Je finis de lire la page en chantier.
— Je ne voudrais pas descendre votre idole en flammes, ma gosse, mais c’est pas Victor Hugo, votre génie !
Claudette murmure sans s’interrompre de taper :
— Il avait une grosse bite, Victor Hugo ?
— Je n’en sais rien, ma belle.
Elle désigne la feuille noircissante d’un hochement de menton :
— Parce que lui, si. Alors pour moi, son talent, c’est franchement la question subsidiaire.
Je la laisse apporter sa pierre à l’édifice d’une carrière et je chope Bérurier par une aile.
— Viens, Gros, on va faire un viron à la gare du Nord.
— Bonne idée, apprécie le Mammouth, je connais une brasserie à deux pas où l’on clappe la meilleure choucroute de Paname.
Un lointain bruit de chasse d’eau retentit. Au bout de peu, on voit sortir des gogues le père Pinaud, plus verdâtre et en complète délabrance que jamais.
— Ça ne s’arrange pas, nous dit l’excellent homme. J’ai commis une folie, hier au soir, chez des amis : j’ai mangé du melon afin de ne pas les désobliger. Et avec moi, le melon ne pardonne pas. Joignez à cela qu’ils ont servi ensuite une omelette mexicaine riche en piment et vous comprendrez ma débâcle intestinale de ce matin.
— Faut qu’ tu vas bouffer beaucoup de riz, préconise le docteur Bérurier.
— Suis-nous, la Vieillasse ! enjoins-je.
— Mais z-où ? Mais z-où donc ? lamente d’emblée le fossile.
— Gare du Nord.
— Dans mon état de délabrement ?
Bérurier tue ses objections dans l’œuf.
— Fais-toi pas d’ mouron, y a des chiottes plein la gare du Nord, mon pote !
Et alors donc, nous voilà partis, trio fameux, pas fringant, mais illustre sur les bords, pour une équipée que merde, tu m’en donneras des nouvelles.
Si toutefois tu en reviens !
À la gare of the North, je disperse mes deux excellentissimes limiers, munis chacun de la photo robot du tueur, sur le chantier de la gare, voire par the same occase, le sentier de naguère. Ils ont pour mission de dénicher quelqu’un susceptible d’avoir retapissé notre homme dans le train de Londres, cette nuit.
En ce qui me concerne, je me dirige à la location, faisant le raisonnement ci-dessous : « En ce moment : pas d’avion, donc rush sur les trains. Prudent de retenir ! Donc réservation à la loc. » Simple, sans bavure. T’aimes ?
Le préposé est une dame agréable à regarder, fût-ce à travers un guichet. Type méridional. Fine moustache, chatte crépue, poil aux pattes — ces deux dernières rubriques appartiennent au département « supposition », sourire affable de la personne à laquelle on enfonce un tisonnier rougi dans le rectum après lui avoir fait absorber une tasse d’huile bouillante (et de ricin).
Je lui montre ma brémouze. Elle essaie de se dérider, à savoir qu’elle fait le plus gros, réservant le reste au scalpel d’un chirurgien esthétique. Profitant de cette mise en condition, je lui produis la photo de « l’homme ». Elle la considère un bout de temps, haussant ses sourcils, puis les rabaissant pour les relever encore, et ainsi de suite, comme des petites ailes noires chargées de conduire sa belle tête velue dans les nuages.
— C’est un portrait robot, remarque-t-elle du ton de quelqu’un à qui « on ne la fait pas », ou alors par-derrière et avec son consentement et de la vaseline.
— Exact.
— Vous voulez savoir si j’ai vu ce type ?
— Hyper-exact.
Elle dodeline du chef.
— Oui, je le reconnais.
Ça se met à gazouiller dans mon cœur, comme le matin, dans le jardin de l’hôtel pendant tes vacances sur la Côte.
— Il a retenu un single pour le zéro heure quarante-huit de Londres, qui est parti cette nuit.
