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— Venez, dit-il à Felipe, avec autorité.

Docilement, le Mexicain se leva et le suivit. Les couloirs de la Securitad étaient déserts. C’était l’heure de la sieste. Jusqu’à la sortie ils ne rencontrèrent personne.

En face, il y avait un bistrot.

— Traversons, dit Malko.

— Si, Señor, acquiesça docilement Felipe.

Si Malko n’avait pas retenu le malheureux, il se serait fait écraser par une voiture. Il obéissait comme un automate.

Dans la cafétéria bonne surprise : les deux pistoleros dévoraient des tamales à la sauce verte. En voyant Malko et Felipe, ils se levèrent d’un bond et ôtèrent leurs chapeaux. Felipe les regardait sans les reconnaître. Malko expliqua :

— Il est drogué. Aidez-moi à le soigner.

II avait parlé espagnol. Les deux pistoleros se regardèrent. Le premier lâcha une bordée de jurons espagnols et indiens, à faire s’écrouler une cathédrale. Le second vola comme une fusée à travers la rue. Il devait aller chercher Bolanos.

Bon réflexe, mais tardif.

Le premier avait tiré de sa poche une petite fiole, contenant une poudre blanche. Il en versa une grosse pincée dans un verre d’eau et le fit boire à Felipe.

Le résultat ne se fit pas attendre. Felipe devint blanc comme un mort, puis vert, puis rouge, s’accrocha au comptoir, vomit un jet de bile, redevint vert, bava, éructa des mots incompréhensibles et s’affala par terre, secoué de tremblements.

Compatissant, le pistolero hocha la tête et dit à Malko :

— C’est une médecine très forte. Quand vous avez trop bu, c’est très bon. Il tendit la fiole à Malko. Si vous voulez…

— Merci, fit Malko, je ne bois jamais.

Il faut dire que l’aspect de Felipe n’était pas engageant. On aurait dit un épileptique en pleine crise. Effaré, le patron de la cafétéria regardait la scène sans intervenir. Les pistoleros avaient bonne réputation en ces lieux.

Le second revint, l’air plus sombre que jamais. Il ne devait pas avoir retrouvé Bolanos.

Enfin Felipe se calma. Les deux autres l’aidèrent à se remettre sur pied, balayèrent trois ou quatre consommateurs pour l’installer au comptoir, essuyèrent sa bave avec une tendresse maternelle et lui firent boire une tasse de café noirâtre et brûlant.

Il eut un hoquet et dit :

— Hijo de puta. Où est-il, ce chien, que je le tue ?

« Ça y est, il recommence ! » se dit Malko.

Mais, cette fois, le policier était dégrisé. Il attrapa le premier pistolero par sa cravate jaune et se mit à le secouer, en proférant des imprécations effroyables en dialecte indien.

L’autre ne pipait pas mais ses moustaches en tremblaient de honte.

— Tu t’es trompé ! hurlait Felipe. Tu m’as trahi. Je vais te renvoyer dans ton village, d’où tu n’aurais jamais dû sortir. Te mettre à la circulation… tu es un chien !

— Si, Hombre, fit le pistolero.

— Foutez le camp tous les deux ! hurla Felipe. Retrouvez-le. Je ne veux pas vous revoir sans lui. Vous ne serez pas payé tant que vous ne l’aurez pas ramené.

Ils ne se le firent pas dire deux fois et disparurent comme des bolides. Le sol allait devenir brûlant pour José Bolanos. Malko commençait à comprendre, mais voulait être sûr.

— Qu’est-il arrivé ? demanda-t-il.

Le policier serra les poings.

— Ces idiots ont tout fait rater. L’interrogatoire, là-bas, ce n’était que la première partie, pour l’abrutir. Je lui avais préparé un verre de bière avec une drogue que nous utilisons souvent : du metzcal. Cela donne des hallucinations, et surtout cela ôte toute volonté. Bolanos aurait répondu à toutes mes questions…

— Et alors ?

— Ils se sont trompés de verre ! C’est moi qui ai bu la mauvaise bière… Bolanos a filé dès que j’ai été endormi. De plus, j’avais dit à mes deux imbéciles de rester à ma porte. Ils sont venus ici prendre des paris pour les combats de coq, ces chiens ! C’est vous qui m’avez trouvé ?… Je dormais ?

