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La personne ne laisse rien voir de ses sentiments, elle murmure un fort civil merci et s’emmène promener en direction des quais, cherchant celui de son dur.

Pour lors, je ne perds pas d’étang.

— Il me faut trois places pour London, déclaré-je à ma conquête.

— Complet.

— Pas pour moi. Je réquisitionne, ma chérie.

Elle se laisse convaincre et me recède les tickets de la famille Dumollard. Me faut dès lors récupérer mes archers valeureux. Pour Béru, c’est pas dif : il est au rade du buffet en compagnie d’un porteur. Comme je me pointe, il sémaphore pour m’alerter.

— Hé ! j’ai du neuf, Mec. Not’ gazier a bien pris le rapide de noye, Joseph Lempointe, ici présent, qu’j’ai l’honneur d’porter à ta connaissance, lui a coltiné ses valdingues. Pas vrai, Joseph ?

Acquiescement de l’interpellé.

— Bravo. Où est Pinuche ?

— Aux chiches, son melon, ça n’s’arrange pas. Il nous fait une superbe entérite, le pauv’ biquet.

— Il nous la finira dans le train. On file à Londres, départ dans trente-cinq minutes, quai 3.

— Alors faut qu’j’vais aller l’chercher, soupire Mister Mastar, cézigue-pâte, une fois aux gogues, pour l’ravoir, faut y mett’ le prix, d’autant plusse qu’il s’est enfermé avec Paris-Match et qu’il a oublié ses lunettes.

Dix minutes plus tard, sur le quai 3, je vois radiner mes deux frères Karamazov. Pinaud qui n’a pas fini de se reculotter se déplace par petits bonds kangouresques. Le Gros, serviable, lui porte son veston et son chapeau.

* * *

Le hasard continuant de bien faire les choses, nous nous trouvons dans le même wagon que Miss Arabella Stone, à trois compartiments du sien. Sous prétexte de fumer un Havane dans le couloir, je la guigne discrètement. Elle bouquine un livre en anglais, l’air très sérieux, les jambes croisées et la robe tirée sur ses genoux.

Je raffole des femmes convenables. Elles m’excitent. Les salopes également d’ailleurs. En fait, toutes les personnes du sexe ont leur chance avec moi, si moi je ne l’ai pas toujours avec elles.

Je fume en me disant que tout ça est un peu trop beau pour être véridique. Ça se goupille comme dans les romans de la Collection Rouge et Or. Généralement je rédige pas pour les lecteurs de cinq à dix ans, mécolle.

Pinuche sort comme un fou dans le couloir, le regard exorbité, le futal en dégrafade.

— Ça continue ! Ça continue ! il hurle : le melon, le melon ! Et cette saloperie d’omelette mexicaine !

Il est intercepté par le contrôleur qui pernicieusement se pointe à ce moment, pas rasé de frais, pas frais, blafard, les yeux soulignés de bistre, avec quatre dents absentes sur le devant du clavier, sa sacoche, son casse-noisettes et sa délicate odeur S.N.C.F.

— Billet, siouplaît !

Pinuche objecte :

— Je vais aux toilettes !

— Billet, je vous prille ! insiste le trôleur d’un ton qui exige tout de suite.

Pinuche se résigne à chercher son bifton en gémissant de trop de retenue. Ce faisant, il lâche son grimpant qui choit à ses pieds comme une jupe de pute venant de percevoir son dû.

Il a des gestes frénétiques.

— Je ne peux plus, je ne peux plus, il lamente. Je suis à bout de…

Il ne dira jamais de quoi, le cher chéri. La fusée volante ! Wagon de première classe ou pas, il est trop tard. La fatalité n’attend pas, ignore toute ségrégation, tout esprit de caste.

Pinaud part à dame dans le couloir, sous les yeux incrédules du contrôleur, d’une vieille dame armée d’un pékinois, d’un général en retraite, d’une adolescente à boutons, d’un marchand de vins et spiritueux. Les Canons de Navarone !