Elle a un délicieux accent foot-black, la dadame, qui frise dans les oreilles et te mélodise l’âme. Avec ça et une culotte propre, elle t’emballerait n’importe quel julot normalement constitué.
— Vous voudriez probablement son nom ?
Le charme number ouane de cette ravissante, c’est qu’il est inutile de lui poser des questions pour la faire parler. Elle jacte d’emblée, sait d’avance ce que j’attends d’elle et le déballe avec une bonne volonté qui côtoie le sublime et même le dépasse sans mettre son clignotant.
La voilà qui cramponne un registre à couverture verte, glacée. Elle l’ouvre à la bonne page et son index n’a pas à fureter beaucoup pour pointer le blaze attendu.
— Jan Stromberg, dit-elle.
Qu’ensuite, la chère gentille personne clôt son beau cahier, puis croise ses mains potelées par-dessus et darde sur moi un regard modestement triomphant.
— Ah ! jolie dame, lui dis-je, si tout le monde se montrait aussi coopératif et efficace, le métier de flic serait accessible même aux intellectuels. Cet homme est venu réserver sa place lui-même ?
— Non : il l’a retenue par téléphone, mais il est passé la retirer.
— Décrivez-le-moi, je vous prie.
Elle me campe le dénommé Stromberg avec un luxe de détails encore pas collectés qui me le rendent présent au point que je pourrais le tutoyer.
Je renfouille mes documents et remercie à chier partout, tant est vive, profonde, antirouille, ma reconnaissance. Et te lui déclare qu’à la première occasion, sitôt mon enquête couronnée de succès, je viendrai l’attendre un soir, à la sortie, et que nous irons fêter cela chez les Grands-Ducs, à l’aide d’une choucroute garnie, puisque le quartier est propice, et qu’ensuite je lui ferai visiter à outrance mon entresol Renaissance, là que s’accumulent les meilleures estampes japonaises de Paris et de sa périphérie.
Elle glutit, déglutit, cafouille, gazouille, me brandit un sourire-chef, minaude, m’inonde (hertzienne) et transforme, selon toute vraisemblance, son slip en Spontex pour la vaisselle. Que c’en est féerique.
Tandis qu’une jeune femme se la radine au guichet. Bien saboulée d’un ensemble de chez Léonard, blonde, ou faisant admirablement semblant, maquillage de rêve, regard indéfinissable, vert ou noisette clair, selon la couleur du ciel et ton état d’âme.
— Arabella Stone, j’ai une réservation pour Londres, en première.
La préposée désourit, redevient professionnelle, farfouille là qu’il le faut et sort un bulletin de réservation dont elle perçoit séance tenante le montant ; poum ! Voyez caisse !
Et c’est alors que la belle blonde dit très précisément et inexorablement ceci, que je laisse à ta méditation pleine et entière :
— Puis-je me permettre de vous demander un renseignement ?
Et tout en le demandant, elle glisse un talbin de cinquante points pliés en quatre par le guichet.
— De quoi s’agite-t-il ? demande la réserveuse.
— Je voudrais savoir si un ami à moi a pu prendre son train, cette nuit ; M. Jan Stromberg.
Entendant cela, moi, tu me connais, je ferme les yeux afin de ne pas être déconcentré pour réciter les cinq pater et les trois ave que je dois acquitter à la Providence, T.V.A. incluse, afin de la remercier de ce présent fabuleux qu’elle me fait à mon nez et à ma barbe.
La préposée me regarde comme si un Sénégalais lui proposait sa bite par le guichet en lui affirmant que c’est du chocolat suisse. Tu parles que ça la souffle, une pareille requête, à un tel instant. Moi là, enquêtant, et cette Arabella Stone qui…
Présence d’esprit, l’Antonio. D’une mimique, j’indique à la moustachue qu’elle doit conserver le contrôle de son self. Elle y parvient. Feint très bien de compulser son putain de registre. Déclare qu’oui. M. Stromberg a bien et bel retiré sa réservation.