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En attendant, il n’avait pas avancé d’un millimètre et n’avait toujours aucune idée de ce qui était arrivé à Serge Lentz, pas plus de l’endroit où se terrait Yoshico Tacata. Celui-ci pouvait frapper à tout instant. Toutes les pistes s’évanouissaient : le Chamalo n’était peut-être qu’un médecin marron un peu nerveux, et la belle Christina une Indienne orgueilleuse au sang chaud. Quant à Lentz il devait se prélasser au soleil avec des petites filles.

Fichu métier ! Et cet hôtel coûtait les yeux de la tête ! Les comptables de la C.I.A. allaient encore grincer des dents.

A pas lents, il entra dans le hall. C’était assez animé. Les gens rentraient du spectacle et des groupes se souhaitaient le bonsoir dans tous les coins.

Il remarqua un homme assis seul sur une banquette dans le hall. Il prit sa clef. Aussitôt, l’homme se leva et s’avança vers lui, un large sourire aux lèvres.

— Amigo.

Toute la chaleur mexicaine, tenait dans ce salut. Avec un sourire de dépliant publicitaire, l’inconnu venait droit sur Malko, les bras grands ouverts pour lui donner l’albrazo, le salut traditionnel mexicain, où l’on s’étreint en se donnant dans le dos, des tapes en nombre proportionné à leur amitié.

C’était visiblement une erreur. Un peu gêné, Malko se prépara à subir ces embrassades intempestives. Avant de dissiper le malentendu…

Mais, au moment où l’homme allait se jeter dans ses bras, quelque chose d’étonnant se produisit. Deux hommes surgirent de nulle part et encadrèrent l’inconnu souriant. Deux affreux, boudinés dans des costumes fripés, le feutre sur les yeux, avec des moustaches de traîtres d’opérette.

Chacun prit l’homme par un bras. il se débattit furieusement et décocha un coup de coude dans l’estomac du type de gauche, qui se plia en deux avec un grognement. L’autre sortit promptement de sa ceinture une arme comme on n’en voit plus que dans les westerns : un Colt au canon d’un kilomètre, tout nickelé. Il enfonça le bout du canon dans les reins de l’homme souriant, qui s’arrêta à dix centimètres de Malko, en vomissant un torrent d’injures espagnoles.

Malko pouvait voir ses yeux apeurés. Voulant repousser l’inconnu, il le saisit par le bras. Aussitôt le premier affreux, qui s’était relevé, fonça sur lui et, d’une bourrade, l’envoya rouler à dix mètres. Il était fort comme un taureau.

Malko atterrit dans les jambes d’une femme qui hurla. De tous côtés surgirent des employés d’hôtel. Pendant que Malko rêvait d’assommer le gorille, celui-ci s’approcha, avec un sourire jusqu’aux oreilles, et lui tendit la main pour l’aider. Sans piège.

— Excusez-moi, Señor, dit-il très poliment. J’espère que vous ne vous êtes pas fait mal ?

Malko allait foncer quand il entendit derrière lui la voix de Felipe Chano.

— Ne bougez pas, señor SAS. Vous êtes en danger de mort.

Cette fois, Malko renonça à comprendre. Dans le hall, la panique atteignait des sommets inespérés. L’homme souriant se débattait avec le premier gorille, qui brandissait toujours son obusier. Le second vint lui prêter main-forte. Felipe Chano, lui aussi, avait à la main un gros pistolet. À ce spectacle une femme poussa un cri aigu et tomba raide sur la moquette verte. Tout le monde parlait à la fois.

Chano hurla qu’il était de la police, mais personne ne le crut. À la stupéfaction de Malko, plusieurs hommes sortirent des pistolets, qu’ils brandirent d’un air menaçant. C’était « Viva Zapata ».

Dans un coin, une Américaine répétait sans arrêt :

— Ces gens sont fous.

Chano prit Malko par un bras :

— L’homme que nous avons arrêté a failli vous tuer.

