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Son regard se voile comme quand on filme une actrice décrépite à travers un tulle pour lui réparer des ans l’irréparable outrage à la pudeur.

Un écho de mes paroles ricoche sur sa bouche en anus d’âne constipé.

— Pour la France, pour la France, la France…

Et il devient très bien, le maître de l’École antinomiste. Rectifiant la position, petit doigt sur les vergetures de ses jambes, menton à l’aplomb de Colomb-Béchar (aujourd’hui Béchar tout seul puisqu’il n’y a plus de colomb en Algérie), regard en hypnose, il écrie après un silence :

— Prêt !

Gagné.

Je le salue militairement :

— Merci, mon peintre ! La France vous adresse sa gratitude.

Les grands moments d’extrême tension sont toujours suivis d’un relâchement bienheureux, comme l’est de pets le cassoulet le mieux trempé.

— Asseyez-vous, flic ! m’enjoint Gauguin-Dessort.

Je pose délicatement un cul déjà fendu dans un fauteuil crapaud qui cherche à se faire aussi gros que le veuf.

— Motif de votre requête ?

— Une fille à héberger pendant quelque temps, je viens de l’arracher aux griffes de deux agents russes.

Il sourcille.

— Mais donc, vous faites dans le contre-espionnage ?

— Il m’arrive. Je suis commissaire spécial, très spécial, Maître.

Il rassérène à tout va.

— Ah ! bon, que ne le disiez-vous. Contre-espionnage, mais c’est bon, cela, c’est très bon ! Tout à votre disposition, mon cher. Quand m’amènerez-vous cette malheureuse ?

— Elle attend devant la porte dans une Land-Rover que m’a prêtée la directrice du Sphinx.

— La chère Martha ! Une exquise coquine. Bonne salope bien qu’étant néerlandaise ; généralement, ces gens sont roses et asexués, à preuve, ces putes d’Amsterdam qui font la gloire de la ville sont recrutées en France et en Allemagne. Vous est-il arrivé de forniquer avec une Hollandaise, bon ami ?

— Parfois.

— Et vous préférez leur fromage, non ? Encore que… Eh bien, je vais vous en apprendre une délicieuse : la mère Martha est l’exception qui confirme la règle. Toute tapée qu’elle soit, c’est de la fière baiseuse, vaillante à l’ouvrage. Si l’occasion s’en présente, demandez-lui de vous pratiquer le domino batave, unique ! Demandez-le-lui de ma part, elle ne vous le refusera pas.

— Merci du tuyau, Maître. Ainsi donc, vous consentez à accueillir cette personne ?

— Ne la faites pas attendre.

— Je dois vous prévenir qu’elle a été médicamentée par ses ravisseurs et que son état nécessite une vigilance soutenue.

— Les gueux ! Nous allons nous occuper d’elle. Vite !

Quatre minutes plus tard, Arabella Stone est installée dans une coquette chambre climatisée. Elle est toujours terrassée par un sommeil dur comme le bitume.

— Chouette lot, admire Bérurier après que nous l’eussions dévêtue et bordée. Si elle pèserait cinquante kilos d’mieux et qu’elle eusse quéqu’ verrues sur la frite, é m’rappellerait ma Berthe à nos débuts. Sauf que Berthe est brune et qu’elle a le front étroit et le nez large.

— Va rendre la chignole, Gros.

— Et ensuite ?

— Attends le retour des Popofs dans ta piaule, observe leur comportement.

— Et ensute ?

— Ensuite tu agiras en fonction de la situasse.

— Et toi ?

— J’attends le réveil de la môme, j’ai des choses à lui faire dire.

— T’as pas choisi la plus mauvaise part ! grogne l’Enflammé.

« J’suppose que les Ruskis vont faire du rébecca quand ils vont s’aperçoivent qu’la frangine n’est plus là ? »

— On verra.

