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— Sa nurse seulement ! Il n’y a pas que des vaches laitières chez nous !

— Dommage, ça ne m’aurait pas déplu d’assister à un repas de Jimmy.

Alors là, les mecs, vous devez penser que je balance les confetti un peu trop fort ; mais que voulez-vous, quand il y a une personne de taille 42 dans les parages, je ne me sens plus. Je suis obligé de me parfumer à l’essence de térébenthine pour arriver à me sentir.

— Et vos patrons ? fais-je, sur ma lancée. sans me départir de ce regard enjôleur qui ruine les marchands de glaces.

— Eh bien ?

— Ils ne sont pas là ?

— Non, lui il tourne…

Je fais celui qui ne pige pas, et ça m’est d’autant plus facile que je n’entrave que pouik à ce qu’elle me distille.

— Comment ça, il tourne ?

— À Boulogne, les raccords de la séquence française…

— Il est metteur en scène ?

C’est à son tour de jouer « C’est-y du lard ou du cochon  », scène deux de l’acte trois.

— Il est acteur… Vous venez de la part de l’agence et vous ne savez pas qui est Fred Loveme !

Je bredouille :

— Fred Loveme !

Tu parles que je connais le monsieur ! Et vous aussi d’ailleurs ! Le premier acteur d’Hollywood ! Le héros de tant de films à succès, parmi lesquels je cite au hasard :

« Prends-en deux on mangera l’autre », « Les constipés du Larfouillet » et, surtout, ce monument de l’écran qui lui a valu l’Oscar « Pas de bouquet pour les crevettes  ». Vous vous rappelez ? C’est le film qui raconte les aventures de Clovis au Texas et qu’il a interprété si magistralement avec, pour partenaire féminine, Gertrud Tubar, premier prix du Sanatorium de Waterproof.

Je répète encore, me gargarisant, me pénétrant du sujet :

— Fred Loveme !

J’en prends une quinte de toux, d’ailleurs y a de quoi, cet homme c’est la coqueluche des foules.

— Mais, proteste la môme, je pensais…

Il est temps de justifier mon ignorance.

— Je suis nouveau à l’agence, expliqué-je précipitamment, et on a tant de maisons louées… Le patron ne m’a pas donné de précision. Mais si je me doutais.

En effet, tous les baveux ont annoncé l’arrivée en France de Fred Loveme. Il est arrivé avec sa femme, son fils, sa nurse et son secrétaire à bord du dernier Liberté. Comme c’est un gars très simple, il a loué un étage du Ritz pour lui, un étage du Carlton pour sa femme et une villa à Maisons-Laffitte pour le bébé… S’il n’a pas loué le Palais des Sports pour garer ses bagnoles, c’est uniquement parce qu’il y a trop de poussière.

— Y a longtemps que vous servez chez les Loveme ?

— Depuis la naissance de Jimmy.

— Ils sont chouettes ?

— Pardon ?

Je me mords la langue, contrairement aux serpents qui eux se mordent une autre extrémité.

— Ce sont des patrons agréables ?

— Très, je ne les vois pas beaucoup.

L’absence, c’est la principale vertu d’un patron. Je le lui fais remarquer, son sourire s’accentue.

— Vous ne vous ennuyez pas dans cette grande maison ?

— Un peu… Mais le soir j’ai une remplaçante et je vais à Paris avec la voiture.

M’est avis, les gars, que cette pin-up a découvert la gâche idéale. C’est un job comme toutes les femmes de ménage en espèrent un.

Pendant qu’ils sont, aux States, les boss ! On prend du personnel pour servir le personnel et on met à sa disposition des charrettes comme n’en ont pas nos ministres !

— Vous y allez seule, à Paris ?

— Vous êtes bien curieux…

— Si vous avez besoin d’un mentor, ce serait avec plaisir que je vous piloterais…

Mais un mentor n’est jamais cru, vous le savez. La môme se renfrogne. Je ne dois pas être son genre. Pour comble de bonheur, le gamin se réveille et pousse une gueulante, je prends congé en m’excusant tandis que la nurse s’occupe de l’héritier de Fred Loveme.