— Oui, oui, confirma Malko. Vous dormiez.

Inutile de lui raconter qu’il était au courant des mécomptes de sa vie amoureuse. Les Mexicains sont si susceptibles !…

— Bolanos est loin et je suis déshonoré, conclut

Felipe. Et j’ai tellement mal à la tête que je me demande si j’ai encore une tête.

Il reprit du café. Au même moment, la porte s’ouvrit sur les deux pistolets, hilares.

— Vous l’avez ? aboya Felipe. Sainte Mère de Dieu, j’irai vous porter un cierge !

— Si, Capitaine, firent-ils en chœur. Dans la voiture.

— Amenez-le.

Ils secouèrent la tête, toujours hilares, et le plus jeune se passa le doigt sur la gorge, avec un geste qui fit casser trois tasses au patron de la cafétéria.

— Impossible, Capitaine.

Malko et Felipe se ruèrent dehors. La voiture sans âge des pistoleros se trouvait devant le bistrot. Sur la banquette arrière, José Bolanos était tassé en boule, aussi mort qu’on peut l’être, la gorge ouverte d’une oreille à l’autre.

Chapitre VIII

En descendant de l’avion, on avait l’impression de pénétrer dans de la glu. La température devait avoisiner 50 degrés. Il n’y avait pas un souffle de vent et une légère brume de chaleur cachait la mer.

Malko était en nage. Par coquetterie, il avait tenu à mettre une veste et une cravate, tandis que Felipe Chano se contentait d’un pantalon de toile et d’une chemisette à manches courtes. Le policier avait mis tous ses bagages dans un vieux sac militaire de toile kaki, y compris un long pistolet argenté et trois boîtes de cartouches.

Ils avaient décidé de partir pour Acapulco, après l’interrogatoire raté de José Bolanos.

Ce qui avait décidé Malko, c’est que, le matin même, Christina avait pris la route d’Acapulco. Cela faisait beaucoup de coïncidences.

Le Chamalo aussi avait disparu par là. Maintenant Malko savait que grâce à Mme Serge Lentz, il avait mis le doigt sur un point brûlant.

Au moment de descendre la passerelle, il se retourna, sentant un regard posé sur lui. Il n’eut pas à réfléchir longtemps. Un des cinq frères Mayo s’avançait à deux mètres de là, le regard dans le vague. Encore une coïncidence !

Felipe était descendu le premier. L’aéroport étant situé à 26 kilomètres de la ville, il fallait louer une voiture. Après avoir refusé une jeep, au toit de toile rose un peu trop voyant, Malko obtint une Chevrolet décapotable, pas trop pourrie. Felipe inspecta soigneusement la voiture. Depuis le curare ; il valait mieux être méfiant.

Il leur fallut une demi-heure pour arriver au Hilton, où Malko avait fait retenir deux chambres. C’était la pleine saison, mais l’Ambassade américaine avait passé un discret coup de fil, et on leur donna une chambre superbe au dixième étage.

Felipe Chano ouvrait des yeux émerveillés. Il faut dire que le Hilton était assez extraordinaire. Enorme bloc de béton posé à même la plage, toutes ses chambres donnaient sur la baie. Une terrasse presque aussi grande que la chambre permettait de vivre dehors. En bas, une rivière artificielle serpentait dans un jardin, afin que les Américaines arrivant de Miami, puissent éviter l’eau non désinfectée de la baie d’Acapulco. Certaines restaient là un mois sans jamais tremper le bout du pied dans le Pacifique…

Felipe Chano vint discrètement frapper à la porte de Malko.

— J’ai ici quelques informateurs, dit le Mexicain. Nous devrions aller faire un tour en ville.

Malko se changea et ils partirent tous les deux. Auparavant, Malko envoya un câble à Washington, pour signaler sa présence. La veille, un messager de l’Ambassade lui avait apporté un pli cacheté à remettre en main propre. Malko avait dû le lire deux fois pour se persuader qu’il ne rêvait pas. Ce que le général Higgins mettait à sa disposition pour détruire la menace pesant contre les U.S.A. était tout simplement fantastique…