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Malko ne répondit pas. Une femme aussi jolie que Mme Lentz ne resterait pas longtemps dans ce trou. Surtout si elle était veuve.

— Pourquoi habitez-vous ici ? demanda-t-il doucement.

— L’argent. Il n’en gagne jamais assez. La vie est chère, et sa compagnie ne le paie pas assez. C’est pour ça qu’il travaille avec le Chamalo. Et qu’il fait des petites choses à côté, aussi. Pour vous, sans doute…

Elle le regardait en coin. Malko saisit la balle au bond.

— Vous savez qui je suis ?

— Un espion. Un espion américain. Il en est venu un l’année dernière. Il était grand et blond, très fort. Il m’avait promis de m’emmener en Amérique, le salaud.

— Vous aviez couché avec lui ?

— Bien sûr. Il me plaisait. Et c’était bon pour Serge aussi. Il lui a donné beaucoup d’argent. Mais je l’aurais fait pour rien, tellement il était beau… Il y eut un petit silence. Vous êtes séduisant aussi, vous savez. Si vous pensiez un peu moins à votre travail…

— Puisque vous savez ce que je fais, vous pouvez m’aider.

— Qu’est-ce que cela me rapportera ?

— Votre mari. Et de l’argent aussi, peut-être.

— Ce que je voudrais, c’est sortir de ce trou.

Si vous m’emmenez, je ferai n’importe quoi pour vous, vous m’entendez ?

— Ce n’est pas impossible, dit Malko prudemment. Cela dépend de l’aide que vous m’apporterez.

Il commençait à ressentir la fatigue du voyage, et ses piqûres l’élançaient encore. Mais la belle Mme Lentz ne le laissait pas indifférent. Il n’avait jamais vu un corps aussi beau, et rarement une femelle aussi déchaînée. Elle s’offrait sans aucune gêne et donnait une vivante démonstration de l’effet néfaste du climat tropical sur l’être humain. Quel dommage, qu’il y eût ce boulot idiot !

Elle dut deviner ses pensées, car elle se leva brusquement et alluma un électrophone qui se mit à jouer une musique de harpe indienne très lente. Elle lui tendit les bras :

— Venez. Il y a une éternité que je n’ai pas dansé.

Il se leva. Aussitôt elle lui passa les bras autour du cou et s’incrusta contre lui. Sous son pyjama de shantoung, elle était nue. Le sang de Malko ne fit qu’un tour et elle enregistra avec plaisir sa réaction.

— Je vous plais un peu, maintenant ? lui souffla-t-elle à l’oreille.

En tournoyant lentement, elle passa près d’une lampe et l’éteignit. Il n’en restait plus que deux.

Maintenant, elle ondulait carrément contre Malko.

— Il faut que je rentre, dit celui-ci.

Cela le gênait, de coucher avec la femme d’un agent peut-être en train de crever dans la jungle parce qu’il avait voulu gagner quelques pesos pour sa trop jolie femme. Mais Mme Lentz ne l’entendit pas de cette oreille-là.

— Il n’y a pas de taxi à moins de deux kilomètres, dit-elle sans lâcher Malko. Et dans ce pays on vous coupe la gorge pour deux pesos.

— Vous avez un lit à me prêter ?

Elle rit, en le serrant un peu plus fort.

— Il n’y a qu’un lit, ici. Et qu’une chambre.

— Et ce divan ?

— On ne peut pas y coucher.

Elle attira sa tête et l’embrassa longuement et violemment. Il lui rendit son baiser. Ils se retrouvèrent sur le divan, étroitement enlacés. Elle se lovait contre lui avec de petits cris étouffés. Puis elle murmura :

— Tu ne veux pas à cause de mon mari, hein ?… N’aie pas peur, il s’en fout. Il m’a déjà proposée à tons ses amis.

Malko glissa une main sous la veste de pyjama et effleura un sein ferme et chaud. Elle gémit et défit brutalement sa veste. Elle avait la plus belle poitrine qu’il eût jamais vue.

— Viens, dit-elle, nous ne sommes pas bien ici.

