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La Lincoln sortit du parking et s’engagea sur la route menant à l’aéroport.

— Où allons-nous ? demanda Malko à Eugenio.

— À Puerto-Marquès, vous tournez à gauche,

répondit le Mexicain.

— Je vous tuerai ! siffla Christina à Felipe qui la maintenait.

— Ce sera un honneur, répondit le policier. Tout bas, il ajouta : Vamos con Dios. Que Dieu nous garde !

Chapitre XI

La piste de latérite rouge, bordée de végétation tropicale, n’était praticable qu’en dehors de la saison des pluies, et des trous énormes engloutissaient sans cesse les roues de la Lincoln, qui avait perdu sa belle couleur blanche. Cette partie du Mexique vivait encore au XVIIe siècle. On s’y déplaçait plus à mulet qu’en voiture.

Malko s’accrochait à son volant. À l’arrière, Christina dormait encore, liée par le poignet à Felipe. Ils s’étaient arrêtés pour la nuit, Malko ne voulant pas arriver dans le noir. Folle de rage, la jeune femme avait été attachée à Felipe par ses menottes. Aucun des quatre n’avait beaucoup fermé l’œil et ils étaient repartis au premier rayon du soleil. Depuis, ils n’avaient rencontré âme qui vive.

— Nous allons arriver, dit Eugenio, assis à côté de Malko. Je reconnais ce grand arbre à pain, ici à gauche. Faites attention il y a des gardes.

— Ils doivent connaître la voiture de Christina, répondit Malko. De plus, elle est dedans. Ils ne peuvent pas voir qu’elle est attachée.

Felipe avait tiré son pistolet et l’avait posé sur ses genoux. Eugenio scrutait les deux murailles vertes, de chaque côté de la route.

— Prenez à droite, dit-il soudain.

La route continuait à serpenter entre des petits buissons. À deux kilomètres environ, on aperçut des bâtiments blancs.

— Voilà la ferme, dit Eugenio d’une voix étranglée.

Christina ouvrit un œil et se redressa, tirant son poignet attaché.

Malko se tourna vers elle :

— Ne vous amusez pas à crier ou à essayer de vous sauver, menaça-t-il. Felipe vous abattrait immédiatement. Ce n’est pas à vous que j’en ai, mais à un fou qui, sans motif, veut assassiner des millions de gens. Quand il sera hors d’état de nuire, nous vous relâcherons. Compris ?

La jeune femme ne répondit même pas.

Ils arrivaient. La voiture franchit une barrière blanche et Malko stoppa devant ce qui semblait être le bâtiment principal. Il n’y avait qu’un rez-de-chaussée, une dizaine de fenêtres aux volets clos, et tout paraissait désert. Plusieurs autres petites constructions étaient disséminées dans la verdure. On aurait dit un haras.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Felipe.

— Allons voir, dit Malko.

Il descendit de la voiture, y laissant Eugenio. Felipe sortit, le Colt à la main, toujours enchaîné, à Christina. La belle Indienne, le visage impénétrable, avançait comme un automate. Malko arriva à la porte et poussa. Elle était fermée. Il se retournait pour parler à Felipe quand il y eut un sifflement.

Felipe poussa un cri et parut s’envoler dans les airs, entraînant Christina, qui hurlait.

En même temps, les volets d’une fenêtre se rabattirent violemment et Malko se trouva nez à nez avec le canon d’une Winchester. Celui qui la tenait avec une énorme moustache et pratiquement pas de cou. Malko leva les mains.

Des hommes vêtus de blanc et armés de fusils surgirent de partout. Felipe se roulait dans la poussière. Un lasso jeté du toit l’avait paralysé. Trois hommes se jetèrent sur lui et le maintinrent au sol. Deux autres tirèrent en arrière les bras de Malko et lui attachèrent les poignets. On le fouilla et tout de suite on détacha Christina. Elle se leva et envoya plusieurs coups de pied à Felipe, toujours par terre. Un autre Mexicain sortit Eugenio de la voiture et l’attacha aussi.

