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Ce personnage obtenait des ouvriers autrichiens un travail jamais égalé, par des moyens que Malko préférait ne pas connaître.

Il y avait encore beaucoup à faire au château et Malko se demandait parfois si la seule partie du domaine dont il jouirait un jour ne serait pas le cimetière…

Le téléphone sonna, l’arrachant à ces pensées moroses. C’était Washington. Il reconnut la voix du général Higgins.

— Avez-vous du nouveau ? demanda-t-il tout de suite.

— Peu de choses encore. Je crois avoir tiré un fil, mais je ne sais pas ce qu’il y a au bout.

— Dépêchez-vous. Nous avons mis en place un dispositif de sécurité tout le long de la frontière mexicaine, mais il y a de nombreux trous. D’autre part nous avons eu des informations par nos agents à Cuba. C’est bien ce que nous craignions. Yoschico Tacata est derrière toute l’histoire. C’est lui qui est en possession du CX 3. Vous savez ce que cela veut dire ?

— Non.

— Qu’il va s’en servir dès qu’il le pourra. Nous n’avons aucune parade. On ne peut quand même pas fouiller tous les gens qui entrent aux U.S.A.  ! Il faut que vous réussissiez, et vite, sinon, nous n’avons plus qu’une alternative.

— Laquelle ?

— Alerter la population des Etats-Unis, avec les conséquences incalculables que cela entraîne.

Malko se sentit mal à l’aise. La voix du Général tremblait un peu. Ce n’était pas le genre d’homme à se démonter facilement.

— Je fais de mon mieux, dit-il à voix basse.

— Est-ce que vous voulez du renfort, de l’argent, des moyens matériels ? Vous avez carte blanche.

— Non merci. Pour l’instant, je n’ai besoin de rien. Je ne sais même pas où frapper. Plus tard, peut-être. Si je le trouve, ce Japonais, qu’est-ce que j’en fais ?

— – Tuez-le !

C’était un véritable cri de haine. Malko imagina le Général assis à son bureau, le visage crispé de rage. Il ne devait pas s’amuser non plus.

— Ecoutez, reprit-il, je peux vous envoyer en trois heures les vingt meilleurs types du service « action », avec autant d’armes qu’il faudra pour liquider ce maudit Japonais. D’ailleurs, j’ai déjà fait le nécessaire. Je vous expédie de quoi agir quand vous l’aurez trouvé.

Le Général bouillait littéralement mais Malko n’eut pas envie de rire :

Il avait raccroché. Toute l’insouciance de Malko s’était envolée. Il était repris dans l’engrenage. Pour avoir la paix, il fallait des dollars ; et pour avoir des dollars, il fallait plonger en plein cauchemar.

Avec amour, il déplia quand même ses achats et décida de sacrifier à la coutume du pays. La soirée risquait d’être longue. Avec l’habitude espagnole de dîner à onze heures du soir !… Il n’eut aucune peine à s’endormir, tout nu sur son lit, après avoir mis son réveil à sept heures.

Il fut réveillé par une immense réclame pour Pepsi-Cola qui clignotait en face de l’hôtel. Un vrai phare. La bouche pâteuse, il se jeta sous une douche.

Après s’être rasé, il choisit une chemise de soie

— il n’avait jamais pu s’habituer au nylon – et l’ensemble qu’il avait acheté dans l’après-midi. Il ouvrit aussi le double fond de sa valise. Le général Higgins lui avait fait un petit cadeau, avant le départ : un long pistolet noir, très plat, une arme absolument silencieuse. Même pas le bruit que fait un « silencieux ». Les services spéciaux de la C.I.A. avaient mis au point cet engin durant la Seconde Guerre mondiale, à la demande de l’O. S. S. Il y en avait un nombre extrêmement limité, qui étaient distribués au compte-gouttes. La C.I.A. vivait dans la terreur qu’un de ces pistolets ne tombe entre les mains d’une organisation comme le Syndicat ou la Mafia. Malko était un des rares agents qui avaient le droit d’en posséder un.

