— Navré d’vous déranger, les amoureux, mais faut qu’j’vais t’causer, Gars.
Le charme à la vioque est rompu : clac ! Je retire ma main de ses territoires en friche, l’aide à se mettre debout. Elle part, titubante. D’une œillade, je lui promets l’avenir. Pendant ce temps de mondanité, Béru écluse la boutanche de rouille.
— Tu as déniché quelque chose de valable ? l’interrogé-je, lorsque nous sommes seulâbres.
— Pas mal et toi ? il riposte, joyce comme un serin dont on vient d’ouvrir la cage.
Le rot complémentaire qu’il me délivre en bonne et due forme donnerait à penser que les lions attaquent.
Il en chasse les vapeurs subséquentes d’une main gracieusement agitée.
— Drôlement outillés, les frangins.
— C’est-à-dire ?
— Un attirail d’photographe vach’ment chiadé. J’t’ débute par la boîte en métal qui sert à l’transbahuter. Elle a un doub’ fond, c’t’-à-dire qu’y faut qu’t’ôte l’garnissage d’velours rouge, dont y s’déboîte, pour trouver, par en dessous, un mignon poste émettreur. D’la mignarisation admirab’, Mec. L’vrai véritab’ bijou. À tout hasard, j’ai engourdi la pièce maîtresse, qu’est le fignoleur d’fréquence, qu’ j’ai l’honneur d’te présenter ci-joint.
Il tire de sa vague une petite pièce chromée, cylindrique.
— Ils ont l’bonjour s’ils voudraient émettrer, maint’nant.
— Bravo. Ensuite ?
— Ensute, mon gamin, j’ai découvert qu’le trépied télescopé qui sert à faire d’la pose est en réalité une arme, lorsqu’on l’assemble différemment. Question d’emboît’ment. L’socle contient des bastos grosses comme des noyaux d’dattes, qu’en voicille une pour ton information personnelle d’à toute faim utile.
Je cueille l’espèce de projectile et le laisse rouler au creux de ma main.
— C’ doit z’êt’ une balle très partie-culière, hmmm ?
En effet. Seule la pointe est en acier fouinazé pour permettre la pénétration, le reste doit contenir une substance nocive, voire explosive, que sais-je.
— Toujours est-elle qu’y n’sont pas près d’s’en servir, ricane en souriant aigre le monstre des abysses, Magine-toi qu’j’ai enfoncé discrètement dans l’canon la barrette d’réglage d’mes bretelles qui just’ment v’nait de flancher.
Je donne une caresse pour chien sans puces au Mastar.
— Voilà de la belle besogne, mon ami.
— Quel plan tu mijotes, Grand Chef ? demande le Radieux qui remue la queue de plaisir.
— Attendre et voir, réponds-je. Je vais essayer de louer une bagnole quelque part pendant que toi tu perceras un trou discret dans la cloison de ta chambre, non entre ta piaule et la mienne, mais entre la tienne et celle qu’occupe le « couple ». Il serait intéressant d’écouter ce qu’ils se disent.
— Et s’ils causent en russe ? objecte Bérurier.
— Alors j’apprendrai le russe.
CHAPITRE BONZE[19]
Ils reviennent très vite, les trois. Peu après que le Gros m’ait rendu compte de sa mission. Juste que j’allais sortir chercher une tire et les voilà qui se radinent, silencieux, claquant des pas sur les dalles du patio. Je réprime mon mouvement et rengaine dans la chambre.
Ils se pointent au 9. Je fais signe alors à mon pote de nous rendre au 8. Les portugaises plaquées à la cloison, nous cherchons à esgourder ce qui se dit, mais on perçoit ballepeau. Des bruits, si. Et de la musique, car il existe un poste de radio dans chaque chambre. Ils l’ont branché en arrivant.
On reste un bon quart de plombe, ainsi, à essayer de percevoir autre chose, mais c’est en vain. Le Mammouth somnole, comme chaque fois qu’il est immobile. Que cesse le mouvement et il s’enclume, Alexandre-Benoît.