— Quoi ? Celui qui voulait m’embrasser ?

— Oui. Il y en a peut-être d’autres. J’attends du renfort.

Il n’attendit pas longtemps. Dans un hurlement de sirènes, un paquet de flics en uniforme surgit dans le hall, pistolets au poing et moustaches en croc. Felipe les dirigea, et en quelques minutes ils eurent parqué tous les occupants du hall dans le bar, provisoirement transformé en camp de concentration. Le standing de l’hôtel en prenait un coup terrible. À croire que tout ce barouf était organisé par le Hilton, le concurrent d’en face.

L’homme souriant était maintenant étendu face contre terre, avec les deux affreux assis sur lui. Malko et Chano s’approchèrent.

— Mais enfin, demanda Malko, vous êtes sûrs que vous ne commettez pas une erreur ? Cet homme n’a pas été menaçant du tout. Comment aurait-il ?…

— Regardez, dit Chano.

Un des affreux lui tendit avec précaution une espèce d’anneau en plastique transparent, pareil aux bandes que les boxeurs utilisent pour éviter de se casser les phalanges.

— Attention, dit Chano. Prenez-le par le bord.

Malko le saisit, et le regarda attentivement. Du plastique sortaient une demi-douzaine de piquants marron, longs d’un demi-centimètre environ. Comme les poils d’une brosse usée.

— Vous avez entendu parler du curare, señor SAS ? demanda calmement Felipe Chano. Cet homme a tenté de vous empoisonner. Cette bande était passée dans sa main droite, les piquants à l’intérieur de la paume. En vous serrant dans ses bras, il les aurait enfoncés dans votre dos. Vous n’auriez probablement rien senti. Il se serait excusé de sa méprise et vous seriez parti. Mais, avant d’arriver à l’ascenseur, vous auriez éprouvé une sensation de froid terrible. Vous seriez tombé, déjà paralysé. Et vous seriez mort dans la demi-heure suivante, sans qu’aucun médecin puisse vous sauver.

Malko, fasciné, regardait les pointes. Décidément, la vie ne tenait pas à grand-chose!… Il avait été rarement aussi près de la fin. Il pensa à Christina. Elle lui avait envoyé ce messager de mort. C’était bien dans sa façon. Ça voulait au moins dire une chose : il était sur la bonne piste.

On ne tue que les gens gênants.

— Qui est cet homme ? demanda-t-il à Chano.

— Il s’appelle José Bolanos. Il tient un café, non loin d’ici. Nous le connaissons bien. Venez avec nous, nous allons tenter de l’interroger.

Ils montèrent dans la vieille Cadillac, salués respectueusement par les deux affreux, qui avaient passé les menottes à José Bolanos.

— Ce sont d’excellents inspecteurs, précisa Felipe Chano. Les hommes les plus sûrs que j’aie.

Et les meilleurs tireurs de Mexico. Désormais ils vont veiller sur vous. Tous les jours, pour s’entraîner, ils s’exercent à s’éteindre mutuellement leurs cigarettes.

— Mais comment avez-vous pu deviner que cet homme voulait me tuer ? demanda Malko.

Le Mexicain sourit,

— Je n’ai rien deviné. Après avoir raccompagné la señora Lentz, je suis revenu à l’hôtel. Vous étiez encore là. Ne voulant pas rester moi-même, j’ai chargé un bollito, un petit cireur de chaussures de surveiller les lieux. Moi, avec mes deux hommes, j’ai suivi la voiture de la señora Ariman.

J’aurais voulu coincer les frères Mayo. Mais vous m’avez seulement emmené dans les Jardins du 12 Mai. Nous sommes revenus en même temps que vous, et mon gosse m’a dit qu’un homme vous avait demandé. Il était encore dans le hall. C’était José Bolanos. Nous l’avons surveillé, et quand j’ai vu qu’il venait vers vous, nous sommes intervenus…