Elle l’entraîna par la main. Sa chambre était à côté. On ne voyait que le lit immense et bas. Les murs étaient peints en noir et une bougie rouge brûlait sur une coiffeuse basse. Malko ne s’attarda pas à détailler l’ameublement. Maintenant, lui aussi avait envie de cette superbe femelle. Il se déshabilla rapidement et se glissa dans le lit à côté d’elle. Il sombra aussitôt dans un tourbillon de cris et de gémissements. Mme Serge Lentz avait un tempérament volcanique et une technique de classe internationale. À un moment, elle ralluma les deux lampes de la chambre et il put voir sa peau merveilleusement cuivrée, jusqu’à la pointe des seins. Elle n’était pas de ces femelles bicolores, laborieusement bronzées sur les plages à la mode.

Enfin, il se retrouva tout nu, fumant une cigarette, tandis que sa partenaire lui caressait lentement la poitrine, du dos de la main.

— Tu sais, guapo, que tu fais bien l’amour ? Ici, nous avons un nom pour les gens comme toi.

— Lequel, fit Malko en souriant.

— Macho. Ça veut dire celui qui est capable d’épuiser de plaisir une femme. C’est le plus beau titre que l’on puisse décerner à un homme, dans ce pays. Beaucoup mieux que la médaille de la Révolution.

Il l’embrassa légèrement, plutôt flatté.

— Merci. Dis-moi, si nous parlions affaires, maintenant ?

— Mufle !

— Non. Consciencieux, seulement.

— Bon. Qu’est-ce que tu veux savoir ?

— Où est ton mari ?

— Je ne sais pas. Il est parti il y a quinze jours, sans me dire où il allait. Mais cela lui arrive souvent. Il est en tournée pour sa boîte, et en même temps, il fait d’autres choses. Il travaille pour vous, ou pour des gens comme cela. Ou il voyage avec son ami le Chatncilo.

— Qui est-ce ?

— Une ordure. Tu sais, un Ckamalo, c’est un Indien du Sud, de Veracruz. Celui-là, il est chirurgien. Enfin il le dit ! Il a dû acheter son diplôme pour cinq mille pesos. Il circule dans les petits villages, il fait les petites opérations et celles que les vrais médecins ne veulent pas faire.

— Je vois… Et comment connaît-il ton mari ?

— Serge voyage beaucoup, lui aussi. Chaque fois qu’il entend parler d’une fille qui s’est fait faire un gosse, il la signale au Chamalo, pour avoir sa commission. Et puis ils font la bringue ensemble. Dans le Nord, tu as des petites filles de quinze ans pour cinquante pesos. Le salaud ! Et moi, il ne me touche pas pendant des semaines !

Malko réfléchissait. Les dossiers de la C.I.A. étaient décidément bien incomplets.

— Tu crois qu’il est parti avec le Chamalo, cette fois ?

— Non. Parce qu’il a pris sa voiture. Autrement, ils prennent celle du Chamalo. C’est une Thunderbird blanche. Elle est mieux.

— Il ne te donne jamais de nouvelles, quand il est parti ?

— Non. Le téléphone, c’est trop cher. Et la poste, ça met trop longtemps.

Elle se mit à genoux sur le lit et le regarda curieusement :

— Dis-moi, pourquoi t’intéresses-tu tellement à mon mari ? Il vous a volés ?

— Non. Au contraire. Il nous a rendu un grand service. Mais il est en danger, et il ne le sait peut-être pas lui-même. En danger de mort.

Il n’osait pas dire qu’il était déjà certainement mort. À quoi bon ?

Une lueur de pitié passa dans les yeux de l’Indienne.

— Ecoute, dans ce cas, je vais t’aider. Je ne sais pas où est Serge, ça c’est vrai. Mais quelqu’un le sait : le Chamalo. Avant son départ, ils ont fait la bringue ensemble. Serge est allé à un endroit que le Chamalo connaissait. Mais je ne sais pas où.

— Tu sais où est le Chamalo ?

— Je sais où il habite. Au Nuevo-puerto de Liverpool. Ce n’est pas très loin d’ici. Je te donnerai l’adresse demain matin.