Je le regarde dodeliner et voici qu’une porte claque, l’arrachant au coma. Je cours entrouvrir l’huis (comme disait ce pauvre Mariano). J’asperge les deux Popofs en partance. La femme est restée. Ils trimbalent le matériel auquel Béru a fait allusion. Bon vent, les potes !
Je n’hésite pas longtemps sur la conduite à tenir. Quand un ronflement de bagnole s’est éloigné, je me présente au 10, replie mon merveilleux index droit, qui sait admirablement presser les détentes d’armes à feu et les clitoris, et je toque toque à la porte bien qu’elle soit munie de l’écriteau « Do not disturb ».
Nobody ne répond.
J’insiste plus fortement.
Toujours rien.
À toi Sésame !
Cric, crac, le cric me croque. J’open.
Arabella Stone est allongée sur le lit, tout habillée, les bras allongés le long du corps, la tête maintenue presque à l’équerre par deux oreillers superposés. Elle respire bizarrement, en produisant un bruit de râle. Je la trouve salement pâlotte. Ses lèvres sont d’un blanc qui fout les jetons. Je lui soulève une paupière, son œil reste inexpressif, dilaté. Retroussant les manches de son chemisier, je finis par découvrir la trace d’une piqûre dans une veine de son avant-bras.
M’est avis que mes deux frères Karamazov lui ont administré un petit zinzin soigné pour la neutraliser.
Tu connais l’esprit de décision de Son Excellence Santantonio quand il se met à chier des bûches ? En moins de temps qu’il n’en faut à un feignant pour ne rien faire, j’ourdis un plan d’action.
Mais il faut se remuer le dargif car j’ignore si les deux gavroches soviétiques sont partis pour dix minutes ou pour dix ans.
Ali reste baba (impossible de la laisser passer, celle-là) en me découvrant sur le pas of the lourde, son vénérable maître l’ayant averti qu’il nous prohibait sa demeure.
Je réclame après le maître de l’École Antinomiste, mais l’eunuque branle du chef (c’est tout ce qu’il peut se permettre) d’un air redoutable, et puis applique sa large main gantée sur ma poitrine pour y exercer cette fameuse poussée de bas en haut qui fait tant chier les corps plongés dans un liquide déplacé.
Ce genre de manières m’horripile (atomique). C’est pourquoi Ali se morfle une cacahuète de magnitude 8 qui te me le quatreférenlaire proprement ; très bel exemple d’endormissement spontané, avec z’yeux révulsés, bouche ouverte et jolie tache bleutée au menton, laquelle évoque dans les grandes lignes la carte de la Suisse.
J’enjambe le mecton. Justement, Gauguin-Dessort surgit, torse nu, en short bleu pâle. Il a la poitrine velue de poils blancs, ainsi que l’écrivait y a pas tellement très longtemps M. Robbe-Grillet dans le bulletin paroissial de son arrondissement. La surprise prend chez lui le pas sur la colère.
Alors, ma pomme, j’embraye sec, passant directo la seconde, puis accélérant pour sauter la troisième.
— Ici France ! je beugle. Un Français parle à un Français. L’intérêt supérieurement supérieur de la chère mère Patrie doit faire taire les préventions et autres préjugés ! Un fonctionnaire de la Nation se met sous la protection du plus éminent de ses artistes. Ce génie du pinceau le repoussera-t-il ? La chose équivaudrait alors à un refus d’assistance à France en danger. Je n’ose le croire ! C’est deux siècles d’Histoire, qui par mon index, viennent sonner à votre porte, monsieur. Oubliez ma fonction qui vous débecte pour réaliser qu’en fait, c’est Vercingétorix, Charlemagne, Henri le Quatrième, Richelieu, Louis Quatorze, Danton, Napoléon Pommier, Gambetta et de Gaulle qui se tiennent présentement devant vous, l’alarme à la bretelle, l’arme à l’œil et presque à gauche, et le cœur ardent. Ici M. Deux-mille ans ! Ici France ! Et c’est à l’un des plus purs joyaux de l’art français que je m’adresse.
Gauguin-Dessort est dérouté, toute rogne refoulée. Elle grandiloque de la breloque et des pendeloques, cette vieille loque. Le tricolore lui monte au front. Tu croirais le Vieux, quand c’est LE Président en personne qui le carillonne.