— Le seul pistolet que vous pouvez porter sur un smoking, avait remarqué Higgins, très sophistiqué.

Malko hésita, puis laissa l’arme dans la valise. Celle-ci avait l’air d’une Samsonite normale. Mais elle était étanche et pouvait à la rigueur servir de grenade : si on tentait de la forcer, une charge de plastic envoyait le couvercle dans la figure de l’indiscret.

À huit heures, Malko était prêt. Il descendit Le portier le convoya jusqu’à un taxi, qui mit ostensiblement son compteur en marche.

Mme Lentz elle-même ouvrit la porte. Cette fois, elle portait un tailleur de soie rouge sang de bœuf, dont l’éclat aurait percé le Smog californien le plus épais. Surtout avec ce qu’il y avait dedans… Elle effleura Malko de la pointe de ses seins en l’embrassant dans le cou. Elle avait dû se baigner dans le parfum.

— Où allons-nous dîner, guapo ? demanda-t-elle.

— As-tu des nouvelles de ton mari ? répliqua Malko, par acquit de conscience.

Elle secoua la tête.

— Rien. Il réapparaîtra dans deux jours ou dans quinze, je m’en moque.

« Ou jamais », pensa Malko. Ils montèrent dans le taxi. Pendant le trajet, il lui raconta son entrevue avec le Chamalo. Elle éclata de rire.

— Je t’avais dit que ce n’était pas un homme facile, guapo. Fais attention.

En descendant devant le Maria-lsabel, elle aspira voluptueusement une goulée d’air frais, en regardant la façade de marbre.

— Ici, même l’air sent le fric… murmura-t-elle. Elle ne voyait pas, à cent mètres de là, le terrain vague où jouaient de petits Indiens tout nus, pendant que leurs parents mendiaient à la porte des grands hôtels de Paseo.

Felipe Chano attendait au bar, seul à une table. Il avait mis une cravate et une chemise blanche. Il s’inclina très profondément devant Mme Lentz. L’arrivée de l’Indienne arrêta net les conversations. Tous les mâles, sans exception, la suivirent des yeux, et toutes les femmes grincèrent des dents, sans exception. Ravie, Mme Lentz ondula jusqu’à la table.

Malko fit les présentations.

— Je vous emmène dans un restaurant typique, annonça Felipe. La Fuente. On y boit, on y mange, on y danse. Même, si vous voulez jouer…

— Bravo, dit Mme Lentz. Je connais.

C’est elle qui commanda trois cocktails à la tequila. Puis trois autres, dès qu’elle eut bu le sien. Malko donna le signal du départ. Comme par miracle, il n’y avait plus que des tables d’hommes autour d’eux.

Ils roulèrent près d’une demi-heure dans Mexico. Mme Lentz avait posé la main sur la cuisse de Malko. Felipe regardait ailleurs.

La Fuenie était une immense bâtisse couverte de néon. L’entrée était tapissée de photos de capiteuses créatures, annoncées comme attractions. La boîte se divisait en deux parties. En bas, il y avait un orchestre et une piste de danse. Des couples très élégants dînaient aux chandelles. Au premier étage, une galerie courait tout le long de la salle. Là, c’était beaucoup moins chic. Pour 50 pesos, on pouvait boire un verre de bière chaude et regarder les heureux d’en bas. On profitait même du spectacle.

Felipe les emmena en bas. Le maître d’hôtel devait être expérimenté, car il balaya littéralement les gens devant eux, jusqu’à leur table.

— La table voisine est retenue par Mme Arima, souffla Felipe à l’oreille de Malko.

C’était une table de douze personnes, la meilleure de la salle, face à l’orchestre et à la scène.

On leur apporta le menu. Felipe choisit pour tout le monde des tamales puis la spécialité de la maison : du poulet à la sauce au piment. Et beaucoup de tequila. Autour d’eux, on buvait sec. Les hommes versaient un peu de sel sur le dos de leur main, le léchaient, d’un geste vif, et avalaient la tequila d’un coup. Les femmes lapaient plus discrètement, mais tout aussi efficacement.