Je m’hâte de regagner mon compartiment, le laissant se démerder tout seul. Vroum, vroum ! Faisant la moto extrêmement cyclette avec son vieil anus fripé, ravagé, hors de commun usage, Pinuche. La bonne vieillasse, la relique très chère, l’exquis petit bout d’homme, chaplinesque un peu, moi je dis. Vroum ! Flaouche ! La fusée volante ! Commak, en plein train, devant des gens d’horreur, plus horribles que ses rejets. Et chlaofff ! Une autre, encore, invidable, dysentérique au-delà de tout critère, à en faire baisser les bras des toubibs les mieux qualifiés, diplômés de partout, surdécorés, moi je pense. Et vlan, vlan, vlan ! Par trois fois, par dix, par cent ! Poum badaboum ! Intarissable ! Lampe à souder, moi je crois. Compresseur ! Peinture au pistolet ! Nouveau designiste de la Sénecéeffe. Peintre anal, hyper-supra-réaliste. Chlofff, chloff ! C’est tout bon ! Futal baissé. Calcif déjà évacué par suite d’un précédent accident de parcours. Haute scatologie, mon fils ! Et qui n’a pas rêvé, une nuit, qu’il déféquait en public ? Qui ne s’est pas vu en grande chiasse, pendant une grande messe ? Qui donc n’a pas été contraint, un jour, devant les autruis rassemblés, de perpétrer la fonction libératrice la plus intime ? Beaucoup baisent en groupe, mais chier ? En dehors de quelques acteurs de ma connaissance ? Que moi, de mes yeux vu, j’ai eu le spectacle d’une dame, au musée de l’Ermitage à Leningrad. Je jure, j’ai des témoins à verser au dossier. En plein musée, la boyasse en perdition ! Vzzzztchouf ! Que même, je vais te dire : son bonhomme lui tenait son sac à main pendant qu’elle s’abîmait, psalmodiant des excuses à la ronde ! Lui, le plus emmerdé des deux. Il en morflait sur ses pompes, le très malheureux mari. Chez Catherine la Grande, Pierre le Grand, Brejnev-le-Grand. Sur les parquets encaustiqués. Chefs-d’œuvre en péril en la demeure. Poum ! À la santé de la Sainte Russie ! Un pauvre cul français, d’Aubervilliers ou de Toussus-le-Noble, Concarneau, La Verpillière, ou autres lieux plus ou moins communs. Tenait le sac à sa chieuse, le père Ducon. Que je le revois : cheveux gris, chemise verte à manches courtes. Consterné de venir de si loin conchier un endroit aussi auguste, Auguste par mégère interposée.

Et que tout ça, c’est la vie, vois-tu… Ils ont beau dire « Moui, Santantonio, mal embouché, malodorant, grossier personnage, célébrateur de la merde », et d’autres encore que je devine, comme je devine tout ce qui est dit et disable, fait et faisable ; ils ont beau, les gueux à faces miséreuses, ils ont beau, rien ne m’empêchera d’avoir atrocement raison, moi l’Antonio de passage. Raison d’égrener de la sorte, au long de mon court chemin d’un point à un autre, d’égrener ces choses de basse vie de nos vies rasantes, rase-mottantes, puériles, sottes et pusillanimes. Raison de voir et de déclarer ce qu’il voit, sans haine, et sans crainte de personne, ni des mots qui pourtant t’attendent au tournant.

Dans notre compartiment, Béru ronfle en trombe, en trompe aussi, et de même à cor et à cri, incommodant un ecclésiastique occupé à lire Lui sous couverture noire, et une mère de famille gavant de bonbons son chiare ; lequel ressemble à quelque grand nain tombé d’un fromager géant.

Je finis par l’imiter, sombrant dans une douce somnolence ferroviaire propice à la bandaison ; qui m’amène un rêve splendide, avec des gonzesses belles à n’en plus finir, nues et salingues à l’extrême.

Le tohu et le bohu du ferry m’arrachent.

Je rouvre les yeux sur un quotidien poussiéreux et qui pue. Il faut dire, pour étayer cette seconde assertion, qu’il y a à mon côté un Écossais mal torché dont le kilt répand une odeur vivifiante de pompe à merde. Y regardant à deux ou trois fois, je m’aperçois que l’Écossais en question n’est autre que César Pinaud. La Vieillasse m’adresse un hochement de tête misérable.

— Mon pantalon est foutu, dit-il, j’ai été contraint de le jeter par la portière.

— Et ça ? questionné-je en désignant le kilt frappé du sigle S.N.C.F.