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— Vous avez Ciné-Alcôve ? lui demandé-je.

Abruti par la surprise, il renifle sa rogne.

— Mouais…

— Donnez !

Il puise dans sa sacoche fixée au porte-bagages… Je lui cloque une pièce blanche et me barre sans attendre la monnaie.

Un instant plus tard, qui est-ce qui fait drelin-drelin à la grille des Veaupacuit ? C’est votre San-Antonio joli !

Comme naguère, et comme précédemment, la nurse vient m’ouvrir… Elle n’est plus sapée de la même façon… Elle porte une robe grise, ouverte sur le devant et boutonnée par derrière… Ce genre de fringue est merveilleuse à dégarpiller. 0n a l’impression d’écosser un haricot…

Elle s’est coiffée à la Joséphine (pas celle de Jo Bouillon, celle de l’Imperator Rex) et son maquillage serait signé Héléna Rubinstein que ça ne serait pas fait pour me surprendre.

Elle m’accueille avec le même mot que le Révérend Houquetupioge.

— Déjà !

— Vous voyez que je n’ai pas chômé ? Je suis revenu au bureau tout de suite après votre départ… Vous désiriez me voir ?

Elle a un sourire léger qui lui vaudrait les circonstances atténuantes si elle avait revolvérisé un mari.

— Oui…

— Puis-je savoir…

Elle me toise d’un air fripon. Quand une petite Suissesse se met à vous bigler comme ça, ça veut dire qu’elle pense à des trucs qui n’ont rien à voir avec l’étude du Moulin à Vent dans la Société Moderne.

— Vous m’aviez fait une proposition intéressante, tout à l’heure…

— Paris by night ?

— Oui.

— Et vous l’aviez refusée…

— Parce que j’étais obligée de rentrer de bonne heure à cause de Jimmy…

— Je croyais qu’une femme de ménage…

— Certes, mais elle ne le garde que quelques heures, car elle est mariée et son époux ne veut pas qu’elle découche…

— Et son vieux est parti faire une période militaire, ce qui laisse toute liberté à la dame ?

Elle pouffe !

— Oh ! non… Mais Mrs Loveme avait la nostalgie de son enfant ; tout à l’heure elle est venue le chercher… Je suis donc libre jusqu’à demain matin…

Je me livre à un transport de joie en commun.

— Veine ! Vous avez donc étudié à tête reposée ma proposition, gentille Zurichoise, et vous vous êtes dit qu’à la rigueur je pouvais être un guide convenable ?

— Exactement…

— Si bien que vous êtes prêt à m’accompagner pour une virée des grands ducs ?

— Oui.

Le feuillage frissonne dans l’ombre. La brise du soir est mutine. Je suis heureux, soudain, béat, détendu, ravi… Et aussi, mais alors ne le répétez à personne : fier de moi.

N’insistez pas, je ne vous dirai pas pourquoi.

— Vous ne pensez pas que ce serait le moment de me dire votre nom ?

— Estella !

— Sensationnel !

Marrant, non ? Il y a une paire d’heures je posais la même question à une autre donzelle et j’avais une réaction similaire. C’est bon de recommencer…

Comme quoi, avec les femelles, il suffit de mettre un numéro au point et de l’enregistrer sur disque souple. Dans le fond, c’est comme la cuisine : la même recette fait plaisir à des tas de gens…

— Le temps de prendre mon sac et je suis à vous, affirme-t-elle en s’élançant en direction de la gentilhommière des Veaupacuit.

Je la regarde s’éloigner, preste, légère dans l’ombre vaporeuse du sous-bois. Il y a de l’or en poudre, ce soir, sur Maisons. L’air sent l’automne. Émouvante odeur de l’humus en pleine fabrication…

Je suis légèrement dérouté (comme dirait Bombard) par la marche des événements. Et pourtant, tout à fait entre nous et la semaine dernière, je dois vous dire que je m’attendais à ce que la petite nurse se manifestât. Pas si rapidement néanmoins, et c’est ce qui cause mon trouble…

Je m’avance à sa rencontre dans l’allée qui fut cavalière en un temps où l’avoine était le carburant de base de la circulation. La petite Estella radine déjà. Elle a jeté un manteau sur ses épaules… C’est un truc en drap, avec un col de fourrure, très chic, très élégant. Elle, c’est le contraire de la môme Hortense de tout à l’heure. On vanne à la trimbaler dans le monde. Les autres bonshommes ouvrent des vasistas grands commak en vous voyant passer avec une chose pareille autour du bras.

— Vous étiez seule à la maison ? demandé-je, comme nous nous atteignons.

— Oui, fait-elle, pourquoi ?

— Il me semble que vous avez oublié d’éteindre la lumière, non ? Ça brille entre les arbres, voyez…

Elle hausse les épaules.

— C’est pour quand je rentrerai. J’ai horreur d’arriver dans une maison obscure… Ça fait triste…

Je n’insiste pas et la guide jusqu’à ma charrette. Elle y prend place.

Lorsque je suis au volant, elle murmure :

— Elle est à vous, cette voiture ?

— Bien sûr…

— Dites, vous avez une bonne place chez le vieux bonhomme de l’agence ?

— Pas mauvaise… Mais l’auto est un héritage qui me vient de mes arrière-grands-parents…

Elle a la politesse de rire à cette saillie.

Puis, vite sérieuse, elle remarque :

— On n’imaginerait pas que vous avez comme patron un type minable comme ça.

— Il ne faut pas se fier aux apparences, chère Estella.

— En effet. Son office fait petite affaire de province en plein déclin…

Je m’empresse de dorer le blason du père Houquetupioge.

— Détrompez-vous. Le boss est un vieux célibataire à marottes, mais son truc gaze à bloc. Il gère quatre-vingts pour cent des propriétés de Maisons-Laffitte… Grosse fortune.

C’est classe pour le sujet, mais je sens que ça continue de bouillonner sous le charmant couvercle de la belle enfant.

Je me demande si elle n’a pas été inquiétée par ma venue dans son château et si elle n’a pas accepté cette virée pour me tirer les vers du naze. Elle est logique, étrangement calme, cette souris. Quand une situation lui paraît trouble, elle ne doit pas avoir de cesse avant de l’avoir clarifiée.

— Il y a longtemps que vous avez quitté la Suisse ?

— Quelques années, oui…

— Et vous êtes allée aux States, comme ça ?

— J’étais hôtesse de l’air… L’Amérique m’a plu. Là-bas les gens de maison sont très bien payés, j’ai compris qu’en me plaçant comme nurse je gagnerais trois fois plus d’argent qu’en conseillant à des gens d’attacher leur ceinture pour le décollage.

— Parce que vous aimez l’argent ?

— Pas vous ?

— J’y pense en sourdine. D’après ma philosophie, l’essentiel c’est pas d’en avoir beaucoup, mais c’est d’en avoir assez, vous comprenez.

Nous atteignons Pantruche. Je fonce depuis la Défense en direction de l’Etoile qui nous attend, là-haut, dans une apothéose de lumière…

— Qu’aimeriez-vous faire ? j’interroge en levant le pied de sur le champignon.

Je ne puis m’empêcher de me marrer bassement en évoquant la femme du sous-brigadier que j’ai larguée honteusement dans une attitude peu en rapport avec les hautes fonctions de son colleur de papillons.

— Ce que vous voudrez…

— Que diriez-vous d’un spectacle ? Ensuite souper… Je connais une boîte très bien où l’on déguste des fruits de mer qui raviraient Neptune.