, le Père Ladorure se trouve présentement à Rome, où il est allé faire la manche pour ses Noirpiots scrofuleux.

— Et qui pilote son zoziau en son absence ?

— Personne.

— Si, déclaré-je : moi !

Le Rosbif me défrime avec un rien d’amusement.

— No question, camarade. Ce zinc est sous ma garde et personne d’autre que le Père n’a le droit d’y toucher.

Bérurier, qui terminait discrètement la boutanche de pur-malt-trente-bougies, croit opportun d’interviendre.

— Une supposition, Major, qu’on t’boucle dans tes gogues, t’s’rais paré, non ?

— Ce serait différent, convient l’excellent homme, avec le regard brillant comme deux staphylocoques dorés. Mais les closets fermant de l’intérieur, vous pourriez pousser un meuble contre la porte.

— Aye confiance, on connaît la vie, le rassure Sa Majesté ; si même tu croyes qu’un p’tit taquet au bouc semblerait plus véridique, j’sus t’à ta dispose, mon Grand ; y a rien qui fasse plus riche qu’une belle enflure bleue, en dehors d’un général dans un’ noce.

— Inutile, ce seraient des voies de fait qui aggraveraient le cas, déclare l’Anglais, mais je vous remercie d’y avoir pensé.

— On pense toujours aux copains dans l’embarras, déclare le Magnanime.

Cinq minutes plus tard, nous prenons l’air.

Le grand air.

L’itinéraire est fastoche : suffit de suivre la côte (dis voir).

Le coucou du Père Ladorure, un Dominusvo-Biscum X 69 monomoteur, est une vraie montre à quartz, sauf qu’il fait un peu moins de bruit. J’adopte une altitude réservée d’environ cent quatre panards virgule cinq (car n’oublie pas, lecteur très débile, que dans l’aéronautique on compte en pieds anglo-saxons. Et je referme toutes mes parenthèses, les ayant ouvertes. Tiens, j’en avais oublié une, la voici).

Nous avons franchi Sassandra sans rien apercevoir. Béru, qui scrute à la jumelle, me demande parfois d’opérer une virgule au-dessus de la savane pour observer un éléphant qui trompe, car il y a des réserves dans le coin. Le bestiau, effrayé par le moteur du coucou, fuit à longues enjambées raides, le nez en avant, les portugaises écartées en ailes de cygne qui s’ébroue. Vite je rechope la côte, tantôt rocheuse, tantôt plate et sableuse. Quand on arrive sur du terrain bien meuble, je perds de l’altitude pour y regarder de plus près. Mais je n’aperçois que la mer bleue, le sable blanc, la terre ocre et des arbres de torpeur qui, vus d’en haut, semblent être découpés dans de la tôle. Mais d’avions, point ! Rien et re-rien ! Le tueur nous a eus. Va falloir rentrer. On efface tout et on recommence.

J’enrogne. Il est fortiche, ce type. Prêt à tout et l’accomplissant. Ne perd pas de temps, décide en un clin d’œil… Nous voici déjà en vue d’Abidjan.

Écœuré, j’amorce un large virage au-dessus des flots pour rebrousser chemin. Où est-il passé, ce putain d’avionnet ? Je tente de me mettre à la place de Stromberg. Il a décidé Archipèze à le prendre à son bord. Une fois en vol, sous la menace d’une arme, il a contraint le pilote à se plier à ses décisions.

Quelles étaient-elles, comme dirait la Comtesse de Paris et de sa banlieue ? Le mener tout bêtement ailleurs, ou bien dans un lieu précis ? Comment a-t-il fini cette nuit mouvementée ? Je veux dire, qu’a-t-il maquillé après l’accident simulé ? Je l’imagine, déboulant dans la forêt à tombereau ouvert, avisant le frangin du groom en train de vélocipéder entre les fûts, le hélant, l’estourbissant, le plaçant au volant, puis lançant le taxi contre l’arbre et y mettant le feu. Ensuite, il a cramponné le vélo de sa victime… Pour aller où ? Chez quelqu’un ? En tout cas, il devait savoir que tous les matins, Samuel Archipèze commençait sa journée par un petit viron au-dessus des arbres puisqu’il s’est pointé à point nommé pour embarquer avec lui…