Le colonel Bérurier claque l’étalon et se retire en déboutonnant sa braguette pour une intense grattée de son fourrage intime. Je l’entends maugréer comme quoi il ne serait pas surpris que la contrée fût infestée de morbacs.

* * *

La vie de château.

Celui de la Belge au Bois Dormant.

Son souffle est imperceptible, Arabella. Mais régulier cependant. Je m’installe sur une bergère, pose mes lattes et croise mes mains sur mon abdomen. Au bout de peu, Ali rapplique, lesté d’un plateau abondamment garni où figurent du scotch, du jus d’orange, un seau à glace thermique et des amuse-gueules. Chose confortante, l’esclave ne paraît pas me tenir rigueur de mon crochet à la mâchoire. Il est redevenu le serviteur muet et zélé d’avant l’algarade. Il se retire silencieusement. D’ailleurs, tout ici est silencieux. On ne se croirait pas au cœur de la belle Afrique, mais dans une paisible maison de l’Île-de-France. Je bois un verre d’eau glacée et me laisse dériver sur l’onde moelleuse de ma fatigue.

Rude journée, intense, échevelée… Je tente de la récapituler, mais j’y renonce car la dorme me prend, suave. Un abandon somptueux. La réalité m’indiffère doucement.

La somnolence est un état providentiel qui te permet de penser en pointillés, mais avec un grand détachement et une parfaite lucidité. Tu réfléchis en faisant abstraction de ta personne : le rêve ! Perdu dans la douceur de cette barbe à daddy, je contemple les choses de haut, sereinement… Reprenant tout par le début, et parcourant l’ensemble à grandes enjambées de pensée, si tu voudras bien m’autoriser une image aussi conne.

Stromberg tuant trois personnes pour récupérer un « petit trucmuche » qui n’a d’intérêt que pour lui, prétend-il.

Il file à London par le train pour y prendre l’avion. À la gare, les Russes l’attendent, le blessent. Il leur échappe. Quelques plombes plus tard, Arabella Stone débarque à la gare à son tour en s’informant si Stromberg a bien pris le dur. Sont-ils de connivence ? Probable, puisqu’elle a affaire aux Popofs à son tour aussitôt qu’arrivée à Victoria Station…

Deuxième époque : la Côte-d’Ivoire… Le tueur, bien que se sentant coursé, n’hésite pas à user des grands moyens pour filer à Sassédutrou auprès d’un faux Bokassa. Mon intervention fout la merde et il se taille en essayant de laisser croire qu’il a cramé dans son bahut. Détournement d’un coucou de tourisme pour se faire amener à Gagnoa. Fidèle à son principe de la terre brûlée, il bousille le pilote. Une fois à Gagnoa il disparaît. Tandis que je le cherche, je vois surgir Arabella flanquée de deux agents soviétiques. Que viennent-ils maquiller céans ? Et pourquoi se font-ils accompagner de leur prisonnière malgré les risques que cela comporte ? Ont-ils donc à ce point besoin d’elle ?

Ce pilonnage de questions achève de m’anéantir. Cette fois, je me mets à en écraser sérieusement, tout en conservant pourtant une position de semi-veille qui laisse mon sub en alerte pour le cas où la donzelle s’éveillerait. Je sais que le menu bruit produit par ses paupières soulevées me fera l’effet d’un coup de canon.

Je suis comme ça !

* * *

Ce qui m’arrache, tu vas rire, c’est le couinement d’une semelle de soulier.

Avant d’émerger vraiment, je me chantonne : « J’ai les godasses qui pompent l’eau ! »

Et là-dessus, j’écarte mes doubles rideaux. À première vision, je crois sincèrement que je rêve, selon l’expression aussi conne que sacrée, voire consacrée. À toute vibure, je me dis : « Ça va passer. Je suis réveillé, donc ça va passer. »

Mais ça ne passe pas.

Devant moi, trois personnes : deux Noirs balèzes et un Blanc qui finit par me devenir familier puisqu’il s’agit de Jan Stromberg, le tueur d’élite.