J’ai dans l’idée que nous nous sommes gourés de lourde. Que peut-il y avoir de commun en effet entre un acteur de réputation mondiale et un kidnapping ?

CHAPITRE VI

La mère Béru, notre pin-up des faubourgs, dite aussi la Vénus obèse, est toujours vautrée sur la banquette avec la couvrante sur le râble lorsque je ramène ma délicate personne.

À deux doigts de l’apoplexie, la Berthe ! Quand elle se redresse, ses carreaux sont injectés de sang.

— Alors ? halète-t-elle.

— Ma chère amie, déclaré-je sans ambages, ayant oublié ma provision d’ambages à la maison, dans le tiroir de ma descente de lit, ma très chère amie, il y a maldonne.

— M… ! prononce distinctement Béru, lequel a toujours eu une prédilection marquée pour les mots de cinq lettres.

— Cette maison a été louée par Fred Loveme, le célèbre acteur américain, pour son bébé qu’il tient à élever au grand air, donc rien de commun avec les foies blancs qui enlèvent les petites dames.

Entre nous, c’est pur madrigal, elles ont un sacré tonnage, les petites dames, cette année.

Mais la Gravosse renaude brusquement. Abattant sa grappe de francforts sur mon poignet, elle bavoche :

— Commissaire, je sais que c’est ici.

— Mais, ma bonne Berthe.

— Tout ce que vous pourrez me dire n’y changera rien ; ce serait la maison du cardinal Feltin que je continuerais à le soutiendre. Tenez, pendant que j’étais sous la couverture, j’ai formellement reconnu la maison.

Je lui glisse un petit coup de périscope, pour vérifier si des fois elle n’aurait pas un plomb de sauté. Mais elle semble très sérieuse, quasi pathétique… Les poils de ses verrues sont dressés comme les antennes d’un spoutnik et ses miradors ont mis le plein feu…

— Reconnu ! Sous la couverture !

— Parfaitement, commissaire. Là-dessous j’avais du mal à respirer, donc je respirais fort. Ce que j’ai reconnu, c’est l’odeur. J’avais oublié. Une odeur de laurier. Et regardez, il y a une haie de lauriers qui borde l’allée jusqu’à la maison.

L’argument est de poids. Une cuisinière de la classe de Berthe se devait d’identifier un parfum de laurier.

Je ne réponds rien. Je suis plus perplexe que le monsieur qui, rentrant chez lui, trouve son meilleur copain à poil dans l’armoire.

Je traverse le parc et fonce jusqu’à l’agence Houquetupioge. J’ai besoin d’en savoir davantage.

— On ne rentre pas ? se lamente l’enflure arrière, j’ai une de ces faims !

Sans répondre, je débarque de mon carrosse et je pénètre dans le bureau de l’office Houquetupioge et ses fils ! Pour l’instant, M. Houquetupioge occupe le local sans ses fils. Ou alors il est l’un des fils et ses frangins sont allés à la pêche avec leur papa. C’est un monsieur qui serait sexagénaire s’il n’avait presque soixante-dix ans, grand, mince, anguleux, blanc de cheveux, noir de moustache teinte, porteur d’un complet marron, d’un gilet de laine bleue et de pantoufles fabriquées dans une vieille tapisserie Louis XIII. D’ailleurs il aime le Louis XIII, sa table de travail est Louis XIII ; son fauteuil aussi, de même que sa machine à écrire et son téléphone. Lorsque, obéissant en cela à la plaque d’émail (Bravo Bernard Palissy !) vissée sur la lourde, j’entre sans toquer, le fils ou le père Houquetupioge, est en train de se livrer à une double opération ; chacune en soi est relativement banale, mais leur conjugaison donne un exercice périlleux. Le digne homme tape une bafouille sur sa machine à écrire en buvant une tasse de café.

La brusquerie de mon irruption lui fait rater son numéro de haute voltige. Il prend le contenu de la tasse sur la braguette, heureusement ça ne dérange personne, et il écrit un mot comprenant trois doubles V qui me paraît intraduisible en français.