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Bérurier jette de fréquents coups de saveur derrière nous, qu’à la longue, son manège me les brise.

— C’est devant que ça se passe, Gros, pas derrière !

— Je m’demande si Pinuche est dans l’cortège, il murmure.

Et son chuchotis sent l’escargot à la parisienne.

— Penses-tu : au moment où on mettait sous presse, il cherchait les gogues de Victoria Station.

— J’espère qu’il les aura trouvés, conclut cet excellent homme.

Le pressentiment me biche depuis le bout de la rue.

— Je parie que c’est là-bas qu’ils vont !

Mister Dodu se penche pour mater la perspective. Il aperçoit alors ce que je vois, à savoir un immeuble opulent, sommé du drapeau soviétique.

— Elle s’est fait emballer par des Ruskis ? demande-t-il.

L’Austin passe un porche gardé par des militaires. Stoppe devant une porte qui finit par s’ouvrir. Disparaît dans les entrailles de l’ambassade d’U.R.S.S.

— C’est tout ce que vous vouliez savoir, gentlemen ? demande le chauffeur, flegmatique comme une photo officielle d’Elisabeth Deux.

Il n’a pas ralenti et poursuit sa route nonchalamment.

— Oui, soupiré-je, c’est tout.

— Tu voyes bien qu’on aurait dû attaquer leur putain d’diligence, au moment qu’la gerce a essayé de filer, me reproche l’Énorme.

Je ne réponds rien, me sentant trop culpabilisé pour.

Néanmoins, nous n’avons pas perdu notre temps. Nous savons que l’affaire du triple assassinat a des ramifications internationales. On a mis les pinceaux dans une gentille histoire d’espionnage, quoi. C’est bien ton avis ?

— Vous seriez gentil de nous ramener à Victoria Station, dis-je à notre pilote.

CHAPITRE TROYES[3]

— Pourquoi t’est-ce qu’on revient à la case départ ? questionne Bérurier en descendant du bahut.

— Il faut bien récupérer Pinuche, non ? Et puis on va tenter de renouer avec la piste du tueur puisque c’est ici qu’il a débarqué.

— Tu croyes qu’lu aussi s’est fait alpaguer par les Popofs ?

— Je ne crois rien, Gros. Comme souvent, j’agis avant de penser histoire de me chauffer les feux. On peut faire semblant de réfléchir, mais on ne peut pas faire semblant d’agir, voilà pourquoi l’homme d’action est toujours privilégié.

Il me répond qu’oui-bien-sûr-et-comment. Ensuite de quoi, nous retournons à notre quai d’arrivée. Je m’apprête à m’enquérir de Pinuche dans la région des vouatères closets lorsqu’un groupuscule présidé par un immense policeman capte mon attention.

Toujours se fier à ses pressentiments lorsqu’on est San-Antonio.

Je m’avance et découvre trois porteurs vindicatifs, un sous-chef de gare impavide et un policeman embêté, autour d’un père Pinuche dénudé jusqu’à la ligne de flottaison. Au lieu de porter sa couvrante comme un plaid (et bosse), il la porte comme un poncho (les marrons), c’est-à-dire sur l’épaule ; et rien — tout au moins pas beaucoup — n’est plus affligeant à contempler que ce pauvre bonhomme de grande gringalure en chaussettes malencontreuses et ravaudées par-dessus les ravaudages, tire-bouchonnesques sur ses godasses de frère quêteur ; cul nu (et quel cul, Seigneur ! Quand l’envie t’en biche tu nous en fais de belles !), à la veste fripée, au chapeau informe, penaud au bord d’une atroce flaque dont il est l’auteur et qui s’étale sur des bagages Vuitton imprévus pour une telle souillure.