Enfin celui qui paraissait le chef donna un ordre et les trois prisonniers furent entraînés autour de la maison. Ils traversèrent une autre cour et entrèrent enfin dans une grande pièce meublée en bureau.

Leurs gardiens les firent asseoir à même le sol, ce que Malko trouva particulièrement humiliant. Il se maudissait d’avoir embarqué le pauvre Eugenio dans cette galère. Le cireur n’était pas payé par la C.I.A. pour démêler cette histoire. Une voix grinçante interrompit ces réflexions.

— Voici donc l’homme qui veut m’empêcher de réaliser mon cher projet !

La phrase avait été prononcée en un anglais rocailleux.

Malko tourna la tête. Un minuscule petit Oriental venait d’entrer, drapé dans une blouse blanche. Derrière lui se tenait le Chamalo, massif et muet, une mitraillette Thomson nichée dans le creux de l’avant-bras. Malko n’eut pas de peine à reconnaître le professeur Yoshico Tacata, diplômé de l’Université d’Osaka, ex-chercheur de la C.I.A., et pour l’instant, l’homme qu’il avait l’ordre d’abattre.

Tacata sautillait sur place en se frottant les mains. Un des gardiens envoya un coup de crosse à Malko, pour lui faire signe de se lever. Il obéit, dénoua lentement ses articulations douloureuses et regarda bien en face le Japonais.

— Comment vous appelez-vous ? demanda Tacata.

— Je suis le prince Malko Linge, dit tranquillement Malko et mes ancêtres vivaient déjà comme des gentilshommes alors que votre pays n’était encore peuplé que de singes.

Les manches de la blouse blanche volèrent :

— Faites de l’esprit, M. Linge ! Faites de l’esprit ! Ce n’est pas ainsi que vous obtiendrez ma clémence. Vous êtes donc un des agents « noirs »[4] de cette C. I. A à laquelle j’ai eu la honte d’appartenir. Honte qui, heureusement, va me rapporter de bien grandes satisfactions !… Savez-vous, mon cher collègue, que je vais causer à l’Amérique plus de pertes en quelques jours que n’en ont subi la Russie, l’Allemagne et le Japon pendant toute la Seconde Guerre mondiale ?

— À quoi cela va-t-il vous avancer ? dit Malko. Vous n’allez pas occuper le pays à vous tout seul, même avec votre poignée de macaques.

Tacata montra les dents. C’était ce qu’il pensait être un sourire.

— Je ne veux pas occuper, cher monsieur. Je veux détruire. Tuer le plus possible d’Américains. Mon sort personnel m’importe peu. Nos glorieux officiers qui venaient s’écraser sur vos porte-avions à la fin de la guerre, revêtus de la robe blanche des kamikazes, ne pensaient pas survivre. Il en va de même pour moi.

— En revanche, je sais que mon nom sera vénéré par des millions de Japonais, durant des générations. Je vais frapper dans une semaine. Savez-vous quel jour ce sera ?

— Non.

— Le 6 août. Cette date ne vous dit rien ?

Malko chercha vainement dans sa mémoire,

Tacata l’interrompit triomphalement :

— C’est le 6 août 1945 que la superforteresse volante Enola Gay a lâché sur Hiroshima une bombe atomique qui a fait 140 000 morts, M. Linge… Moi, je vais en tuer dix fois, cent fois plus… Moi, le chétif petit Japonais, dont vos savants se moquaient. Je vais réaliser ce que ni les Russes, ni les Chinois ne peuvent faire : frapper l’Amérique, sans crainte de riposte et sans parade. Quel nom portait votre bombardement ? Mais qu’importe ! Pour l’Amérique, ce 6 août ce sera l’Apocalypse !

Trépignant, Tacata tournait autour de ses prisonniers, comme un gnome en folie. Malko chercha le regard du Chamalo :

— Vous êtes d’accord avec ce fou ? Que vous ont fait les Américains, à vous ?

Le Mexicain montra des dents éclatantes dans un sourire cruel :

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4

On appelle ainsi les agents de la C.I.A. qui n’apparaissent pas sur les documents officiels.