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Dont acte.

Émouvant, n’est-ce pas ?

Allez, viens, on va rejoindre les autres truffes.

……………………………………

Le Gravos qui, comme tu le sais, fait du débilium très mince, essuie d’une seule coudée une livre et demie de sueur suiffeuse et demande :

— Dites-moi, M’sieur Léonard de Vin Cuit, vous savez-t-il où l’on pourrait faire un repas valab’ dans ce charmant port de plaisance, j’ai la menteuse comme une pierre ponce et l’estom’ qu’applaudit des deux mains.

Gauguin-Dessort essuie ses mains à un chiffon emplâtré de peinture.

— Je vais vous conduire chez moi, nous trouverons de quoi vous sustenter.

Bérurier a un petit ziguilili gêné.

— Écoutez, l’artiss, j’voudrais pas qu’ait maldonne ; moi, c’est pas de m’sustenter qui m’intéresse, mais d’bouffer. P’têt’ qu’un bon restaurant s’rait mieux dans la note, non ?

— Venez, venez ! tranche le vieillard, des compatriotes affamés, c’est sacré.

Il se met en route, marchant à pas vifs sous le soleil de plomb, sans en être incommodé.

— Vous abandonnez votre toile et votre matériel ? m’étonné-je.

— Ils ne craignent rien, ici on me respecte ; je suis une espèce de vieux sorcier.

Quelques centaines de mètres à parcourir, et ma stupeur s’épanouit comme la corolle d’un parachute dont les suspentes ont bien fonctionné.

L’existence est pleine d’imprévus pour qui remue. Tu te livres à des estimations, et la réalité te baise en canard (c’est une de ses barbaries).

Ainsi, je m’attends à débouler dans une cahute infecte, genre antre (nom masculin) d’artiste vieux et armagnac. Zob, mon frère ! Gauguin-Dessort crèche dans la plus belle demeure de Gagnoa, au milieu d’un jardin de rêve, exotique certes, mais par rapport à quoi, Ducon ?

Demeure Île-de-France : toit d’ardoise, murs blancs avec du frometon autour des ouvertures, portes-fenêtres, volets gris. Si le jardin est exotique par rapport à la France, la Maison l’est par rapport à l’Afrique.

— Venez, venez ! presse le Dabe en escaladant le perron de meulière.

Et on pénètre dans une vaste pièce où ronronne un appareil à air conditionné. Elle est pleine de canapés, de meubles dix-huitième, il y a même un piano à arbre droit, noir, avec la photo de Beethoven dessus. Les murs sont garnis avec les toiles du maître. Au fond, une cheminée dans laquelle brûle un vrai feu de bûches dont la chaleur est neutralisée par un pare-feu frigorifique. The luxe !

Mais ce n’est pas tout.

Une sixaine de filles stationnent dans ce fastueux livinge. Trois Blanches, trois Noires. Les Blanches comprennent : une blonde, une brune, une rousse. Les Noires : une ébénite, une capucino, une mulâtreuse. Ces dames sont ravissantes et sobrement vêtues d’une ceinture d’or à laquelle est accrochée une plaque portant leur nom.

— Mon harem, présente sobrement le peintre, installez-vous.

Il empare une sonnette d’argent à manche de prunier confit et l’agite, drelin drelin, jusqu’à tant qu’arrive un énorme Turc enturbanné, chamarré, obèse, eunuque, ça, tu peux y compter, muet comme dans les films qui racontent une histoire d’amour dans l’Arabie d’avant le pétrole, à l’époque où les émirs se déplaçaient pas en jet privé mais en tapis volants, qu’ensuite, leurs esclaves allaient vendre aux terrasses des cafés.

Gauguin-Dessort se tourne vers nous.

— Je vous propose un foie gras frais de la Barrière Poquelin, arrosé d’un château d’Yquem ; suivi d’une potée auvergnate qu’accompagnera un cahors servi frais. Fromage, tarte à l’ananas. Si vous jugez cette collation insuffisante, je peux dire à Ali d’intercaler un ris de veau Clamart entre le foie gras et la potée ?

Bérurier, bien qu’il soit déshydraté à outrance, trouve le moyen de laisser dégouler une stalactite à l’énoncé du festin.