Les porteurs invectivent dans cette fameuse langue de Shakespeare qu’on a mise depuis lui à toutes les sauces. Ils clament l’outrage, la malséance, le sans-gêne bien français de cet olibrius qui, entrailles en folie, est venu se déverser sur une pile de valises pour sleeping. Et ils déclarent qu’ils mettront leur syndicat au courant de cette forfaiture. Qu’au grand jamais l’on ne vit chieur de la pire espèce, venu des antipodes ou d’ailleurs, déféquer en plein Victoria Station ! Et que le bobby va se faire un sacré bon Dieu de devoir de merde d’arrêter ce triste sire à l’anus profanateur.

Mais le bobby, lui, est un peu à l’écart, mentalement, de ces exigences. Penché sur les résidus pilnuciens, il paraît fasciné comme un laborantin sur une merde cholérique. À vrai dire, ce n’est pas la chose (puisqu’il faut l’appeler par son nom) qui le passionne, mais l’humble papier, tout juste froissé, qui la couronne et qui n’est autre que le portrait robot de Jan Stromberg. Pinaud, à court de faf à train, s’est résolu à cette extrémité. C’était cela ou son passeport. Pour des raisons qui lui appartiennent, il a donné priorité au portrait. Et ce portrait : tiens-toi bien, et tiens-moi également un petit peu, du temps que tu y es, ce portrait mal robot, le policeman athlétique semble le reconnaître.

Il dit, juste avec le haut du nez, presque avec ses seuls sinus :

— Well, well, wellll, welll.

Et même, éperdument courageux (vive la vaillante Albion !) il s’efforce de défroisser le document du bout arrondi de son soulier ciré impec.

Un qui juge au porteur, pardon : opportun, d’intervenir, c’est le fils unique de Félicie, ma chère maman.

— Le visage de cet homme vous dirait-il quelque chose, sergent ? je lui questionne bien qu’il ne soit pas sergent, mais c’est presque toujours comme ça qu’on leur cause dans les romans policiers anglais écrits par des étrangers.

Il me détoise, ou me visage, au gré.

— Je vous demande pardon ? il fait d’un ton à constiper Pinaud.

Je lui montre alors ma brémouze poulardière, plus un autre portrait robot de Stromberg.

— Cet homme a abattu trois personnes à Paris, sergent, et je débarque à London pour me mettre en rapport avec le superintendant Fouquetts de Scotland Yard, vieil ami à moi, car nous savons de source thermale sûre que cet homme a pris le train pour votre inoubliable capitale.

L’immense bobby défige un tantisoit autour des yeux et m’octroie un acquiescement nuancé.

— Well, well, well, well, il m’explique.

— C’est pourquoi, devant votre courageuse attitude qui consistait à vouloir déplier ce papier, bien qu’il ne se trouvât pas en situation d’être examiné, m’amène à vous reposer ma précédente question : le visage de cet homme vous dirait-il quelque chose ?

Que mon lecteur vénéré de bas en haut et borné de haut en bas ne s’émeuve pas en lisant mes répliques ampoulées (Mazda vous l’offre), mais je dois lui rappeler que nous sommes en Angleterre où rien n’est commun, excepté parfois les noms propres. Il est donc judicieux de se mettre à l’unisson et de se comporter anormalement si l’on veut espérer se noyer dans la masse.

Le policeman demande à brûle, tu sais quoi ?

Oui : pourpoint, nous sommes en royauté ici !

— Vous n’avez donc pas lu les journaux ?

— Quels journaux ? ai-je l’étourderie impudente de lui demander, car pour lui, n’existent que les newspapers de sa contrée.

— LES journaux ! me répond-il en mettant l’article en majuscules d’affiches, chose qu’hélas je ne puis me permettre en ce très modeste polar de merde, qu’on m’imprimerait sur papier chiotte si tu n’y prenais garde, mon lecteur assidu, calibré et estimable. Car c’est toi qui as droit à la considération du néditeur et non pas moi, humble forçat de la plume qui ne se permettrait même pas de changer sa Rolls sans demander la permission à qui de droit (s d’auteur).

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3

Dédié aux Troyens.