— C’est trop d’bonheur, monseigneur, balbutie-t-il, oui, oui, d’accord sur tout, et d’accord aussi pour l’inclusion du ris de veau, si ça ne vous inconvègne pas.

Gauguin-Dessort nous sourit.

— Vous me pardonnerez, mais je vais devoir retourner à mon tableau. Quand l’inspiration est là, c’est comme pour la bandaison : il ne faut pas la faire languir. Oh ! à propos de bandaison, il est bien entendu qu’après votre repas vous avez toute latitude pour vous amuser avec ces demoiselles. Vous serez tranquilles : aucune ne parle le français. J’y ai veillé. Pas même l’anglais. Cela facilite les transports. Combien de filles sublimes m’ont saccagé les ardeurs d’un mot inopportun ! Mais le pire, oh ! oui, le pire, c’est « après ». Ce besoin de bavardage qui les prend, Seigneur ! Elles veulent justifier, expliquer, s’assurer de vous. Je fuyais, ou bien les chassais. Mais il est difficile de foutre à la porte une donzelle nue et surtout décoiffée par l’amour. Enfin, maintenant tout est bien. Sur ce, laissez-moi jouer les Ruy Blas en vous souhaitant bon appétit, messieurs.

Et l’excellent homme se hâte vers le chef-d’œuvre abandonné sur la place.

Béru le regarde disparaître, ému :

— Tu veux qu’j’vais t’dire, Gars ? il susurre, tu n’trouves plus de bonshommes commak, d’nos jours. L’savoir-viv’, c’est un truc des aut’fois. De nos jours d’aujourd’hui, on n’sait même plus mourir.

* * *

Et puis bon, je ne vais pas te raconter le repas, à toi, bouffe-merde comme je te sais. Non plus que les papouilles, mignardises et lutineries que nous prodiguons à ces affables damoiselles en attendant la jaffe, renon plus l’à quel point on se fait rigoler le zigomard folâtre, après le dessert, Bérurier et moi. Un enchantement ! Romain, quoi. On se prend pour les cousins germains de Caligula. D’autant que le cuisinier mérite au moins deux étoiles, comme le général de Gaulle ; et que les filles sont, prétend Béru, d’une expertise rare dans l’art de t’extrapoler le sensoriel en te faisant voler la bistougnette en éclats, les chères salopes. Elles raffolent se laisser grumeler le joint de culasse, vu que c’est la spécialité du père Gauguin-Dessort et qu’elles se pratiquent le lapsus, entre elles, pour meubler les temps morts ; mais où l’on obtient auprès d’elles un succès franc et massif, c’est à la baguette magique. Tu les verrais se bousculer au portillon pour toucher leur pension ! Fatal : la tringle, c’est pas le domaine au peintre, compte tenu de ses quatre-vingts balais, à cézigue pâteux. Il a beau se faire une santé dans la térébenthine (je dois toujours compulser le dico pour savoir où l’on met l’ « h ») il ne caracole plus de l’aubergine à moustaches, l’ancêtre, y a une limite à tout.

Bref, je ne peux pas m’attarder sur la fiesta. Je suis un auteur plein de retenue (surtout quand j’allais au lycée) et qui ne se complaît (veston) pas dans les descriptions au jus de burne. Tout ce que je peux te dire, c’est que la séance mérite un détour ; surtout du fait de la Blanche rousse qui prend de la bagouze pis que toi et Chazot la friponne, et te fait une séance d’écrou cannelé à t’en tréfiler le bigoudi à tête casquée. Sans parler aussi de la brune qui devait être contorsionniste avant de s’engager dans l’Armée du Salubre ; ni d’une des noiraudes, charogne, elle travaille de tout à la fois. Femme orchestre (de chambre). Cette puissance, mamma mia ! Tiens, rien que de t’en causer, mords un pneu l’effet que ça me fait ! Mais n’insistons pas.

Toujours sobre. Tout dans la dignité, l’Antonio. Jamais un mot plus haut que l’autre.

Or, donc, lorsque nous nous sommes rempli l’estomac et vidé les testicules, il me revient en mémoire que nous sommes ici, non pas par la volonté du peuple, pas plus que par la force des baïonnettes, mais bien pour tenter de mettre la main (en anglais : the hand) sur l’épouvantable Stromberg, homme sans foi ni loi, sans feu ni lieu, dont la conscience doit ressembler à un camion de vidange accidenté.